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La 628-E8 - Octave Mirbeau - Éditions du Boucher

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OCTAVE MIRBEAU<br />

souple, mol et léger; les deux petites filles, en blanc aussi, jambes<br />

nues, avec d’immenses chapeaux de paille et de dentelles…<br />

Toutes les trois, elles jouent à se poursuivre, autour d’une caisse<br />

verte où fleurit un grand laurier rose. Très raide, très digne, tout<br />

en noir, la gouvernante s’est assise sur un banc, près de la porte,<br />

un paquet d’ombrelles et de manteaux sur les genoux, un livre,<br />

non ouvert, à la main. Elles attendent, sans doute, une voiture<br />

commandée qui ne vient pas plus que n’est venu mon<br />

déjeuner… Le portier, tout galonné d’or, inspecte la place et les<br />

rues d’un air inquiet.<br />

Je m’arrête à considérer cette jeune femme, qui est bien plus<br />

enfant que ses deux petites filles. Je n’ai jamais vu de si beaux<br />

cheveux blonds, blonds comme à certains jours, est blonde cette<br />

mer si merveilleusement blonde <strong>du</strong> Nord. Je n’ai jamais vu une<br />

nuque mieux infléchie, d’une pulpe plus soyeuse. Les yeux bleus<br />

sont d’une candeur puérile, adorable. Ah! comme ils ignorent<br />

Nietzsche, et comme leur est indifférent ce Rembrandt, dont la<br />

Ronde de Nuit leur est inexplicable et ridicule, puisqu’on n’y voit<br />

pas des petites filles qui dansent, le soir, dans un jardin…<br />

Chaque mouvement <strong>du</strong> buste, des bras, des jambes qui, souvent,<br />

se devinent sous la batiste brodée de la robe, chaque balancement<br />

des hanches, chaque pli de la jupe est une élégance, une<br />

caresse, une invention de beauté, une fête émouvante de la vie.<br />

Bien qu’elle soit fine de lignes, d’apparence presque délicate, on<br />

la sent ronde et ferme avec une peau qui, certainement, irradie<br />

de la lumière, comme, au crépuscule, ces grands iris blancs de<br />

Florence…<br />

Tout à coup, elle pousse un petit cri d’oiseau, s’arrête de<br />

courir, se hausse sur la pointe de ses souliers mordorés, allonge<br />

divinement les bras, tend son buste élastique, et prend je ne sais<br />

quoi sur une branche <strong>du</strong> laurier.<br />

Les deux petites trépignent, tapent dans leurs mains :<br />

— Donne… donne… maman.<br />

Et je vois dans sa main, gantée de suède <strong>du</strong> même blond que<br />

les cheveux, une coquille de petit escargot, sèche et vide.<br />

— Ah! le pauvre petit!… Il est mort… dit-elle avec un air de<br />

consternation délicieuse… Il est mort!<br />

Je crois bien qu’il est mort, le pauvre escargot… Il est mort<br />

depuis des millions d’années, car c’est un escargot fossile… Avec<br />

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