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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

mies… Dès qu’un personnage célèbre, un prince plus au moins<br />

couronné, débarquait à Anvers, vite au Rideck!… C’était le complément<br />

obligé des banquets et de toutes fêtes. Même le<br />

dimanche, après dîner, des familles entières, pères, mères, filles<br />

et garçons, nièces et cousins, et leurs camarades, et leurs bonnes,<br />

venaient s’y promener, sans gêne, en leurs plus riches atours…<br />

On disait aux enfants : « Si vous êtes bien sages toute la semaine,<br />

si vous travaillez avec assi<strong>du</strong>ité, on vous mènera, dimanche, au<br />

Rideck! » <strong>La</strong> messe, les vêpres, des gâteaux et le Rideck, voilà ce<br />

qu’on pouvait appeler un beau dimanche… Nul ne songeait à<br />

s’en offenser… Bien au contraire…<br />

Le Rideck, c’étaient des petites boutiques, pittoresquement<br />

aménagées, où l’on vendait des pro<strong>du</strong>its exotiques, des petits<br />

cafés où l’on dansait des danses nègres, au son des banjos… et<br />

des petites cases où l’on vendait de la chair jaune, rouge, cuivrée,<br />

noire et même blanche. Et quels parfums!… Les jours de visites,<br />

on s’arrangeait pour que tout cela fût décent et ressemblât à<br />

quelque exposition coloniale.<br />

— Colonisons… Il en restera toujours quelque chose…<br />

Je n’ai pas vu ces spectacles familiaux. Je n’en parle que sur la<br />

foi des souvenirs évoqués par des notables d’Anvers… Mais j’ai<br />

vu — je m’en souviens avec une grande tristesse — j’ai vu, la<br />

nuit, dans les rues chaudes, la pantomime de la luxure internationale<br />

et son avidité effrénée qui bousculait, en criant, les filles de<br />

toutes races… J’ai vu des matelots de tous pays, bras noués,<br />

entre les murs des ruelles, braillant et courant, comme de grands<br />

enfants fous… Je ne les ai pas vus qu’à Anvers, je les ai vus à<br />

Hambourg, au Havre, à Marseille, et, le samedi soir, je les ai vus<br />

surtout à Toulon. Tous les mêmes, d’où qu’ils viennent, tous<br />

pareils avec leurs mufles de poisson sur leurs cous nus… Et, dans<br />

les taudis pleins de fumées sonores, j’ai vu les brutes affalées,<br />

ceux qui n’avaient plus la force de boire… ceux qui n’avaient<br />

plus la force d’embrasser et de se battre… et des colosses<br />

endormis, débraillés, la tête roulant sur les genoux compatissants<br />

d’une négresse, qu’ornait, dans les cheveux, un peigne doré, et<br />

qu’habillait, aux reins, une mince écharpe de gaze rouge.<br />

Je me rappelle, en ce temps-là, une négresse. C’était une<br />

Dahoméenne, de Kotonou. Son corps long, fin et souple, d’un<br />

noir profond, avait des transparences d’or. Elle reposait sur un<br />

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