21.04.2013 Views

Pour faire face à la crise de l'interculturel Fred Dervin Il ne ... - Users

Pour faire face à la crise de l'interculturel Fred Dervin Il ne ... - Users

Pour faire face à la crise de l'interculturel Fred Dervin Il ne ... - Users

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>Pour</strong> <strong>faire</strong> <strong>face</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>crise</strong> <strong>de</strong> l’interculturel<br />

<strong>Fred</strong> <strong>Dervin</strong><br />

<strong>Il</strong> <strong>ne</strong> faut pas oublier que l’hétérogénéité, même si elle est beaucoup plus<br />

dérangeante, même si elle est beaucoup plus difficile <strong>à</strong> penser, est source <strong>de</strong> vie.<br />

C’est avec le « contradictoriel » (S. Lupasco, G. Durand) que commence<br />

l’existence, alors que l’i<strong>de</strong>ntique ou l’homogè<strong>ne</strong> bien que plus pacifique ou plus<br />

cernable reste potentiellement mortifère.<br />

Maffesoli (2003 : 6)<br />

Commençons notre propos par u<strong>ne</strong> évi<strong>de</strong>nce sur <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> cet ouvrage : le<br />

concept <strong>de</strong> diversité culturelle est suspect. La cause principale est qu’il raccor<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

termes qui portent souvent <strong>à</strong> confusion au quotidien mais aussi dans les mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

recherche : diversité et culturel. Comme le constatait M. Bakhti<strong>ne</strong> (1977 : 31), « le mot<br />

est le phénomè<strong>ne</strong> idéologique par excellence ». <strong>Pour</strong> un grand nombre d’individus,<br />

d’hommes politiques et <strong>de</strong> chercheurs, ces <strong>de</strong>ux mots sont <strong>de</strong>venus flottants, voire vi<strong>de</strong>s ;<br />

<strong>de</strong>s automatismes, voire <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces.<br />

En fait, l’un <strong>de</strong>s plus gros obstacles est que multiples compréhensions du termeclé<br />

(compliqué) <strong>de</strong> culture gui<strong>de</strong>nt les définitions <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité culturelle. En gros, un<br />

peu en guise <strong>de</strong> caricature, si l’on considère <strong>la</strong> culture comme étant un agent dans les<br />

re<strong>la</strong>tions humai<strong>ne</strong>s, un élément soli<strong>de</strong>, inchangeable et unique, alors <strong>la</strong> diversité culturelle<br />

signale l’ensemble <strong>de</strong>s entités présentes dans nos mon<strong>de</strong>s contemporains, que l’on<br />

qualifie <strong>de</strong> façon systématique et peu critique <strong>de</strong> cultures. A l’inverse, si l’on opte pour<br />

u<strong>ne</strong> compréhension postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong> et constructiviste <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion, le concept <strong>de</strong> diversité<br />

culturelle perd <strong>de</strong> sa valeur, et conduit alors <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> tautologie. Si <strong>la</strong> culture est<br />

changeante, mouvante et plurielle ; si elle est liée <strong>à</strong> l’interagentivité <strong>de</strong>s individus qui <strong>la</strong><br />

co­construisent, alors elle est inévitablement diverse. On a dans ces <strong>de</strong>ux approches u<strong>ne</strong><br />

opposition, que je vais tenter <strong>de</strong> circonscrire dans cette contribution, en ayant recours aux<br />

concepts <strong>de</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (i.e. l’Autre générique signifie diversité) et <strong>de</strong> diverses<br />

diversités (i.e. chaque individu est divers). Je m’intéresse ici au contexte scientifique. On<br />

pourra néanmoins appliquer ces réflexions, critiques et propositions aux contextes du<br />

quotidien, <strong>de</strong> l’éducation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique.<br />

L’interculturel est un domai<strong>ne</strong> <strong>de</strong> recherche « éparpillé » qui tente, <strong>de</strong>puis u<strong>ne</strong><br />

trentai<strong>ne</strong> d’années, <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r <strong>à</strong> saisir <strong>la</strong> diversité. <strong>Il</strong> a permis, grâce aux travaux <strong>de</strong><br />

certains chercheurs (Cf. Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>h­Pretceille en France, Holliday et al. en<br />

Angleterre, Nynäs et <strong>Il</strong>lman en Fin<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, ainsi que nos propres travaux) <strong>de</strong> repousser les<br />

approches culturalistes <strong>de</strong>s rencontres interculturelles, c’est­<strong>à</strong>­dire, « (… ) u<strong>ne</strong> prétention<br />

<strong>à</strong> <strong>la</strong> connaissance d’autrui par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> sa culture considérée alors<br />

comme un objet fige » (Abdal<strong>la</strong>h­Pretceille, 2003 : 13). On serait donc témoins<br />

actuellement d’u<strong>ne</strong> mutation dans les étu<strong>de</strong>s interculturelles, d’un mouvement s’éloignant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (le culturalisme, le groupisme (Brubaker 2006: 8)) vers autre<br />

chose. Un peu comme en anthropologie, <strong>de</strong>puis ce que Clifford et Marcus (1986) ont<br />

appelé <strong>la</strong> « <strong>crise</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation » (qui peut représenter quoi ? les données peuventelles<br />

