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Aller au-delà des grammaires des cultures à l'université ... - Users

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<strong>Aller</strong> <strong>au</strong>­<strong>del<strong>à</strong></strong> <strong>des</strong> <strong>grammaires</strong> <strong>des</strong> <strong>cultures</strong> <strong>à</strong> l’université: apprendre <strong>à</strong> dépister les<br />

impostures de l’interculturel dans les discours de recherche<br />

Fred, Dervin<br />

Université de Turku, Finlande<br />

« Il ne f<strong>au</strong>t pas oublier que l’hétérogénéité, même si elle est be<strong>au</strong>coup plus dérangeante,<br />

même si elle est be<strong>au</strong>coup plus difficile <strong>à</strong> penser, est source de vie » Michel Maffesoli<br />

Cette contribution trouve sa place dans mes trav<strong>au</strong>x sur les discours<br />

contemporains sur l’interculturel et part du constat que l’interculturel et les concepts<br />

afférents représentent souvent <strong>des</strong> notions vi<strong>des</strong> et doxiques mises en circulation par le<br />

politique, les médias, la doxa, et même par les discours de recherche. D’ailleurs, peu<br />

d’étu<strong>des</strong> ont systématiquement travaillé sur le traitement de la notion dans ces derniers –<br />

alors que son archéologie semble de plus en plus urgente face <strong>à</strong> la confusion que le terme<br />

engendre. C’est en quelque sorte l’objectif que je me suis fixé ici <strong>à</strong> partir d’une<br />

expérience en didactique <strong>des</strong> langues et de l’interculturel <strong>à</strong> l’université.<br />

L’étude qui va suivre part du contexte <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> françaises en Finlande, dans<br />

lequel les approches de l’interculturel sont relativement instables et peu documentées.<br />

Certains départements optent pour <strong>des</strong> approches dites culturalistes­objectivistes où les<br />

étudiants sont nourris de « <strong>grammaires</strong> de <strong>cultures</strong> » alors que d’<strong>au</strong>tres y préfèrent <strong>des</strong><br />

approches de types critiques et réflexives [1] [2] [3] [4]. Ma propre approche est inspirée<br />

<strong>des</strong> apports <strong>des</strong> théories postmodernes (Z. B<strong>au</strong>man, U. Hannerz, M. Maffesoli… ) et de<br />

l’analyse <strong>des</strong> discours (S. Marnette, P. Linell… ). La démarche insiste sur le besoin de<br />

former les apprenants <strong>à</strong> déconstruire les discours sur les concepts de culture, d’identité,<br />

du Soi et de l’Autre et <strong>à</strong> s’éloigner <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> qui les orientent vers l’apprentissage<br />

passif et non critique de « la culture de l’Autre ».<br />

Les extraits de corpus tirés d’un cours intitulé Didactique de l’interculturel donné<br />

en Licence (8 semaines / 5h par semaine), permettront de montrer comment une<br />

démarche de type critique et réflexive sur les discours sur l’interculturel peut amener <strong>des</strong><br />

apprenants de langues <strong>à</strong> aller <strong>au</strong>­<strong>del<strong>à</strong></strong> de démarches culturalistes. Les objectifs du cours<br />

sont doubles : prendre conscience de la complexité discursive <strong>au</strong>tour de l’interculturel et


<strong>des</strong> « impostures » potentielles de certaines démarches et discours scientifique. Il s’agit<br />

<strong>au</strong>ssi de faire réfléchir <strong>au</strong>x responsabilités éthiques <strong>des</strong> chercheurs quand ils traitent<br />

d’une thématique qui met en scène <strong>des</strong> sujets complexes [5].<br />

L’article est divisé en deux gran<strong>des</strong> parties, d’une part, on traitera <strong>des</strong> types<br />

d’approches observables dans la didactique de l’interculturel puis, on examinera <strong>des</strong><br />

analyses opérées par <strong>des</strong> étudiants linguistes d’articles de recherche en didactique de<br />

l’interculturel.<br />

1. Trois pôles discursifs sur l’interculturel<br />

Pour le jeune chercheur, entrer dans les mon<strong>des</strong> de l’interculturel pose souvent<br />

