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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

lave une épure, combine des chiffres, brasse les affaires et<br />

l’argent.<br />

Du moins, l’affirment avec ostentation, avec éclat, les enseignes<br />

dorées qui resplendissent aux façades des maisons, et les<br />

maisons elles-mêmes, les gares, certains monuments publics qui<br />

affichent cet orgueilleux monumentalisme que l’Allemagne a pris<br />

à l’Amérique, et dont l’Amérique, peu à peu, dote toutes les capitales<br />

modernes, sauf Paris qui, artiste, élégant, arbitre <strong>du</strong> goût,<br />

s’obstine à multiplier, en nos rues, l’aspect alourdi, parodique,<br />

d’un dix-huitième siècle de pacotille et de caricature.<br />

C’est à Anvers, dans un immeuble d’affaires, que j’ai vu, pour<br />

la première fois, en Belgique, ces ascenseurs allemands, sorte de<br />

trottoirs roulants, perpendiculaires, que l’on prend en marche,<br />

que l’on quitte en marche et qui, sans s’arrêter jamais, mènent<br />

jusqu’au toit et redéposent à la rue, dans un vertige, ces gens<br />

agités qui accourent de la Bourse ou qui s’y ruent.<br />

Le Roi a obtenu des millions pour fortifier Anvers. Ces fortifications<br />

ont de la prestance. Les Belges en sont très fiers. Ils prétendent<br />

que la ville est imprenable. Le malheur est qu’elle est<br />

déjà prise. Je veux croire que les uhlans auraient plus de peine à y<br />

pénétrer que dans Nancy. Mais pourquoi feraient-ils cette folie<br />

inutile d’y pénétrer par la force? Leurs familles y pullulent, y<br />

dominent, solidement installées en des places où la garde civique<br />

ne les délogera pas facilement.<br />

Mais voici des rues noires, des chaussées que l’on dirait faites<br />

avec de la poussière de charbon; des maisons crasseuses, saurées,<br />

une foule de petits cabarets louches, de petites auberges borgnes,<br />

de petites boutiques, d’étranges petits comptoirs, tassés les uns<br />

contre les autres… tout un mouvement trépidant de tramways<br />

qui cornent, de locomotives qui sifflent, de lourds camions… Et<br />

des figures boucanées, des figures exilées, des figures d’autre<br />

part, de nulle part et de partout… des entassements de sacs, des<br />

piles de caisses, des barriques roulantes… et des douaniers,<br />

affairés, méfiants, martiaux, qui, contre de pauvres choses<br />

mortes, lancent leurs sondes, comme des baïonnettes, en vertu<br />

de ce principe que le commerce, c’est la guerre…<br />

Et tout cela sent la suie, le poisson salé, l’alcool, la bière,<br />

l’huile grasse, le bois neuf, le vieux cuir et l’orange…<br />

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