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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

S’il y a une beauté des êtres et des objets qui soit n’importe<br />

quoi d’autre que le fait de répondre pleinement, exclusivement, à<br />

leur destin ou à leur emploi… alors, monsieur Mauclair, je suis<br />

comme vous, je ne sais pas ce que c’est que la beauté.<br />

L’esthétique des objets d’art est infiniment plus mystérieuse<br />

et, par conséquent, infiniment plus confuse… Mais c’est le<br />

propre de toute magie qu’il lui faille un grimoire.<br />

*<br />

* *<br />

Entre les machines que la sensibilité, que l’imagination de<br />

l’homme a créées pour s’affranchir de ses mille servitudes et se<br />

rapprocher de l’élément, c’est donc la barque et l’auto que je préfère.<br />

Emporté par l’une ou par l’autre, je goûte la même volupté<br />

cosmique; la même ivresse m’exalte… À leur bord, je suis au<br />

bord de l’espace. Chaque tour de roue, comme chaque coup de<br />

l’hélice, ou le simple effort de la voile, sous la poussée <strong>du</strong> vent,<br />

multiplie à l’infini les circonférences d’air ou d’eau, concentriques<br />

à mon regard, avec sa portée pour rayon, et leur addition<br />

vertigineuse fait ma notion de l’espace mouvant…<br />

Alors, peu à peu, j’ai conscience que je suis moi-même un peu<br />

de cet espace, un peu de ce vertige… Orgueilleusement, joyeusement,<br />

je sens que je suis une parcelle animée de cette eau, de cet<br />

air, une particule de cette force motrice qui fait battre tous les<br />

organes, tendre et détendre tous les ressorts, tourner tous les<br />

rouages de cette inconcevable usine : l’univers… Oui, je sens<br />

que je suis, pour tout dire d’un mot formidable : un atome… un<br />

atome en travail de vie…<br />

*<br />

* *<br />

Il m’enchante que les formes de l’auto et de la barque s’apparentent;<br />

que le vent coupe, en marche, les mots toujours si inutiles,<br />

comme la mer impose le silence; que marin et chauffeur<br />

n’aient pas en commun que le goût de se taire, qu’il leur faille<br />

encore, à l’un, au volant de sa machine, comme à l’autre, à la<br />

barre de son navire, le même esprit de décision rapide devant<br />

l’obstacle soudain qui se dresse, la même froide tranquillité<br />

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