<strong>des</strong> problèmes en termes de positionnements épistémologiques et méthodologiques. Un<br />

certain nombre d’écrits sur l’interculturel ont proposé <strong>des</strong> moyens d’analyser les<br />

approches de l’interculturel applicables <strong>au</strong> contexte qui nous intéresse ici, i.e. celui de la<br />

recherche. Trois pôles discursifs sur l’interculturel ont pu ainsi être identifiés <strong>à</strong> travers les<br />

catégories proposées par les chercheurs. Nous passons chaque pôle en revue de façon<br />

assez succincte dans ce qui suit et renvoyons le lecteur <strong>à</strong> l’analyse détaillée que nous<br />

avons proposée de ces pôles [6]. Les trois pôles s’intitulent 1. Culturaliste­objectiviste, 2.<br />

critique­(inter)subjectiviste et 3. janusien ou semi­subjectiviste. Le premier pôle<br />

correspond <strong>au</strong>x <strong>grammaires</strong> <strong>des</strong> <strong>cultures</strong> qui tentent d’objectiviser l’altérité et le soi par<br />

<strong>des</strong> <strong>des</strong>criptions soli<strong>des</strong> et statiques de leurs « <strong>cultures</strong> » ou identités. Ce sont <strong>au</strong>x<br />

différences que s’intéressent essentiellement les adeptes de ce modèle. Le deuxième pôle<br />

discursif se place directement dans les paradigmes postmodernes <strong>des</strong> identités et <strong>des</strong> co­<br />

constructions de soi, du « même » (individu du même pays que soi) et de l’Autre. Ce<br />

pôle, représenté par les trav<strong>au</strong>x de M. Abdallah­Pretceille dans les mon<strong>des</strong> francophones,<br />

souligne les diverses diversités de chacun et examine comment par ex. le concept de<br />

culture (un concept piégé [7]) est utilisé en interaction pour mettre en scène, manipuler…<br />

Ainsi, <strong>à</strong> l’inverse du pôle précédent, la diversité de façade n’est pas considéré comme un<br />

objectif de recherche. Le dernier pôle vient en fait justifier l’emploi du terme pôle pour<br />

parler de ces modèles. En effet, les deux pôles précédents se superposent souvent dans les<br />

discours sur l’interculturel et la diversité et mènent ainsi <strong>à</strong> <strong>des</strong> discours instables du type<br />

je n’ai pas de stéréotype mais les Français sont… ou en recherche, un recours <strong>à</strong> un


paradigme postmoderne contrebalancé par <strong>des</strong> analyses quantitatives catégorisantes et<br />

adjectivantes. Nous l’avons nommé janusien car il est <strong>à</strong> double face…<br />

La protéophilie que nous proposons depuis 2006 (protéo = pluralité, philie =<br />

appréciation) correspond <strong>au</strong> développement de savoir­faires/savoir­agirs qui sont<br />

largement inspirés <strong>des</strong> trav<strong>au</strong>x de l’analyse du discours, de l’énonciation [8] et <strong>des</strong><br />

dialogismes [9]. Cette méthode forme les apprenants­spécialistes de langues <strong>à</strong> traiter<br />

l’interculturel de façon (inter­)subjectiviste et <strong>à</strong> reconnaître l’agencement de chaque<br />

individu et l’entrelacement <strong>des</strong> discours dans les rencontres. Elle tente également de<br />

provoquer une attitude davantage active dans ces interactions et de s’éloigner d’une<br />

simple acceptation naïve <strong>des</strong> discours de diversité de façade (ex : je suis estonien c’est<br />

pour cela que je… et que je ne peux pas faire comme tu fais).<br />

2. Description de l’étude<br />

L’étude est basée sur <strong>des</strong> corpus collectés en <strong>au</strong>tomne 2008 <strong>à</strong> l’université de<br />

Turku en Finlande. Le corpus consiste en analyses effectuées par <strong>des</strong> étudiants<br />

spécialistes de français de deuxième année. Ces analyses étaient centrées sur <strong>des</strong> articles<br />

de recherche issus de la didactique de l’interculturel dans les langues de leur choix. La<br />

tâche consistait <strong>à</strong> évaluer l’objectivité dans l’article étudié ainsi que la systématicité<br />

établie entre la théorie, la démarche de recherche et la présentation <strong>des</strong> résultats. Dans les<br />

analyses, il était requis de la part <strong>des</strong> étudiants qu’ils fondent leurs critiques sur <strong>des</strong><br />

références présentées lors du cours et d’effectuer une analyse <strong>des</strong> discours <strong>des</strong><br />

chercheurs.<br />

En tout, nous avons pu ramasser 12 analyses ; nous en avons rejeté 6 dans ce qui<br />

suit pour les raisons suivantes : les étudiants n’avaient posé <strong>au</strong>cun regard critique sur<br />

l’article ; l’article était simplement décrit ; l’étudiant acceptait simplement ce qui était<br />

présenté par l’<strong>au</strong>teur, etc. Quelques données sur les articles choisies par les étudiants :<br />

langues <strong>des</strong> articles: 3 en français, 1 en finnois, 2 en anglais ; contextes <strong>des</strong> articles :<br />

Europe (Norvège, Finlande­Allemagne, Slovénie) ; Hors Europe (Venezuela, Québec,<br />

Taiwan­Etats­Unis). L’analyse est fondée sur les types de critiques adressées <strong>au</strong>x <strong>au</strong>teurs.


