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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

matelas de soie jaune, nue, toute frottée de parfums violents qui<br />

vous prenaient à la gorge. Un gros dahlia pourpre fleurissait sa<br />

chevelure laineuse. Des anneaux de cuivre cerclaient ses bras. Et<br />

son rire était d’une blancheur aveuglante. Des coutelas à manche<br />

de bois peint, des masques de féticheurs, deux petites idoles de<br />

terre bleue, une cruche à long bec, couverte de dessins enfantins,<br />

ornaient l’étroite chambre… Elle savait un peu de français,<br />

n’ayant pas connu de l’Europe que les bouges d’Anvers… Toute<br />

jeune, elle avait servi, à Bordeaux, dans la famille d’un armateur,<br />

puis à Paris, dans une maison publique… Un commissionnaire<br />

en viande humaine l’avait emmenée à Anvers… Il y faisait trop<br />

froid. Il y faisait trop gris. Elle ne s’y plaisait pas.<br />

Près d’elle, un soir de mélancolie sinistre, j’essayais d’évoquer<br />

son pays, les sanglants mystères de la brousse, les rudes chemins<br />

semés d’épines où les amazones courent, pieds nus, pour<br />

s’entraîner à la douleur, les plaines toutes rouges, les maisons de<br />

boue rose, les palais et les temples avec leurs toits plats, pavés de<br />

crânes humains. Mais c’était très difficile. Curieuse, indiscrète et<br />

bavarde, elle ne me laissait pas un instant de répit… Elle me<br />

racontait toutes sortes d’histoires ridicules que, d’ailleurs, j’avais<br />

peine à suivre et à comprendre. Des souvenirs de Paris, surtout,<br />

tantôt puérils, tantôt obscènes, des attrapades, des batteries avec<br />

ses camarades de prostitution… Enfin, elle parla de son pays<br />

pour m’en décrire, comme elle pouvait, les splendeurs regrettées…<br />

C’était une nuit d’été, étouffante… <strong>La</strong> fenêtre était<br />

ouverte… J’entendais, tandis qu’elle parlait, des musiques bizarrement<br />

ululantes, qui venaient d’un taudis voisin…<br />

De tout son verbiage inutile, sans couleur, sans accent, sans<br />

imprévu, je n’ai retenu que ceci, que je tra<strong>du</strong>is, ou plutôt que je<br />

commente fidèlement :<br />

— Vous ne pouvez vous faire une idée de ce qu’est le palais de<br />

notre grand roi, à Kotonou… Ce palais est d’une beauté inouïe,<br />

et tous vos monuments, à côté de lui, ne sont que de misérables<br />

cahutes… Il a de grands murs épais, tout roses. Presque pas de<br />

fenêtres. On y pénètre par une porte basse, en demi-cercle, que<br />

gardent des guerrières, effrayamment tatouées… Ce qu’il a surtout<br />

de remarquable, c’est le toit… un toit plat entièrement couvert,<br />

ou mieux, entièrement pavé de têtes coupées… C’est un<br />

travail minutieux, très difficile… Il y faut d’habiles artistes qui<br />

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