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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

un peu de confort. Sur les dalles où la piété païenne s’agenouillait<br />

devant les Images, on a rangé des sièges en quantité, où la raison<br />

puisse s’installer comme il faut, afin de s’examiner librement.<br />

Mais rien ne meurt que peu à peu. <strong>La</strong> Groote-kerke est une cathédrale<br />

d’autrefois… Seulement, elle est tout à fait nue… Les<br />

stalles sont, pourtant, toujours là, que les gouges des artisans<br />

ingénieux <strong>du</strong> seizième siècle ont fouillées dévotement. <strong>La</strong> grille<br />

de cuivre qui enveloppe le chœur, la rampe qui grimpe à la<br />

chaire, semblent encore faites de rayons divins, voire de rayons<br />

de soleil, mais de rayons qui auraient fleuri.<br />

Ces cuivres et ces arabesques m’en évoquent d’autres; des<br />

rampes, des balustres, des lustres, des volutes et tous ces enroulements,<br />

et tous ces déroulements qui courent, à présent, dans le<br />

monde entier, sous le nom de modern-style, nom anglais d’une<br />

manie où les Belges ne sont parvenus qu’en partant de ces cuivres<br />

hollandais, en les torturant et les déformant affreusement…<br />

Mais où sont, dans les bars et les hôtels palaces, aux devantures<br />

des parfumeries, des charcuteries, des crémeries et des<br />

confiseries, dans les demeures des financiers allemands, des<br />

poètes viennois, des esthètes des Flandres et des cocottes de<br />

Lyon, cuivres rouges et cuivres d’or, où sont la bonhomie souriante,<br />

la courbe harmonieuse, l’honnêteté solide et réjouie des<br />

charmants cuivres hollandais?<br />

Et me revoici dans la rue, où la pluie a balayé les derniers passants.<br />

Des groupes de ménagères, de servantes, se sont réfugiés<br />

sous le marché. En mantes noires, en coiffes désamidonnées,<br />

hottues, bossues et caquetantes, elles se pressent l’une contre<br />

l’autre, comme des poules sous l’auvent de la basse-cour<br />

mouillée. Toutes les maisons, où s’avivent les plaies anciennes,<br />

pleurent; tous les ponts, aux arches de guingois, qui s’étagent<br />

dans la perspective, pleurent aussi; tout pleure. L’eau des<br />

canaux, sous les gouttes de l’averse qui s’acharne, semble<br />

dégager des bulles de gaz, comme d’une mare putride. Derrière<br />

les grilles des jardinets, les fleurs humiliées, fripées, penchent des<br />

airs moroses, et à travers les vitres qui ruissellent et se brouillent<br />

on voit, ça et là, remuer, comme dans une brume épaisse, de<br />

vagues formes d’êtres humains… On dirait des ombres, des fantômes<br />

<strong>du</strong> passé.<br />

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