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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

oubli des déchéances, illusion de l’aventure, rajeunissement des<br />

énergies malchanceuses… Le départ fait joyeuses les pires<br />

détresses… car, pour les malades, le remède n’est jamais là où ils<br />

souffrent… il est là-bas… C’est qu’on a l’espace devant soi et<br />

pour soi… et, qu’ayant l’espace, on a le temps aussi, et qu’au<br />

bout de l’espace et <strong>du</strong> temps cela ne peut être que le bonheur…<br />

Le voyage est un engourdissement, un sommeil que peuplent les<br />

songes heureux… Mais un rien vous réveille et fait s’envoler les<br />

songes… Il suffit de la première forme rencontrée en ce vague<br />

énorme qui vous berce; il suffit de la première ville où l’on<br />

atterrit, <strong>du</strong> premier visage humain où se confrontent à nouveau<br />

nos égoïsmes implacables… Et quand on arrive, c’est la réalité<br />

qui vous reprend, partout… partout… partout…<br />

*<br />

* *<br />

Les membres que, de tous côtés, en grinçant, les grues agitent,<br />

multiplient l’effort des bras humains. Les manœuvres, les<br />

dockers aux poitrines velues, aux dos écrasés, aux yeux hagards,<br />

à la face de bêtes fourbues, qui paraissent condamnés à quelque<br />

vain supplice de l’antiquité, déchargent les cales, qu’ils vont remplir,<br />

pour les décharger et les remplir, sans relâche. C’est à croire<br />

que les bateaux ne font le tour <strong>du</strong> monde que pour occuper interminablement<br />

leur effort de farouches Danaïdes.<br />

Tapirs<br />

Il y a mieux qu’une odeur de mer sur ces quais… On y respire<br />

les Îles et tout un fiévreux parfum d’Afrique. On voit passer des<br />

nègres qui grelottent, des oiseaux qui secouent, parmi des cris<br />

rauques, une infinité de couleurs, des troupes de singes, curieux,<br />

bavards, où nous aimons toujours à mirer nos grimaces, des animaux<br />

de toute sorte.<br />

J’ai assisté au débarquement de vingt tapirs. Admirables bêtes<br />

et bien modernes, quoique l’on sente qu’elles se sont arrêtées<br />

dans leur évolution, dont l’idéal terminus est peut-être le porc et<br />

peut-être l’éléphant. Ils ne paraissaient étonnés ni de la foule, ni<br />

de la ville… Ils ne paraissaient étonnés de rien. Ils considéraient<br />

tout avec une tranquillité pesante, une assurance impassible et<br />

<strong>du</strong>re. On eût dit de vingt directeurs de banque — tout un conseil<br />

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