2.1. Réduction de la complexité<br />

L’un <strong>des</strong> points les plus soulignés par les étudiants est le fait que de nombreux<br />

chercheurs se placent dans un paradigme soit postmoderne soit « complexe » (<strong>à</strong> la<br />

« Morin ») qui n’est pas soutenu tout <strong>au</strong> long de la recherche. Les étudiants notent<br />

d’abord la réduction dans la conceptualisation <strong>à</strong> propos <strong>des</strong> concepts de culture,<br />

distance culturelle et compétences interculturelles. L’étudiant 1 fait ainsi les<br />

commentaires suivants <strong>au</strong>tour de l’utilisation du concept de culture, qu’elle estime trop<br />

figée:<br />

(E1) la définition du mot culture proposée est simpliste (somme <strong>des</strong> coutumes,<br />

relations sociales, histoire et de “la vie quotidienne”).<br />

(E1) toute l’idée d’un “médiateur” est basée toujours sur l’idée que les <strong>cultures</strong><br />

ont quelque chose de stable.<br />

L’idée de distance culturelle est également critiquée dans l’extrait suivant en<br />

faisant allusion <strong>à</strong> l’inopérabilité du concept de culture :<br />

(E2) le chercheur fait preuve de culturalisme par exemple dans le choix <strong>des</strong><br />

concepts et dans le concept de base de cette recherche; la distance culturelle.<br />

L’utilisation de ce mot indique qu’on pense qu’il y a <strong>des</strong> entités qu’on peut<br />

intituler ‘<strong>cultures</strong>’. Ainsi le mot distance dans ce contexte signifie une<br />

séparation entre <strong>des</strong> entités culturelles et l’idée et la difficulté de les combiner<br />

ou de passer aisément d’une culture <strong>à</strong> l’<strong>au</strong>tre.<br />

Enfin, la notion problématique de compétences interculturelles (cf. [10] et [11])<br />

est questionnée par E3. En fait, c’est surtout l’attitude « impressionniste » du chercheur<br />

face <strong>à</strong> leur application et ses propres résultats qui sont remis en c<strong>au</strong>se.<br />

(E3) L’action recherche est insuffisante <strong>au</strong>ssi parce qu’il n’y a pas eu d’évaluation<br />

de la compétence interculturelle. Comment peut­on savoir que les étudiants ont<br />

“amélioré” leur compétence interculturelle? Pour H, il semble que le fait que<br />

les étudiants ont été contents de l’exercice est suffisant pour montrer que<br />

l'action recherche a réussi <strong>à</strong> donner <strong>des</strong> orientations interculturelles pour<br />

l’enseignement <strong>des</strong> langues.<br />

Bien que les étudiants soient <strong>des</strong> « apprentis­chercheurs », ils n’hésitent pas <strong>à</strong><br />

remettre en question les métho<strong>des</strong> de recherche utilisées dans les étu<strong>des</strong> ainsi que les<br />

catégorisations qui servent de base pour les analyses proposées :<br />

(E2) Les groupes d’étudiants sont divisées par nationalité dans les résultats, la<br />

chercheuse leur impose <strong>des</strong> caractéristiques.


On a affaire ici <strong>à</strong> la stéréotypie analytique parfois identifiable dans la recherche<br />

que souligne, entre <strong>au</strong>tres, Srikant Sarangi [12 : 409]. De même, les preuves apportées<br />

par les chercheurs dans la présentation <strong>des</strong> résultats sont évaluées :<br />

(E4) Les résultats de ce test selon L., prouvent que son cours a ajouté <strong>au</strong> jugement<br />

réflexif <strong>des</strong> étudiants du stade 4 du nive<strong>au</strong> quasi réflexif du jugement réflexif.<br />

