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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

Puis, encore plus bas :<br />

— Elles étaient rélévées, mossié!… Une femme dé plus qué<br />

cinquante ans!…<br />

Il reconnut alors qu’elle était morte, étranglée, les yeux<br />

ouverts.<br />

Il me regarda un instant, sans rien dire… Une vague de sang<br />

courut sous sa peau jaunâtre, qui en fut à peine rougie… Je revis<br />

la grimace qui faisait remonter la barbe et fronçait le nez… et il<br />

recommença de parler de sa femme, de sa femme bien aimée.<br />

— Uné femme tellément brave… tellément économe!…<br />

Il s’animait. Son haleine devenait insupportable. Je remarquai<br />

qu’il parlait presque sans colère et comme sans douleur… Peutêtre<br />

n’avait-il plus la force d’en exprimer!… Et ce furent mes<br />

yeux que je sentis se remplir de larmes…<br />

— C’était pas assez… Ils ont pris les corps… ils ont pas voulu<br />

rendre les corps, enterrés, la nuit, morts et blessés, pêle-mêle, on<br />

né sait où… Ils ont massacré des juifs, et ils ont pillé, pendant<br />

sept jours… Nous pouvions pas résister… Comment aurionsnous<br />

pu, mossié? Et ils nous giflaient… et ils donnaient des<br />

coups dans lé ventre… et ils crachaient encore sur nous…<br />

Pourquoi?… Ach!… Pourquoi?…<br />

Des incendies s’allumèrent qu’on n’éteignait pas… <strong>La</strong> plus<br />

grande partie <strong>du</strong> pauvre quartier fut détruite… Un de ses enfants<br />

mourut, encore, à l’hôpital, d’un coup de talon de botte qui lui<br />

avait fen<strong>du</strong> le crâne… Et de neuf qu’ils étaient auparavant, à peu<br />

près heureux dans leur misère, ils quittèrent à cinq cette ville<br />

maudite, dépouillés de tout, en deuil pour jamais…<br />

— Vous né savez pas comme ces soldats sont méchants,<br />

mossié… comme ils sont méchants… méchants.<br />

J’écoutai le récit des misères, des iniquités, des privations et<br />

des longues pérégrinations, de ville en ville, de villes interdites<br />

aux juifs, en villages d’où on les chassait à coups de pierres, à<br />

coups de faux… Il ne savait plus de quoi ni comment ils avaient<br />

vécu, <strong>du</strong>rant ce temps affreux… Enfin, le vieux vagabond put<br />

trouver un emploi dans une petite banque… chez un coreligionnaire…<br />

Des enfants qui lui restaient, ses deux fils, dont l’un<br />

s’était marié et avait une petite fille, travaillèrent, à la gare,<br />

comme porteurs…<br />

— Si faibles, mossié, si faibles… et malades!…<br />

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