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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

réfugiés sur les digues, comme des inondés qui se pressent sur les<br />

hauts talus des champs, et ces villes lustrées qui débordent<br />

d’abondance, et l’immensité translucide de ces ciels mouvants, et<br />

ce printemps si vert, avec son soleil pâle et son éclatante passementerie<br />

de tulipes.<br />

J’eus beaucoup de peine à faire comprendre au douanier ma<br />

distraction. C’était un colosse, avec un poitrine plate et un ventre<br />

proéminent. Il portait un haut képi bleu, mathématiquement<br />

cylindrique. Fort de ce képi, il m’expliqua que les frontières<br />

étaient des frontières, qu’on n’entrait pas en Hollande comme<br />

dans un moulin. Sans aucun respect pour les recommandations,<br />

pour tous les papiers réglementaires dont j’étais muni, il fouilla la<br />

voiture de fond en comble, me fit déposer une grosse somme<br />

d’argent. Finalement, en roulant de gros yeux, il déclara qu’il en<br />

référerait au ministre des Digues.<br />

Le ministre des Digues!… Quel délicieux pays!…<br />

J’appris qu’un Américain, qui s’était présenté à la douane sans<br />

papiers, était retenu à l’auberge <strong>du</strong> village et gardé comme un<br />

prisonnier. On avait consigné sa machine. Depuis six jours, se<br />

saoulant et dormant, dormant et se saoulant, il attendait que le<br />

ministre des Digues voulût bien lui envoyer les autorisations<br />

nécessaires… Son mécanicien, un gai lascar de Paris, vint nous<br />

voir… Je l’exhortai à la patience…<br />

— Oh! fit-il, j’suis pas pressé… Le patelin n’est pas joli…<br />

joli… mais j’couche avec la femme <strong>du</strong> douanier… C’est bien son<br />

tour, dites?…<br />

*<br />

* *<br />

Depuis que j’étais venu en Hollande, pour la première fois, il y<br />

avait tant d’années… tant d’années… que je n’osais plus les<br />

compter… Les années qu’on a vécues paraissent, à distance, de<br />

plus en plus belles à mesure qu’en nous s’affaiblit avec l’expérience,<br />

et s’éteint avec l’illusion, la faculté d’espérer le bonheur.<br />

Du moins, à présent, saurai-je comment les pays vieillissent…<br />

Hélas!… ils vieillissent à mesure que nous vieillissons. Tous les<br />

êtres et toutes les choses n’ont pas d’autre vieillesse que la<br />

nôtre… Ils n’ont pas, non plus, d’autre mort que la nôtre,<br />

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