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En efforts impuissants leur maître se consume;<br />
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume<br />
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,<br />
Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux.<br />
A travers les rochers la peur les précipite;<br />
L' essieu crie et se rompt: l'intrépide Hippolyte<br />
Voit voler en éclals tout son char fracassé;<br />
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.<br />
Excusez ma douleur; cette image cruelle<br />
Sera pour moi de pleurs une source éternelle:<br />
J'ai vu, seigneur, j'ai vu votre malheureux fils<br />
Traîné par les chev<strong>au</strong>x que sa main a nourris.<br />
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie:<br />
Ils courent: tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.<br />
De nos cris douloureux la plaine retentit.<br />
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit<br />
Ils s'arrêtent non loin de ces tombe<strong>au</strong>x antiques<br />
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.<br />
La chatte s'en émeut; Jacquot n'a plus chanté;<br />
Azor, votre épagneul, recule épouvanté.<br />
Tout fuit et, sans s'armer d'un courage inutile,<br />
Dans le bûcher voisin chacun cherche un asile.<br />
Jeannot, Jeannot, lui seul, digne d'un sort plus be<strong>au</strong>,<br />
Arréte les fuyards, saisit son grand coute<strong>au</strong>,<br />
Court <strong>au</strong> chat... mais, la peur rendant sa main peu sûre,<br />
Il ne lui fait, hélas! qu'une faible blessure.<br />
De faim et de douleur le matou bondissant<br />
S<strong>au</strong>te sur le gigot... mais Jeannot, rugissant,<br />
Se retourne et lui lance une bûche enflammée<br />
Qui le couvre de feu, de cendre et de fumée.<br />
Pourtant la faim l'emporte et, sourd à cette fois,<br />
Il ne reconnaît plus ni Jeannot, ni sa voix;<br />
En efforts impuissants mon époux se consume,<br />
Il rugit, il se mord, il sanglote, il écume:<br />
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,<br />
La chatte secondant le vieux chat tout cendreux.<br />
A travers l'escalier la peur les précipite,<br />
Le plat tombe et se rompt... Jeannot, qui s'en irrite,<br />
Voit voler en lambe<strong>au</strong>x son gigot dispersé;<br />
Par la colère enfin il tombe terrassé.<br />
Excusez ma douleur! cette scène cruelle<br />
Sera pour moi, de pleurs, une source éternelle;<br />
J'ai vu, monsieur, j'ai vu ces deux chats allouvis,<br />
Traîner ce bon gigot, puis en être assouvis.<br />
Je veux les rappeler, mais ma voix les effraye;<br />
Ils courent, Jeannot meurt... pour mon cœur quelle plaie!<br />
De mes cris douloureux l'office retentit!...<br />
Leur rage carnassière enfin se ralentit.<br />
Ils s'arrêtent, non loin des armoires antiques<br />
Où sont les vieux habits de tous vos domestiques.<br />
J'y cours en soupirant, et sa garde me suit:<br />
De son généreux sang la trace nous conduit.<br />
Les rochers en sont teints; les ronces dégouttantes<br />
Portent de ses cheveux les depouilles sanglantes.<br />
J'arrive, je l'appelle; et me tendant la main,<br />
Il ouvre un œil mourant qu' il referme soudain:<br />
— Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie.<br />
Prends soin, après ma mort de la triste Aricie.<br />
Cher ami, si mon père un jour désabusé<br />
Plaint le malheur d'un fils f<strong>au</strong>ssement accusé,