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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

officiers de la garde, dont l’un, le plus jeune, était, disait-on, un<br />

grand-<strong>du</strong>c, un cousin de l’Empereur.<br />

Soudain, une détonation, un coup de revolver, fit taire toutes<br />

les conversations… Et ce fut dans un grand silence angoissant<br />

que, la minute d’après, éclata le crépitement d’une fusillade, qui<br />

paraissait lui répondre. Les officiers continuaient de boire, de<br />

causer, comme si rien ne se fût pro<strong>du</strong>it… À leur table, à l’écart,<br />

ils mêlaient leurs têtes… Aux autres tables, des gens anxieux les<br />

désignaient. Quelqu’un osa leur adresser la parole… Ils répondirent<br />

poliment, par des gestes évasifs, en gens qui ne savent rien.<br />

Aucune provocation, aucune ironie… de l’indifférence… Des<br />

femmes criaient… Un enfant s’étant mis à pleurer, le vieux avait<br />

voulu courir à sa petite-fille… Mais, de nouveau, un coup de<br />

revolver fit taire tout le monde. Dans la rue, les volets des boutiques<br />

se fermaient, claquaient sinistrement… Des gens passaient<br />

en fuyant, des gens clamaient Dieu sait quoi!… Personne n’avait<br />

encore osé, dans la salle, reprendre la parole, que cent nouveaux<br />

coups de fusil partaient à la fois… Puis, au dehors, des galops de<br />

chevaux, des cliquetis d’armes… des ordres, des vociférations…<br />

Un homme qu’on eût dit de cire, tête nue, les vêtements en<br />

lambeaux, pénétra, en chancelant, dans le restaurant. On<br />

l’entoura… S’appuyant à une table, avec effort, il dit que le massacre<br />

était organisé, qu’on menait les soldats à l’assaut des boutiques<br />

juives, des maisons juives… On prenait l’argent, les valeurs,<br />

les objets de prix… on prenait les femmes, on tuait… on jetait les<br />

cadavres mutilés, par les fenêtres, dans la rue…<br />

Et, tout à coup, l’homme qui parlait, se tut… tourna sur luimême,<br />

et s’abattit sur le parquet, en entraînant, de ses doigts<br />

crispés, la nappe chargée de vaisselle.<br />

C’est alors seulement qu’on vit que sa chemise était ensanglantée,<br />

et que <strong>du</strong> sang, encore, en longs filaments noirâtres,<br />

poissait à ses cheveux, à sa barbe…<br />

Des cris d’horreur… des protestations indignées, s’élevèrent…<br />

Les quatre officiers avaient disparu.<br />

Au cours de la soirée tragique, les pillards, malgré le planton<br />

de service, envahirent le restaurant; mais la nuit même, le colonel<br />

ordonna de rapporter à l’hôtel une part de butin, des caisses de<br />

vin de Champagne, toutes sortes de victuailles, que les hommes<br />

avaient volées…<br />

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