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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

Le pauvre vieux, profitant d’une accalmie, avait pu courir<br />

jusque chez lui… Le pavé était couvert de culots de cartouches…<br />

Des ivrognes ronflaient au travers des cadavres… Des<br />

blessés se tordaient et gémissaient; d’autres rampaient pour<br />

gagner un abri… Un jeune homme, à barbe rousse, le visage<br />

broyé, essayait de boire, comme un chien la boue rouge <strong>du</strong> ruisseau…<br />

Mais il ne s’arrêtait pas, et courait, courait…<br />

Enfin il avait trouvé sa petite Sonia, endormie, et, penché sur<br />

son matelas, « sans faire <strong>du</strong> bruit », il avait pleuré, pleuré, jusqu’à<br />

ce qu’il fît grand jour.<br />

— C’est la dernière fois que j’ai pleuré dans ma vie, mossié!…<br />

<strong>La</strong> fusillade reprit le lendemain… Le gouverneur avait<br />

défen<strong>du</strong> de tirer sur les pharmacies et l’hôpital, mais les chefs<br />

n’étaient plus maîtres de la troupe. Il y eut des scènes d’une horreur<br />

sauvage…<br />

— On né peut pas croire, mossié!…<br />

Vers midi, l’artillerie d’une ville voisine amena ses canons. Les<br />

notables juifs, mandés au château <strong>du</strong> gouverneur, entendirent<br />

que la ville serait rasée, s’ils refusaient de livrer les terroristes <strong>du</strong><br />

Bound… Ils se lamentèrent, sans pouvoir rien faire…<br />

— Quoi faire?… Dites, mossié…<br />

Deux notables furent gardés en otages et pen<strong>du</strong>s, le soir<br />

même, dans la cour de la prison…<br />

— Nous avions compté sur les « artilléristes », qui sont plus<br />

éclairés, moins méchants… Ach!… Bêtise…<br />

Le canon gronda <strong>du</strong>rant deux jours…<br />

Le vieux s’était arrêté… Lui aussi semblait fatigué de raconter<br />

toutes ces horreurs… Il ne parlait plus que d’une voix molle, un<br />

peu basse comme lointaine… Et il regardait le sol à ses pieds, ou,<br />

plutôt, il ne regardait rien…<br />

Je pris sa main… Il ne bougea pas… Je serrai sa main… Alors<br />

il leva vers moi ses yeux, et me sourit, d’un sourire hébété…,<br />

mais sa main restait molle et froide dans la mienne, comme la<br />

main d’un mort… il ne la retira que pour tracer, par terre, avec la<br />

pointe de son parapluie en loques, le plan de la maison où il<br />

s’était réfugié.<br />

<strong>La</strong> façade s’élevait sur la rue; au milieu s’ouvrait la porte<br />

cochère, épaisse, massive, avec de lourdes pattes et de gros clous<br />

de fer… De chaque côté, un bâtiment perpendiculaire à la<br />

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