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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

vous êtes, vous avez toujours ignoré la belle source de tendresses<br />

qu’il y avait en moi.<br />

*<br />

* *<br />

Un soir, mon ami Weil-Sée me mena le long d’un quai désert,<br />

dans un club de la ville, où je fus accueilli avec beaucoup de<br />

cordialité; <strong>du</strong> moins, Weil-Sée me l’assura.<br />

Les membres <strong>du</strong> cercle — armateurs, banquiers, marchands<br />

— étaient réunis dans une salle dont le pourtour seul était<br />

meublé de banquettes, devant lesquelles, à intervalles réguliers,<br />

étaient fixés des guéridons. Tout le milieu restait vide, et les lustres<br />

de cuivre se reflétaient dans le miroir <strong>du</strong> parquet. Les places<br />

étaient occupées, d’ailleurs silencieusement, chacune, par un<br />

buveur, devant qui se dressait un pot de bière. Au-dessus de<br />

chaque buveur, un petit nuage de fumée s’épaississait, tous les<br />

petits nuages alimentant la nuée centrale, dont les bords légers<br />

s’enroulaient et bleuissaient par-dessus les lumières. Chaque<br />

buveur avait, aux dents, une pipe à peu près pareille, un peu<br />

longue. Toutes les pipes ne fumaient pas absolument en même<br />

temps, mais il y en avait toujours un certain nombre qui quittaient<br />

ensemble des bouches en même temps fumantes, ou revenaient<br />

en même temps reprendre, entre les dents, la place un<br />

instant occupée par le pot de bière… À de certains moments, des<br />

chocs de grès sur le marbre, des claquements de lèvres, des crachats,<br />

des remuements de pieds, des quintes de toux, cédaient à<br />

la parole gutturale de l’un ou de l’autre des membres <strong>du</strong> cercle,<br />

qu’on écoutait assez longuement, jusqu’à ce que ses derniers<br />

mots arrivassent à se fondre dans un tutti de rires. Et Weil-Sée<br />

allait, de l’un à l’autre, souple, insinuant, avec des complaisances,<br />

des humilités, des servilités, qui m’attristèrent un peu.<br />

Mes deux voisins m’adressaient, de loin en loin, la parole à<br />

voix basse. L’un avait une trogne cuite au vent et au soleil, des<br />

tons d’un beau vieux pot de faïence; un épais collier de barbe<br />

jaunâtre lui faisait, autour <strong>du</strong> cou, comme un foulard. L’autre<br />

était un tout petit vieillard, occupé surtout à hausser sa petite<br />

personne et son menton minuscule au-dessus <strong>du</strong> bord de la table.<br />

Il se redressait à chaque instant, pour éviter, à la fois, que le fourneau<br />

de sa pipe ne vînt s’appuyer sur le guéridon, ou ne dépassât<br />

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