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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

donnent à la valse de Faust, tout simplement, un clair de lune sur<br />

le fleuve et mon cœur content? Aucun cri de Tristan, aucune<br />

plainte de Mélisande ne m’ont causé plus d’émotion que ces trois<br />

pauvres violons, où bêlait, si lamentablement, la musique de<br />

Monsieur Gounod… Je ris d’un mensonge inventé pour que je<br />

tourne la tête et ne voie pas un rouleau de faux cheveux qu’on<br />

détache, et d’un de ces ordres, si <strong>du</strong>rs, de la pudeur, qui vous priveraient,<br />

si on obéissait, <strong>du</strong> spectacle intime le plus doux, gestes<br />

secrets et charmants, dont toutes vos veines battent et qu’on<br />

n’oserait nommer… Je vois les gares où l’on s’embarque, les<br />

gares aussi où l’on revient, et ces quais, enfin, où l’on regrette<br />

même le terrible mouchoir qu’aucune main, fût-elle perfide,<br />

n’agite plus… Je retiens, une seconde, l’éclat de deux genoux<br />

polis et la courbe ten<strong>du</strong>e d’un sein… une épaule ronde parfumée<br />

chaleureusement, le <strong>du</strong>vet de sa cheville… J’attends des larmes<br />

qui vont couler sur un visage tout pâle et silencieux de bonheur…<br />

Me reviennent en tête, et y précipitent à flots mon sang,<br />

des furies de caresses, après quoi l’on se croyait de force, même<br />

qu’on chancelât, à défier l’univers, à en triompher avec tous ses<br />

héros et ses monstres pêle-mêle… Je songe aussi à des riens dont<br />

on riait aux larmes, à des moins que rien qui déchaînaient des<br />

tempêtes… et à ces après-midi de fatigue, où on se laissait aller à<br />

l’ennui, qu’elle définissait : « L’indifférence à ma vie, comme à<br />

ma mort. »<br />

Mais, malgré mon désir de mélancolie, je sens que tout cela est<br />

loin, bien loin, que tout ce passé se fane et s’efface… Au fond de<br />

moi-même, je m’aperçois que, de tous ces souvenirs, qu’une<br />

hypocrite et sotte manie de littérature voudrait amplifier en douleurs,<br />

il m’en reste un de vraiment vivant, et tout proche, et si<br />

vulgaire : la fermeté savoureuse de vos chairs, soles magnifiques,<br />

qu’on mangeait si gaiement, à la terrasse de cet hôtel, au bord de<br />

l’eau.<br />

C’était, c’est encore l’hôtel Bellevue, un peu plus vieux, un<br />

peu plus tassé, lui aussi… Je reconnus le même tapis, sur les marches<br />

si raides de l’escalier; aux fenêtres, les mêmes rideaux; dans<br />

la salle à manger, qui sert, en même temps, d’office, de caisse, de<br />

salon, et de restaurant, les mêmes meubles… Suivi de l’hôtelier<br />

qui nous retenait — le même hôtelier aussi, je crois bien —, je<br />

courus jusqu’à la terrasse… <strong>La</strong> nuit était complète, sans la fissure<br />

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