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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

maintenant, avec cet univers sur les bras?… Rien… plus rien…<br />

plus rien… C’est bien fait!…<br />

Il donna un grand coup de poing sur la table, et le garçon,<br />

réveillé en sursaut, accourut :<br />

— Du thé!… commanda mon ami Weil-Sée, subitement<br />

radouci…<br />

*<br />

* *<br />

Mes compagnons avaient à voir des amis, établis dans une propriété<br />

des environs. J’en profitai pour passer quelques jours avec<br />

mon ami Weil-Sée. Il tenait absolument à me montrer Rotterdam,<br />

à m’en expliquer le mécanisme jusque dans ses rouages<br />

les plus intimes… Il arriva, naturellement, que Weil-Sée me<br />

mena partout, sauf à Rotterdam… Il trouvait que, pour n’avoir<br />

pas vu assez de ciels et d’eaux de Hollande, je n’avais pas vu la<br />

Hollande, et que, n’ayant pas vu la Hollande, je ne pouvais rien<br />

comprendre à Rotterdam… En bac, en bateau, en voiture, en<br />

chemin de fer, il me promena sur tous les bras de la Meuse, sur<br />

tous les canaux qui mènent de la Meuse au Rhin, sur tous les bras<br />

<strong>du</strong> Rhin et sur la mer, entre le ciel et l’eau, et ce fut surtout,<br />

hélas! sur des ponts… J’ai passé des journées sans voir le ciel,<br />

sans oser regarder les eaux, sur tous les ponts des routes, des<br />

villes, et sur ceux qui osent chevaucher la mer… De Rotterdam,<br />

nous n’avons vu que l’immense pont qui enjambe la ville, on<br />

dirait, dans toute sa largeur.<br />

De ces quelques jours, il ne me reste que d’intolérables sensations<br />

de vertige. Le vertige, en Hollande? Eh bien, oui! Ai-je<br />

rêvé? Rêvé-je encore?<br />

Je me demande aujourd’hui si ce n’était point la seule présence<br />

de Weil-Sée, sa voix lointaine, ses gestes saccadés, ses<br />

grimaces extra-humaines, l’immensité de ses illusions, qui amplifiaient<br />

ainsi, déformaient ainsi, les choses autour de lui… Je<br />

crois, en vérité, je crois qu’il avait cette puissance extraordinaire<br />

de communiquer son malaise, sa peine, son vertige, sa torture, à<br />

la matière la plus inerte… À son contact, la nature elle-même<br />

s’affolait…<br />

Là, le col ten<strong>du</strong> vers des via<strong>du</strong>cs de chemins de fer, nous<br />

voyions des wagons filer si haut, au-dessus de nos têtes, qu’il<br />

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