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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

ne peut s’empêcher, lui aussi, avec combien de précautions cérémonieuses<br />

et comiques, de toucher cette peau, de palper cette<br />

peau… Ah! cette peau!<br />

Cette curiosité, parfois gênante, ne va plus nous quitter désormais…<br />

Elle nous suivra, dans toute la Hollande, sauf à<br />

Amsterdam, à <strong>La</strong> Haye, et elle atteindra son paroxysme à<br />

Volendam où, pourtant, les hommes, des colosses à la face de<br />

brique, au regard doux, sont coiffés de hauts bonnets de fourrures,<br />

comme des Tcherkesses…<br />

*<br />

* *<br />

Je n’aime plus les vieilles villes, ni les vieux quartiers puants<br />

des vieilles villes, ni les vieilles ruelles obscures qui dégringolent<br />

les unes dans les autres, ni les vieux pignons gothiques où<br />

s’exerce l’érudition hebdomadaire des sociétés d’art départemental<br />

qui, le dimanche, s’en vont grattant et regrattant les<br />

portes jadis sculptées, les chambranles et les poutres aux historiages<br />

disparus… Je n’aime plus les vieux porches s’ouvrant sur<br />

des cours en ruine qui ne virent jamais le soleil et, des fleurs, ne<br />

connurent que la mousse et le lichen… Et je n’aime plus les vieux<br />

ponts sous lesquels dorment des eaux noires et putrides. Si le pittoresque<br />

m’en plaît tout d’abord; si je suis tout d’abord sé<strong>du</strong>it<br />

par le dessin souple et compliqué de ces arabesques, par cette<br />

patine, faite de crasses accumulées, que le temps polit et modela;<br />

si ce faux « sentiment artiste » que je dois à une é<strong>du</strong>cation<br />

régressive, me retient quelques minutes devant ce spectacle de la<br />

détresse, de la déchéance, et de la mort, un autre sentiment —<br />

un sentiment de révolte et de dignité humaine — m’en éloigne<br />

bien vite avec horreur. Car j’y vois le triomphe de l’or<strong>du</strong>re, de la<br />

maladie, de la paresse, où croupit toute la poésie <strong>du</strong> passé, où<br />

s’étiolent misérablement les réalités <strong>du</strong> présent…<br />

Est-ce curieux, est-ce décourageant, cette persistance de la<br />

poésie à n’aimer que ce qui est morbide, ce qui est vieux, ce qui<br />

est mort, et à condamner, au nom d’une beauté imbécile et stérile,<br />

le jeune et magnifique effort que font les hommes<br />

d’aujourd’hui, pour soumettre à une domination créatrice l’élément<br />

indompté et toutes les farouches forces que la nature<br />

n’employait qu’à la destruction?<br />

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