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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

brouillard, pour lui dérober la cité aquatique et la restituer à<br />

l’obscurité, sur qui le triomphe de l’astre n’aura que plus de<br />

splendeur. Je ne voudrais pas penser que Rembrandt eût pu<br />

naître en quelque petite ville endormie dans les terres, sans<br />

jamais voir le soleil dorer des quais, dorer les eaux noires des bassins,<br />

dorer l’atmosphère profonde, « l’obscure clarté » qui<br />

grouille entre les coques des navires… Peut-être que ce qu’il eût<br />

tiré de lui-même eût suffi pour émerveiller les humains. Mais je<br />

m’exalte à découvrir, dans son œuvre, la conception, non seulement<br />

des images, mais des couleurs les plus somptueuses, issues<br />

de la rencontre de son génie avec le luxe d’un grand port, infini<br />

jusque dans la variété de ses misères, à Amsterdam surtout, le<br />

plus oriental des ports d’Occident, Amsterdam et sa sombre<br />

population juive.<br />

Fermant les yeux à l’ardeur insoutenable <strong>du</strong> couchant, vers où<br />

nous courions, je songeais à la fin douloureuse <strong>du</strong> héros 1 , de ce<br />

Rembrandt des dernières années, enchaîné par la misère, en<br />

proie au malheur, expiant, lui aussi, peut-être, le crime d’avoir<br />

osé dérober au ciel, pour nous, le feu divin de sa lumière…<br />

<strong>La</strong> digue<br />

Depuis Gorinchem, c’est presque, jusqu’à Dordrecht, une<br />

succession de villages délicieux, dont je ne sais pas les noms, mais<br />

dont la traversée <strong>du</strong>re, peut-être, trois fois plus que celle de<br />

Paris. Du haut de la digue surélevée, étroite, nos regards penchent<br />

dans l’intérieur des maisons en contre-bas. Devant tous les<br />

seuils, lavés, polis, les paires de sabots sont rangées, sabots légers<br />

de saule. Avant d’entrer, les habitants ne manquent jamais de se<br />

déchausser, et ce sont des pas feutrés qui glissent, comme pour<br />

ne laisser après eux aucune trace, même de son, sur les parquets<br />

et les dalles qu’on voit briller, au passage… Un rideau radieux,<br />

un cuivre, des assiettes fleuries, des étains pansus, un bonnet qui<br />

étincelle animent ces ré<strong>du</strong>its presque tous pareils… Armées de<br />

1. Pour payer ses dettes, Rembrandt fut obligé de vendre aux enchères tous ses<br />

biens mobiliers, en 1657, puis sa maison, en 1658, ce qui lui interdisait de vendre luimême<br />

ses toiles.<br />

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