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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

participer aux rythmes de toute la vie, de la vie libre, ardente, et<br />

vague, vague, hélas! comme nos désirs et nos destinées…<br />

*<br />

* *<br />

<strong>La</strong> locomotive qui me fut chère, jadis, je ne l’aime plus. Elle<br />

est sans fantaisie, sans grâce, sans personnalité, trop asservie aux<br />

rails, trop esclave des stupides horaires et des règlements tyranniques.<br />

Elle est administrative, bureaucratique; elle a l’âme<br />

pauvre, massive, sans joies, sans rêves, d’un fonctionnaire qui,<br />

toute la journée, fait les mêmes écritures sur le même papier et<br />

insère des fiches, toujours pareilles, dans les cases d’un casier qui<br />

ne change jamais. Sur ses voies clôturées, entre ses talus d’herbe<br />

triste, elle me fait aussi l’effet d’un prisonnier, à qui il n’est<br />

permis de se promener que dans le chemin de ronde de la prison.<br />

Trop gauche pour plier ses grossiers assemblages, ses articulations<br />

raidies, à la jolie courbe des virages, trop lourde, trop vite<br />

essoufflée pour escalader les pentes, elle s’enfonce, pour un rien,<br />

dans les tunnels, comme un rat peureux dans les ténèbres de son<br />

terrier.<br />

Elle n’est pas si vieille pourtant, et ce n’est déjà plus rien. De<br />

même que tant de formes régressives, qui ne correspondent plus<br />

aux besoins de l’homme nouveau, elle doit fatalement disparaître…<br />

Mais dans combien de siècles?<br />

Soyons justes envers elle. Elle eut son heure de gloire, et,<br />

quand on va de Zurich à Innsbruck, traîné par elle, à travers les<br />

hardis défilés de l’Arlberg, sa gloire <strong>du</strong>re encore. Il est vrai que la<br />

plus grande part en revient aux ingénieurs audacieux qui surent<br />

tailler, pour elle, dans la roche, au flanc des gorges, des chemins<br />

là où jadis n’osaient pas s’aventurer les chamois et les pâtres…<br />

*<br />

* *<br />

L’homme ne s’est vraiment surpassé que quand il a construit<br />

des machines qu’il a pu douer de la vertu de se mouvoir librement,<br />

à l’heure de son besoin, à la minute même de son caprice.<br />

Telle l’auto.<br />

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