Maintenant la question essentielle qui se pose est si on peut vraiment évaluer ces<br />

sortes de compétences et si oui quelles sont les critères d’évaluation. L. base ses<br />

résultats sur les observations qu’elle a faites en classe et en lisant les cahiers<br />

d’apprentissage <strong>des</strong> étudiants. Il est possible de mettre en question l’objectivité<br />

d’une telle façon d’évaluation. Comment Levesque peut­elle juger si quelque<br />

chose est réflexif ou pas? Même les créatrices du modèle de développement<br />

du jugement réflexif ont avoué qu’elles ont eu de grands problèmes <strong>à</strong> trouver<br />

un outil d’analyse pour leur système de nive<strong>au</strong>x.<br />

Enfin, les métho<strong>des</strong> quantitatives <strong>au</strong>xquelles ont recours un certain nombre <strong>des</strong><br />

chercheurs posent <strong>des</strong> problèmes en termes de résultats, comme le souligne E6 :<br />

(E6) Nous pouvons dire que Teng est culturaliste. Elle trouve qu’il est possible<br />

d’apprendre la culture dans la classe. Elle pense qu’on peut tester <strong>des</strong> différences<br />

culturelles. Quand ils ont fait le test t, ils ont testé les différences entre les<br />

deux <strong>cultures</strong> et ils n’ont pas considéré <strong>des</strong> différences comme les différences<br />

individuelles.<br />

En tout, dans cette première section, nous avons pu identifier <strong>des</strong> signes<br />

d’application <strong>des</strong> savoir­faires d’analyse <strong>des</strong> discours objectivistes culturalistes de la part<br />

<strong>des</strong> étudiants en termes de théories et métho<strong>des</strong>.<br />

2.2. Contradictions<br />

La deuxième catégorie d’analyse concerne les contradictions observées dans les<br />

articles. Cet aspect de la formation <strong>des</strong> jeunes chercheurs est essentiel car la solidité d’un<br />

discours scientifique dépend pour be<strong>au</strong>coup de la cohérence. D’abord, E1 analyse<br />

comment une chercheuse a recours <strong>à</strong> la complexité de Morin dans son cadre théorique<br />

mais ensuite comment elle réduit cet aspect dans sa démarche de recherche :<br />

(E1) La chercheuse affirme que chaque individu est multiple et cite E. Morin. Elle<br />

lui fait dire: “la culture n’existe qu’<strong>à</strong> travers les <strong>cultures</strong>”<br />

(E1) Mais peut­on avoir comme point de départ de la recherche, la culture<br />

maternelle de l’apprenant, si toute culture, et toute l’identité, sont multiples?


Chez E5, une contradiction est relevée dans la présentation d’un argument<br />

essentiel d’une chercheuse :<br />

(E5) E. parle be<strong>au</strong>coup <strong>des</strong> différentes minorités en Slovénie et de celles <strong>des</strong><br />

<strong>au</strong>tres pays. Elle accuse le système scolaire de laisser de côté la connaissance<br />

<strong>des</strong> peuples minoritaires et de leur culture et histoire. Il y a cependant une<br />

contradiction dans son texte. Si on ne devrait pas séparer les <strong>cultures</strong> l’une de<br />

l’<strong>au</strong>tre, comme elle l’affirme avant, pourquoi E. réclame­t­elle la<br />

connaissance <strong>des</strong> origines ethniques <strong>des</strong> élèves? Pourquoi ne pas traiter ces<br />

élèves comme quelque partie de la société slovène?<br />

Même chose pour la théorie versus l’analyse. E3 note <strong>à</strong> propos <strong>des</strong> résultats de<br />

l’étude qu’elle a analysée :<br />

(E3) H. évalue son projet comme ayant été un vrai succès de communication<br />

interculturelle. Mais elle a bien mentionné dans son cadre théorique que les<br />

conversations <strong>des</strong> étudiants étaient basées sur la discussion du vocabulaire et<br />

parfois la discussion évoluait <strong>au</strong>tour d’<strong>au</strong>tres sujets tels que les différences<br />

particulières de ces deux <strong>cultures</strong>, notamment les différences entre la<br />

nourriture finnoise et allemande. Au début de son rapport, H. avait défini la<br />

culture comme « étant quelque chose de plus profond que les phénomènes visuels<br />

comme la nourriture et l’habillement » et c’est ce qui faisait de la communication<br />

interculturelle. Selon cette définition, la conversation constituait partiellement<br />

<strong>des</strong> éléments superficiels, et non <strong>des</strong> situations interculturelles profon<strong>des</strong>.<br />

