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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

façade limitait la cour dont le quatrième côté était fermé par un<br />

jardin. De par où que l’on sortît, c’était s’exposer à une mort certaine.<br />

Dans la maison, habitaient une quarantaine de pauvres gens,<br />

qui mirent leurs provisions en commun… Mais, la première fois<br />

qu’une femme alla chercher de l’eau au puits, qui était au fond<br />

de la cour, elle tomba sous les balles… Dans les maisons voisines<br />

aussi, les puits étaient interdits et gardés par des sentinelles…<br />

Les malheureux connurent les tortures de la soif… Par exemple,<br />

ils souffraient moins de la faim… On les autorisait à manger…<br />

Vers le cinquième jour, on put espérer que le calme allait<br />

renaître… Les soldats avaient dû quitter le jardin… on n’en<br />

voyait plus autour des puits. En ville, la fusillade s’apaisait.<br />

— Boire, mossié!… Boire, boire!<br />

Ils étaient ivres de soif; ils étaient fous de soif…<br />

—Boire!… Boire!<br />

Deux hommes eurent le courage de s’avancer, avec des seaux,<br />

jusqu’à la margelle <strong>du</strong> puits. Toutes les faces étaient ten<strong>du</strong>es vers<br />

eux, dans un ravissement d’espoir… Ils accrochèrent les seaux.<br />

Le bruit de la chaîne qui descendait était une musique…<br />

— Nous l’écoutions descendre… descendre… Ach!<br />

Mais, comme les porteurs s’en revenaient avec leur charge, les<br />

dragons, qui s’étaient dissimulés jusque-là, se montrèrent tout à<br />

coup… Ils tuèrent d’un coup de carabine l’un des hommes, et<br />

l’autre, épouvanté, s’enfuit, en laissant tomber le seau, dont l’eau<br />

se répandit dans la cour…<br />

— Nous connaissions le mort. Tous aimaient un garçon si<br />

brave… Mais… c’est terrible, il faut bien lé dire… c’est l’eau<br />

qu’on régrettait.<br />

Le soir, les puits étaient remplis de boue, de fumier, d’immondices<br />

de toute sorte. On y jeta aussi le cadavre <strong>du</strong> pauvre<br />

garçon…<br />

Alors, une folie gagna les assiégés… Ils s’assemblèrent dans la<br />

cour, y passèrent la nuit à gémir, à prier, à hurler, à dormir, à<br />

s’enlacer…<br />

— Je n’ai jamais rien vu dé si triste, mossié… jamais rien dé<br />

pareil…<br />

Au matin — leur présence fut-elle signalée?… ou bien n’étaitce<br />

qu’une patrouille qui faisait sa ronde? — toujours est-il qu’on<br />

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