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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

mais pour ne laisser passer que de l’eau et, quelquefois, que <strong>du</strong><br />

vent… On a jeté dans la mer un môle magnifique, de hautes<br />

terrasses de granit blanc, auxquelles on accède par de splendides<br />

escaliers de temple babylonien… On s’attend toujours à y voir<br />

apparaître, cuirassée d’or et voilée d’argent, Sémiramis. Mais un<br />

port n’est pas un décor d’opéra; les bassins et les môles, si formidables<br />

qu’ils soient, ne suffisent pas à créer un port. Il y faut aussi<br />

des bateaux. Et pour qu’il y ait des bateaux, il faut tout un mécanisme<br />

financier et commercial qui manque douloureusement à<br />

Flessingue… Aussi, l’herbe pousse autour des bassins, l’herbe<br />

pousse sur le môle. Les grues, aux longs bras inemployés, se<br />

rouillent… Et les docks sont vides… En vain les phares fouillent<br />

la mer, et les pilotes y font la chasse… En vain, sitôt que paraît au<br />

large un mât, une volute de fumée, une forme grise, on<br />

s’apprête… Et l’espoir, mille fois déçu, renaît… Toute la ville<br />

accourt sur le môle… On escalade joyeusement les marches de<br />

pierre… On braque des lorgnettes, on agite des mouchoirs. On<br />

crie :<br />

— Cette fois, c’est pour Flessingue!<br />

— Anvers est per<strong>du</strong>! C’est bien pour Flessingue…<br />

— Vive Flessingue!<br />

— À bas Anvers!…<br />

Le navire approche, s’engage dans la passe :<br />

— Le voilà!… le voilà!<br />

— Je vous dis que c’est pour Flessingue.<br />

Mais non… Le navire a passé… C’est toujours pour Anvers…<br />

Les navires ont l’air de se moquer de ces foules entassées sur<br />

le môle de ce port maudit, où il n’entre guère que le petit bateau<br />

de Breschens, qui amène, deux fois par semaine, les touristes<br />

étrangers qui viennent visiter la Zélande, les parcs de Goès, le<br />

marché de Middelbourg et ses belles filles rieuses, à la coiffe<br />

dorée, aux bras trop rouges…<br />

En haut <strong>du</strong> môle, dominant la mer et gardant l’Escaut, le<br />

superbe amiral Ruyter, en bronze, ne commande plus qu’à des<br />

souvenirs… Il a l’air de se dire, mélancoliquement :<br />

— Ah! si j’avais encore ma flotte, qui défit si bien les<br />

Français!…<br />

Oui… mais voilà, il n’a plus de flotte, le pauvre amiral<br />

Ruyter… Il n’a plus rien que sa gloire… et les deux pauvres<br />

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