2.3. Subjectivité<br />

Cette dernière catégorie se concentre sur l’objectivité <strong>des</strong> chercheurs étudiés. Pour<br />

les étudiants, cet aspect a été important. Ils ont pu se rendre compte, en effet, que les<br />

discours dits académiques (surtout s’ils touchent <strong>à</strong> de « l’humain » comme l’interculturel)<br />

sont souvent traversés par <strong>des</strong> présupposés <strong>des</strong> chercheurs.<br />

Pour commencer, examinons ce qu’E5 note dans les discours de la chercheuse<br />

qu’elle a étudiée. La présence claire de la subjectivité est relevée:<br />

(E5) Cependant l’article n’est pas complètement clair. Quelques endroits du texte<br />

forcent les lecteurs <strong>à</strong> remettre en question l’objectivité de la chercheuse. De temps<br />

en temps, E utilise <strong>des</strong> expressions qui montrent son opinion personnelle,<br />

dans une manière ambigüe. Par exemple quand elle se réfère <strong>au</strong>x enseignants<br />

interviewés avec un ton minimisant ou interprète leurs arguments de son point<br />

de vue personnel.<br />

Dans ce qui suit, E2 note que le chercheur impose une « idéologie » dans sa<br />

méthode – et donc qu’il « trouble » ses résultats :


(E2) il s’agit de nous et les <strong>au</strong>tres. Cette division est très clairement présente<br />

dans les questionnaires que les étudiants ont remplis, quand les étudiants<br />

jugent leurs compatriotes et les Norvégiens. Ils sont forcés de penser le people<br />

d’un pays comme un groupe homogène, forcés de faire de généralisations et <strong>au</strong>ssi<br />

forcés de penser qu’il y a évidemment <strong>des</strong> différences entre ces deux groupes.<br />

Finalement, E4 interroge le bien fondé de l’imposition d’un concept (« choc culturel ») <strong>à</strong><br />

<strong>des</strong> apprenants car cela ne peut qu’influencer leurs façons de concevoir le soi et l’<strong>au</strong>tre et<br />

donc leurs actes de communication interculturelle.<br />

(E4) on peut se demander s’il est utile d’apprendre les étudiants <strong>à</strong> penser <strong>au</strong>x<br />

différences culturelles et <strong>à</strong> supposer que tous les immigrants font l’expérience<br />

du choc culturel. On peut ajouter <strong>au</strong>x préjugés <strong>des</strong> étudiants et leur imposer<br />

l’idée qu’il existe <strong>des</strong> <strong>cultures</strong> séparées et qu’il y avait <strong>des</strong> différences et<br />

difficultés insurmontables par rapport a leurs adaptations dans les nouve<strong>au</strong>x<br />

environnements (… )<br />

Conclusions : de la « criticalité » dans la didactique de l’interculturel<br />

« Nous disons que le changement existe, que tout change, que le changement est la loi<br />

même <strong>des</strong> choses : oui, nous le disons et nous le répétons ; mais ce ne sont l<strong>à</strong> que <strong>des</strong><br />

mots, et nous raisonnons et philosophons comme si le changement n’existait pas ».<br />

H. Bergson, la Perception du changement<br />

Ron Barnett, dans un ouvrage qui a fait date dans les mon<strong>des</strong> anglo­saxons,<br />

Higher Education: A Critical Business [13], accentue la centralité de la notion de<br />

« criticalité » dans l’enseignement supérieur. Ainsi, les savoirs en eux­mêmes n’ont pas<br />

de sens s’ils ne sont pas accompagnés de savoir­faires critiques. Dans la recherche sur<br />

l’interculturel, on a souvent recours <strong>au</strong>x concepts de diversité, complexité, mélange,<br />

hybridité, etc. qui induisent une certaine idée du mouvement et/ou du changement.<br />

Toutefois, comme le soulignait Bergson pour la philosophie (cf. la citation en exergue), le<br />

changement ne semble pas exister dans les recherches en didactique. Les étudiants ont<br />

bien montré <strong>à</strong> quel point les discours de recherche sont contradictoires, instables, remplis<br />

de mythes… Ils ont donc fait preuve de cette « criticalité ».<br />

Il est clair <strong>à</strong> la fin de ce parcours que les étudiants sont capables de relever <strong>des</strong><br />

problèmes en termes de concepts, démarches, systématicité... chez <strong>des</strong> chercheurs<br />

confirmés, suite <strong>à</strong> une formation sur les discours académiques sur l’interculturel.<br />

