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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

J’appris, à Rotterdam, qu’un parent très proche de Van Gogh<br />

vivait à Bréda, entouré de la plus belle collection qui soit de ses<br />

œuvres. Seulement, il ne porte pas le nom de Van Gogh.<br />

Voilà pourquoi « Van Gogh, ça ne leur disait rien ».<br />

J’ai une autre impression.<br />

Deux semaines après, je sortais <strong>du</strong> musée de <strong>La</strong> Haye où<br />

j’avais passé presque toute la journée. J’étais ivre de Vermeer,<br />

ivre surtout Rembrandt… <strong>La</strong> tête me tournait. L’Homère et,<br />

davantage, le portrait <strong>du</strong> frère de Rembrandt me poursuivaient…<br />

Ce visage si prodigieusement humain, à la fois si <strong>du</strong>r et<br />

si doux, si mélancolique et si obstiné, cette effigie, aux plans si<br />

larges et sûrs, plus vivante que la vie, ce front encore tout chaud<br />

de la double pensée qui l’anima et qui le modela, et ces yeux où<br />

l’on voit tout ce qu’ils ont regardé!… Le génie de Rembrandt est<br />

si fort qu’il en devient douloureux… On ne peut en supporter le<br />

premier choc, sans un grand bouleversement. J’avais besoin de<br />

me remettre de mon émotion… Je longeai quelque temps les<br />

bords <strong>du</strong> Vivier. Je me promenai sous les arbres de cette place où<br />

tout s’apaise, devient doux, silencieux, glissant, comme ces eaux<br />

dorées qui la baignent… Et je rentrai dans la ville…<br />

Comme je flânais à travers la rue, j’avisai une petite boutique,<br />

devant laquelle de grandes affiches mobiles annonçaient une<br />

exposition des œuvres de Van Gogh… Je me dis :<br />

— Non… non… pas aujourd’hui… Ce serait une trahison…<br />

Je reviendrai demain…<br />

Et, en disant cela, je pénétrai machinalement dans la boutique.<br />

Le soir commençait à venir… Il n’y avait plus personne, qu’un<br />

employé qui dormait, la tête appuyée sur une pile de catalogues…<br />

Sur les murs gris, une vingtaine de tableaux, peut-être.<br />

Au centre de la pièce, une sorte de divan circulaire, d’un rouge<br />

affreux, <strong>du</strong> milieu <strong>du</strong>quel jaillissait une colonne drapée que terminait<br />

un ridicule petit palmier dans un pot de céramique.<br />

Je m’assis, et je regardai… Je regardai longtemps… Je regardai<br />

sans fatigue, intéressé…<br />

Je sentais bien que d’autres tableaux, même parmi ceux qu’on<br />

appelle de bons tableaux, m’eussent fait fuir. Je les eusse consi-<br />

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