06.05.2013 Views

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

OCTAVE MIRBEAU<br />

d’eau, crevée, a, en cet endroit, amolli, affaissé le sol, et transformé<br />

la route en un lac de boue gluante et profonde… Il nous<br />

faut l’aide, un peu humiliante, de deux chevaux, tirant à plein<br />

collier, pour arracher la voiture de cette fondrière…<br />

Et les pavés reprennent leurs on<strong>du</strong>lations suppliciantes…<br />

Ah! ces routes!… ces routes!<br />

Heureusement que la bonne C.-G.-V. est résistante à miracle<br />

et si bien assemblée, que pas un boulon ne manque, après ce raid<br />

audacieux… pas un n’est desserré… Furieuse d’avoir dû<br />

demander <strong>du</strong> secours au cheval, on ne peut pas la maîtriser. Il y a<br />

des moments où elle ne tient plus au sol… Elle vole, vole dans<br />

l’air comme un ballon… Nous serons au port, dans quelques<br />

minutes… à moins, que nous ne soyons, gisant sur la route,<br />

broyés et le ventre ouvert!…<br />

Un port<br />

Spectacle merveilleux que celui d’un grand port, et toujours<br />

nouveau! Monde effarant où tout l’univers tient à l’aide entre les<br />

docks d’un bassin, où, dans un prodige de couleur, s’entrechoquent<br />

les réalités implacables de l’argent, <strong>du</strong> commerce, de la<br />

guerre, et les féeries les plus délicieuses! Masses noires et roulantes<br />

qui portent dans leurs soutes l’imagination, le génie, la<br />

fécondité, l’or<strong>du</strong>re, les richesses, la mort de toute la terre!…<br />

Tumulte, sur les eaux clapotantes, des petits remorqueurs<br />

enragés et des lourds chalands, autour desquels les mouettes<br />

blanchissent et jaillissent, comme des flocons d’écume autour<br />

d’un récif! Sur les quais, parmi les ballots, les tonnes de graisse et<br />

de saindoux, les laines et les peaux, aux odeurs de pourriture,<br />

grouillement des torses nus, ployant sous le faix, et des pauvres<br />

gueules contractées de fatigue et de révolte! Travail des<br />

machines qui, sans cesse criant, soulèvent et promènent dans<br />

l’espace, au bout de leurs bras de fer, les charges pesantes, molles<br />

comme des nuées!… Silhouettes légères, aériennes, des voilures,<br />

des mâtures. — « Tes cheveux sont des mâtures… Ta robe glisse<br />

sur la pelouse <strong>du</strong> jardin, comme une petite voile rose, sur la<br />

mer… »<br />

Et entre tout cela qui grince, qui halète, qui hurle et qui<br />

chante, l’entassement muet d’une ville, et la vaporisation, dans le<br />

155

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!