L’apprentissage de l’analyse <strong>des</strong> contradictions et <strong>des</strong> marques de subjectivité est


primordial chez les jeunes chercheurs car cela leur permet de réfléchir sur leur propres<br />

discours scientifiques.<br />

De nombreux « déf<strong>au</strong>ts » demeurent dans les trav<strong>au</strong>x de nos apprentis­chercheurs.<br />

Ainsi, nous souhaiterions parfois voir apparaître davantage d’exemples concrets pour<br />

justifier les critiques ; pouvoir mieux identifier qui parle dans les textes <strong>des</strong> étudiants ;<br />

ressentir moins la subjectivité même <strong>des</strong> étudiants (ex : « malheureusement, l’<strong>au</strong>teur est<br />

culturaliste... »).<br />

Finalement, la démarche de déconstruction qui est proposée <strong>au</strong>x étudiants n’est<br />

pas sans poser de problèmes. Ainsi, après le cours et <strong>à</strong> la suite d’un cursus qui se<br />

concentre sur l’approche « (inter­)subjectiviste » du soi et de l’<strong>au</strong>tre, les étudiants sont<br />

rapidement victimes de violence symbolique dans nos mon<strong>des</strong> <strong>à</strong> tendance culturaliste­<br />

objectiviste – et cela même dans les mon<strong>des</strong> de la recherche. Il leur f<strong>au</strong>t donc se préparer<br />

<strong>à</strong> faire face <strong>à</strong> cette situation. Néanmoins, avec la systématisation <strong>des</strong> analyses, il nous<br />

semble que les étudiants sont davantage éthiquement responsables envers les discours de<br />

recherche qu’ils produisent sur l’Autre et que ce changement de paradigme peut avoir un<br />

impact sur les discours sur le Soi et l’Autre qu’ils transmettront <strong>à</strong> leurs apprenants s’ils<br />

deviennent enseignants.<br />

Références<br />

1. Abdallah­Pretceille, Martine, Pour un humanisme du divers, Economica, Paris, 2003<br />

2. Corbett, John, Intercultural approach to English language teaching, Multilingual<br />

Matters, Clevedon, 2003<br />

3. Dervin, Fred, « Reflections on the Deconditioning of Language Specialists in Finnish<br />

Higher Education », In Dervin, Fred & Eija Suomela­Salmi (éds.), Intercultural<br />

Communication and Education. Finnish Perspectives, Peter Lang, Bern, 2006, 105­127<br />

4. Holliday Holliday, Adrian, Hyde, Martin & Kullman, John, Intercultural<br />

communication, Routledge, London, 2004<br />

5. Anderson, Patrick, La Didactique <strong>des</strong> langues étrangères <strong>à</strong> l'épreuve du sujet. (Série<br />

Linguistique et Sémiotique, 33), Presses Universitaires FrancComtoises, Besançon, 2001<br />

6. Dervin, Fred, « Constructions de l’interculturel dans le deuxième programme <strong>à</strong> moyen<br />

terme du Centre Européen pour les Langues Vivantes (CELV) : l’exemple de La<br />

communication interculturelle dans la formation <strong>des</strong> enseignants », in Synergies Pays<br />

Riverains de la Baltique, 2009<br />

7. Freund, Andreas, Journalisme et mésinformation, la Pensée s<strong>au</strong>vage, Paris, 1991.<br />

8. Marnette, Sophie, Speech and Thought Presentation in French: Concepts and<br />

Strategies, John Benjamins Publishing Company, Philadelphia, PA, USA, 2005<br />

9. Marková, Irvana et al., Dialogue in Focus Groups: Exploring Socially Shared<br />

Knowledge, Equinox Publishing, London, 2007


10. Byram, Michael, Teaching and Assessing Intercultural Communicative Competence,<br />

Multilingual Matters, Clevedon, 1997<br />

11. Dervin, Fred, « Evaluer l’interculturel : problématiques et pistes de travail », in<br />

Dervin Fred & Suomela­Salmi, Eija (éds.), Evaluer les compétences langagières et<br />

interculturelles dans l’enseignement supérieur, Publications du département d’étu<strong>des</strong><br />

françaises, Turku, 95­122.<br />

12. Sarangi, Srikant, « Intercultural or not? Beyond celebration of cultural differences in<br />

miscommunication analysis », in Pragmatics 4, 3, 1994, 409­427<br />

13. Barnett, Ron, Higher Education: A Critical Business, Open University Press, 1997

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