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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

joie… Ils m’embrassaient. Le roi m’accorda tous les territoires<br />

que je lui demandais… et même d’autres que je ne lui demandais<br />

pas… Il chanta, il dansa… Voyez-vous, mon cher, quand on<br />

comprend, on est triste… et on est méchant.<br />

*<br />

* *<br />

Jamais, je n’aurais osé m’avouer à moi-même que j’eusse pu<br />

regretter mes compagnons, encore moins me lasser de l’éloquence<br />

de Weil-Sée, ou <strong>du</strong> soin qu’il prenait de mon plaisir, cet<br />

excellent, ce parfait ami… Cependant quel soupir de soulagement<br />

je poussai… quel cri de délivrance, quand la Charron me<br />

les ramena! Jamais je ne vis avec plus d’aise nos dames descendre<br />

de l’auto, la tête enveloppée <strong>du</strong> voile, ou traînant, derrière elles,<br />

quelque écharpe de tulle, comme une allusion encore à la poussière<br />

de la route… J’étais impatient de repartir; j’étais surtout<br />

pressé de leur raconter mon ami Weil-Sée, de les émerveiller de<br />

ses projets, de ses aperçus, de sa vie vagabonde… Et si le sublime<br />

leur en échappait, n’avais-je point — pourquoi ne pas l’avouer?<br />

— la ressource de les en faire rire?<br />

Il en est ainsi de nos enthousiasmes, de la plupart de nos amitiés,<br />

ainsi des rêves de notre jeunesse. Il en est ainsi de bien des<br />

grands hommes, et de bien des chefs-d’œuvre… Il n’en va pas<br />

autrement pour les modes qui, hier exaltées, tombent demain<br />

dans le ridicule et la caricature.<br />

Les systèmes de philosophie, dans la tête des hommes, et les<br />

plumes d’oiseau, sur celle de leurs femmes, ont le même sort…<br />

*<br />

* *<br />

Ma dernière journée, je la donnai tout entière à mon ami Weil-<br />

Sée.<br />

Il fut amer et triste, triste peut-être à penser que le lendemain<br />

matin je l’aurais quitté, pour combien d’années?<br />

Il me parla en termes vagues, heurtés, douloureux, de toutes<br />

les amitiés sans courage qu’il avait dû laisser le long de la route…<br />

de l’ironie, de l’égoïsme, chez les meilleures, de la pitié offensante,<br />

chez les pires. Et voilà… Il était fatigué de se sentir toujours<br />

si seul… fatigué de sentir quelquefois, souvent, qu’il n’était<br />

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