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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

entendit des pas de chevaux dans la rue, et, bientôt, des coups<br />

furieux ébranler la porte cochère, qui ne fut pas longtemps à<br />

céder… Un cheval, d’un bond, traversa les décombres, portant<br />

un officier qui s’arrêta, à quelques mètres des prisonniers terrifiés,<br />

et, revolver au poing, hurla l’ordre habituel :<br />

— Haut les mains!…<br />

Le vieux crut devoir m’expliquer :<br />

— Les officiers et les sergents dé ville, ils crient toujours :<br />

« Bras en l’air!… En haut les mains! » parce qu’ils ont peur des<br />

révolves, et des bombes… Alors, ils crient : « Bras en l’air!… En<br />

haut les mains! »…<br />

Toutes les mains se dressèrent… Seule, la petite Sonia qui<br />

n’avait pas compris… qui ne pouvait pas comprendre, qui ne<br />

savait rien que sourire, regardait l’officier, en souriant, ses petites<br />

mains baissées… Son grand-père voulut l’avertir d’un geste :<br />

— Comme ça… Comme ça!<br />

Et le vieillard imitait de ses mains tremblantes le geste sauveur.<br />

Il n’eut pas le temps. Déjà l’officier visait l’enfant et, malgré le<br />

cri d’horreur qui emplit la cour, l’abattait…<br />

J’entends encore, j’entendrai longtemps, j’entendrai toujours,<br />

la voix étranglée <strong>du</strong> vieillard :<br />

— D’un coup dé son révolve, mossié!…<br />

Elle ne poussa pas un cri. Elle eut quelques contractions,<br />

gratta le pavé <strong>du</strong> bout de ses petits doigts… Un petit peu de sang<br />

sur elle… un petit peu de sang autour d’elle… Et ce fut fini…<br />

Comme un petit oiseau…<br />

— J’étais seul, tout seul, dans la vie… J’étais seul sur la terre…<br />

Je compris qu’il eût bien voulu pleurer… Il ne le pouvait pas…<br />

Il se mordit les lèvres… sa barbe remonta, par de légers soubresauts,<br />

son nez se fronça… Mais il ne pleurait pas… <strong>La</strong> source de<br />

ses larmes était, en lui, à jamais tarie…<br />

Il répéta, en réunissant ses mains :<br />

— Uné pétite chose… comme ça… pétite… pétite… rien,<br />

mossié… rien… comme un petit oiseau… Ach!…<br />

Balançant la tête, il dit, après un silence :<br />

— Pourquoi jé pars?… Jé né sais pas… Pourquoi jé vais làbas?…<br />

Ach!… Jé né sais pas!<br />

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