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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

Émigrants<br />

Des ouvriers de Hongrie, de Roumanie, des paysans serbes,<br />

des prolétaires bulgares, dont le goût s’apparente à celui des<br />

nègres, des troupes de chanteurs russes s’embarquent pour<br />

l’Amérique… Leur lassitude, déjà, fait de la peine… Des femmes<br />

éclatantes et vermineuses, en loques rouges, avec de pauvres<br />

bijoux de cuivre, traînent, comme des baluchons, des enfants qui<br />

pleurent de fatigue, de faim, d’étonnement. On se demande ce<br />

que tout cela va devenir, et s’ils arriveront jamais au bout de<br />

l’exil… On les fait descendre brutalement, on les empile, comme<br />

des marchandises qu’ils sont, au fond des cales, et, <strong>du</strong>rant des<br />

jours et des nuits, ils seront entassés là, pêle-mêle, dans la puanteur<br />

de leur misère et de leur crasse, sans air, presque sans<br />

lumière, à peine nourris, soumis à la discipline la plus <strong>du</strong>re… Ils<br />

n’auront même pas cette sorte de répit qu’est le voyage; ils ne<br />

connaîtront pas cette sorte d’engourdissement, cet anesthésique,<br />

qu’apporte aux plus désespérés ce vague énorme, berceur, de<br />

l’infini de la mer et <strong>du</strong> ciel.<br />

Mais les pires émigrants sont ces juifs de tous pays, cherchant,<br />

une fois de plus, un coin de terre, qu’ils n’ambitionnent pas hospitalier,<br />

mais où ils puissent s’affranchir, un peu, <strong>du</strong> mépris qui<br />

les suit, et rompre les chaînes de cet affreux boulet d’infamie,<br />

qu’ils traînent partout… J’en ai suivi une troupe en sombres guenilles,<br />

qu’aucun spectacle ne laissait indifférents, et qui gesticulaient<br />

avec vivacité… Malgré leur détresse, on devinait en eux un<br />

amour de la vie, une intelligence de la vie, quelque chose<br />

d’ardent, de fort, de tenace qu’on ne voit presque jamais au<br />

visage des autres hommes… On sentait vraiment, rien qu’à les<br />

considérer, tout ce qu’on détruit bêtement d’énergie utile, de travail<br />

ingénieux, de progrès, en les massacrant, dans les pays barbares,<br />

comme la Russie, en les boycottant, dans les pays civilisés,<br />

comme la France.<br />

Et je me disais :<br />

— C’est douloureux et absurde, sans doute; cela étreint le<br />

cœur et confond la raison… Mais qu’y faire? Le juif pauvre paie<br />

pour le juif riche… le juif ostentatoire, insolent, voluptueux,<br />

conquérant, qui, de plus en plus, perd toutes les vertus anciennes<br />

de la race… Ce n’est même plus sous son nom, dont il a honte et<br />

qu’il renie, c’est maintenant, sous des noms d’emprunt, des noms<br />

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