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les romantiques, voulaient la débarrasser de toutes les broussailles grammaticales dont on la hérissait.<br />

(Elles existaient pourtant depuis sa naissance.)<br />

Quelques champions obstinés se sont retranchés derrière leur muraille de la Chine. Ils persévèrent à<br />

vouloir assujettir la poésie provençale <strong>au</strong>x formes disparates et à la prosodie de la poésie française. Le<br />

provençal, comme les langues hellénique et italienne, a ses dialectes variés et ses libertés linguistiques,<br />

sœurs de ses antiques libertés politiques. Elle a trop d'indépendance dans son caractère et ses allures<br />

pour se coucher volontairement sur le lit de Procuste.<br />

A quoi bon mettre à l'infinitif des verbes l'appendice d'un r qui ne se prononce pas et, <strong>au</strong> pluriel, des s<br />

superflus? Pourquoi écrire les mots différemment de ce qu'on les prononce? La solution a été donnée<br />

par les Félibres qui ont rendu les ailes à la poésie... (après les lui avoir coupées), et ces derniers ont<br />

formé une grande unité <strong>au</strong> milieu de quelques diversités rétives et systématiquement récalcitrantes.<br />

J'avoue, en toute humilité, que j’ai fait partie <strong>au</strong>trefois de la tribu des classiques; mais, partisan avant<br />

tout du progrès et ne voulant pas rester en arrière... je me suis empressé de prendre rang dans la<br />

glorieuse phalange commandée par Mistral, avec tous mes amis, avec l'élite et la majorité des poètes de<br />

la Provence.<br />

Agréez, <strong>Mo</strong>nsieur, etc.<br />

Eh bien! intelligent et impartial lecteur, vous qui n'êtes pas sous l'influence d'un parti pris, que ditesvous<br />

de ce raisonnement? Voilà un poète provençal, instruit, spirituel, très fécond, faisant les vers<br />

comme les pommiers font des pommes, et avec la même facilité; se servant très bien de sa langue, et<br />

l'écrivant très mal pourtant. Il doit avoir étudié notre idiome, son origine antique, ses modifications<br />

successives jusqu' à ce jour... Comment donc expliquer sa fugue de la tribu des classiques et sa<br />

préférence pour les romantiques?<br />

Partisan avant tout du progrès, dit-il, et ne voulant pas rester en arrière, je me suis empressé de prendre<br />

rang dans la glorieuse phalange... avec l'élite des poètes de la Provence.<br />

Mais, mon cher ami, lui dirais-je s'il était là (car c'est un ami) pouvez-vous considérer comme un<br />

progrès pour un écrivain d'élite, cette destruction totale des principes fondament<strong>au</strong>x d'une langue<br />

antique qui tire son origine du latin? (du grec <strong>au</strong>ssi) Pouvez-vous dire que cette langue a trop d'<br />

indépendance dans son caractère et ses allures pour se coucher volontairement sur le lit de Procuste?<br />

Mais, réfléchissez, mon cher confrère; c'est bien vous (les romantiques) qui, <strong>au</strong> mépris de toutes les<br />

traditions, l'avez couchée de force sur le lit de cet homme cruel et lui avez sans piété retranché ses<br />

belles lettres de noblesse, que son père lui avait léguées pour preuves de sa respectable origine, mais<br />

qui sont, à la vérité, de grands embarras dans la versification.<br />

Ah! loin d'avoir progressé et conservé la physionomie qu'elle avait <strong>au</strong>x XIe et XIIe siècles, lorsque<br />

certains actes s'écrivaient en phrases alternatives latines et romanes (Statistique des Bouches-du-<br />

Rhône, t. 3, p. 156, XIIe siècle), vous l'avez mutilée et rendue méconnaissable dans ses singulier,<br />

pluriel, infinitif et participe. Lisez La Vie de sainte Douceline et vous y trouverez de nombreux<br />

passages comme celui-ci:<br />

E per so que s'arma tengues plazent a Dieu, continuamens si lavava, e de jors e de nuegz, am gram<br />

plueia de lagremas; que a son cors ni a sa freolesa non perdonava. En tant que cant tot era mal<strong>au</strong>ta, non<br />

laissava passar aquella hora de la nuech que avia costumada de plorar.<br />

Allons, messieurs les Félibres, avouez que si le torrent des âges doit entraîner, avec les vieux us et<br />

coutumes, le langage de nos pères, vous y <strong>au</strong>rez contribué pour une large part, en établissant un dernier<br />

schisme et en foulant <strong>au</strong>x pieds les règles unitaires qui pouvaient seules prolonger sa vie. Puissé-je<br />

voir, avant de mourir, un salutaire retour contre ces tendances regrettables; sinon je vous lègue une<br />

prédiction pénible à mon cœur. A force d'élaguer les soi-disant broussailles, dans un temps très<br />

prochain vos œuvres ne seront plus comprises de nos petits-fils, même accompagnées d'une<br />

traduction: le chant du cygne se sera fait entendre avec Mirèio; la langue provençale sera morte, non de<br />

sa belle mort mais par votre f<strong>au</strong>te!<br />

Il a suffi, hélas! de quelques années pour voir nos belles vignes détruites par le phylloxéra; serionsnous<br />

réellement condamnés à déplorer de même la perte du langage de nos aïeux, cruellement<br />

martyrisé par le Félibrige? Je me refuse à le croire et ma conviction demeure que sa vitalité résistera à<br />

ces attaques peu filiales.

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