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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

longs bâtons que termine un gros bouchon de linge mouillé, des<br />

femmes lavent les façades, avec acharnement; d’autres astiquent<br />

les portes, soigneusement vernies, et frottent les cuivres qui les<br />

ornent. Les cuisines, en forme de guérites, sont séparées de la<br />

maison, afin qu’aucune besogne malpropre ne puisse la<br />

souiller… Et cela fait songer, je ne sais pourquoi, à de la dentelle,<br />

rehaussée, mais à peine, de fils de métal… Ce qui est charmant,<br />

c’est que, derrière chaque maison, comme nous avons chez nous<br />

une écurie et une remise, ils ont une sorte de petit port, qui a<br />

dérivé l’eau <strong>du</strong> polder, avec deux ou trois bachots à l’amarre, qui<br />

leur servent pour la coupe des osiers et des joncs, et pour les<br />

voyages, par les mille petites routes liquides, à travers la plaine<br />

verte…<br />

Je me rappelle, au détour d’une ruelle où commençait un<br />

jardin, fleuri de fritillaires, avoir vu s’accroupir une paysanne à la<br />

peau fraîche, et son geste qui retroussait <strong>du</strong> linge blanc. Je l’avais<br />

vue déjà, cette même paysanne, dans un tableau…<br />

Tous les aspects <strong>du</strong> pays et <strong>du</strong> peuple hollandais, ses maisons<br />

comme ses costumes, ses cabarets comme ses moulins, qui pompent<br />

et disciplinent l’eau innombrable <strong>du</strong> polder, ont, même<br />

pour ceux qui les ignorent, le charme <strong>du</strong> déjà vu. D’eux tout nous<br />

est familier, grâce à leurs peintres qui les ont présentés, avec<br />

amour, à tout l’univers…<br />

Les petites gens et les paysans de Russie devront, à Dostoïevski<br />

et à Tolstoï, une notoriété pareille. Il se peut que Camille<br />

Pissarro, et que Cézanne, qui ne chercha jamais, pourtant, le<br />

détail de mœurs, l’anecdote qui passe, vaillent aux villages, aux<br />

visages, aux coteaux, aux belles on<strong>du</strong>lations de la campagne française,<br />

une popularité qui ne sera pas moins universelle que la<br />

gloire de leurs peintres. Ainsi, grâce à Watteau et à Renoir, les<br />

femmes, telles qu’ils les ont vues dans les rues de Paris, ou assises<br />

sur les gazons de ses jardins, sous l’ombre ensoleillée de ses<br />

parcs, <strong>du</strong>reront, moins fragiles, plus vivantes que les Tanagréennes<br />

1 , aussi immortelles que les cavaliers des frises grecques…<br />

1. Tanagra, ville antique de Béotie, est célèbre pour ses statuettes en terre cuite,<br />

notamment de femmes, découvertes dans les années 1870.<br />

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