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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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LA <strong>628</strong>-<strong>E8</strong><br />

une foule de peintres, de poètes, d’orateurs et de militaires…<br />

Mais il avait un idéal plus fier.<br />

Né au milieu d’un pays de travail et de souffrance, vivant dans<br />

une atmosphère homicide, ayant toujours sous les yeux le<br />

lugubre spectacle de l’enfer des mines, le drame rouge de l’usine,<br />

il fit des ouvriers.<br />

Il les peignit d’abord; ensuite, il les modela.<br />

Ardemment, il se passionna à leurs labeurs, à leurs misères, à<br />

leurs révoltes. Il comprit la rude beauté tragique de leurs torses,<br />

la musculature contractée, violente de leurs gestes, la tristesse<br />

haletante, farouche, <strong>du</strong>rcie de leurs faces souterraines. Il tenta de<br />

styliser, de ramener vers la simplicité linéaire <strong>du</strong> drapement<br />

antique, leurs tabliers de cuir, leurs bourgerons collants, leurs<br />

pauvres hardes de travail. Et surtout il s’émut — car il était infiniment<br />

bon, et il rêvait toujours de justice —, de ce que contient<br />

d’injustice sociale, d’âpre exploitation capitaliste et politique, la<br />

destinée de ces parias, à qui il est dévolu de ne trouver leur<br />

maigre existence quotidienne que dans l’effroi, ou dans l’usure<br />

lente d’un métier, auprès de quoi le bagne semble presque une<br />

douceur.<br />

De tout cela il sut tirer des accents assez nobles, des apparences<br />

sculpturales assez fortes, de la pitié. On lui doit trois<br />

œuvres presque entièrement belles : une Figure de paysanne, au<br />

visage usé, aux yeux morts, aux seins taris; le Cheval de mine; la<br />

Femme au grisou, cette dernière, surtout, d’une composition<br />

ample et simple, d’un métier plus serré. C’est déjà beaucoup.<br />

Malheureusement, venu trop tard à la sculpture, qui est un art<br />

très difficile, ennemi <strong>du</strong> trucage et <strong>du</strong> trompe-l’œil, Constantin<br />

Meunier, en dépit de ses dons réels, de sa passion, de sa forte<br />

compréhension de la vie ouvrière, ne connut pas très bien son<br />

métier. Son modelé est pauvre, parfois désuni, sa forme souvent<br />

lourde, ses plans pas assez nombreux, pas assez colorés, ses<br />

contours secs… Il ne sait pas toujours combiner avec harmonie<br />

un monument, architecturer un ensemble, grouper des figures…<br />

On sent trop l’effort en tout ce qu’il fait. <strong>La</strong> souplesse qui donne<br />

la vie, le mouvement à la matière, est peut-être ce qui lui manque<br />

le plus. Seul, le morceau vaut ce qu’il vaut, et, le plus souvent il<br />

n’a qu’une valeur — par conséquent, une illusion — de littérature.<br />

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