être considérées comme porteuses <strong>de</strong> vérité ?...), qui a fait naître u<strong>ne</strong> nouvelle<br />

anthropologie, davantage auto­réflexive et critique <strong>face</strong> aux « objets culturels », aux


données produites, aux co­constructions discursives entre les chercheurs et les<br />

participants <strong>à</strong> leurs ethnographies.<br />

Ce que propose, notamment, Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>h­Pretceille (cf. sa contribution dans<br />

ce volume) s’intitule « un humanisme du divers ». Sa démarche va au­<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture<br />

et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité soli<strong>de</strong> et unique, explicatives <strong>de</strong>s faits sociaux et <strong>de</strong>s rencontres. Ses idées<br />

semblent être rentrées dans le « patrimoi<strong>ne</strong> » <strong>de</strong> l’interculturel (du moins francopho<strong>ne</strong>). <strong>Il</strong><br />

en va <strong>de</strong> même avec les travaux <strong>de</strong> Holliday et al. (2004) et <strong>de</strong> Kumaravadivelu (2008)<br />

dans les mon<strong>de</strong>s anglo­saxons. An<strong>ne</strong> Philipps, auteur <strong>de</strong> l’ouvrage au titre révé<strong>la</strong>teur<br />

« Multiculturalism without culture », publié en 2007, expliquait récemment (2010 : 7)<br />

que les théoriciens du multiculturalisme eux­mêmes ont aussi absorbé l’argument les<br />

cultures sont flui<strong>de</strong>s, plurielles et qu’elles se mé<strong>la</strong>ngent entre elles.<br />

<strong>Pour</strong>tant, cette mutation, ce changement souvent brutal dans les discours, n’est<br />

pas sans poser <strong>de</strong> problèmes, voire <strong>de</strong> malentendus. Alors u<strong>ne</strong> remarque provocatrice :<br />

l’interculturel, qui semble avoir les moyens théoriques <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> « vraie » diversité,<br />

et qui peut aussi emprunter aux démarches diversitaires telles que le postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>, le<br />

Queer, le postcolonialisme, etc., semble connaître actuellement u<strong>ne</strong> <strong>crise</strong>. Dans ce qui<br />

suit, je ferai le point sur certains malentendus qui entourent l’interculturel et proposerai<br />

u<strong>ne</strong> approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité fondée sur l’idée <strong>de</strong>s diverses diversités. Ce <strong>de</strong>rnier concept,<br />

qui peut paraître redondant, servira <strong>à</strong> soutenir l’idée que l’on <strong>de</strong>vrait s’éloig<strong>ne</strong>r d’u<strong>ne</strong><br />

vision limitée voire ségrégante <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité (<strong>de</strong> faça<strong>de</strong>) et s’intéresser aux diversités <strong>de</strong><br />

chacun. C’est l<strong>à</strong> aussi un moyen <strong>de</strong> « corriger » le constructivisme « mou » et parfois<br />

« gentillet » qui touche actuellement les étu<strong>de</strong>s interculturelles.<br />

Se débarrasser du culturel ?<br />

Tout d’abord, on se situe toujours et encore dans l’inter­culturel – le mot culture<br />

est in<strong>la</strong>ssablement présent. La confusion du terme se reflète souvent dans les discours <strong>de</strong><br />

chercheurs qui tentent d’approcher l’interculturel <strong>à</strong> travers <strong>de</strong>s réflexions « mouvantes »<br />

mais qui continuent <strong>à</strong> utiliser le concept sans le délimiter, sans le critiquer. Ce<strong>la</strong> conduit<br />

aussi <strong>à</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> cadres théoriques contradictoires où <strong>de</strong>s chercheurs <strong>de</strong> type<br />

culturaliste (E.T. Hall, Hofste<strong>de</strong>… ) sont associés et complètent <strong>de</strong>s chercheurs plus<br />

critiques et « postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>s » (Augé, Lap<strong>la</strong>nti<strong>ne</strong>, Maffesoli, Morin… ). Enfin, on trouve<br />

souvent un hiatus entre les réflexions théoriques proposées et les métho<strong>de</strong>s d’analyse <strong>de</strong><br />

type analyses <strong>de</strong> contenu « molles », <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s que l’on pourrait appeler « faitiches »<br />

après Latour (2009), car restent en sur<strong>face</strong> du discours <strong>de</strong>s individus, <strong>de</strong>s faits et<br />

présentent leurs paroles comme « vérités ». Ainsi, tel individu ayant vécu un an dans un<br />

pays étranger, affirme être <strong>de</strong>venu biculturel (i.e. il a acquis <strong>la</strong> « culture » <strong>de</strong> l’autre pays<br />

et est capable <strong>de</strong> jongler avec les <strong>de</strong>ux « cultures »). Ce discours est repris par certains<br />

chercheurs dans leurs analyses pour démontrer <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> celui­ci… alors qu’on se<br />

trouve dans le « biculturalisme » et tous les problèmes épistémologiques et politiques que<br />

le concept contient. En effet, quelles frontières entre ces <strong>de</strong>ux cultures ? Avons­nous<br />

d’ailleurs af<strong>faire</strong> <strong>à</strong> <strong>de</strong>ux entités bien distinctes ? On fait donc toujours <strong>face</strong> ici <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />

« production artificielle d’étrangeté » (Guil<strong>la</strong>ume & Baudril<strong>la</strong>rd, 1994 : 21), qui semble<br />

aller au­<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du culturalisme mais qui s’y rapproche parfois. On aurait af<strong>faire</strong>, d’après<br />

Holliday (<strong>à</strong> paraître), <strong>à</strong> du néo­essentialisme (ou néo­culturalisme ?) ; en tout cas, <strong>à</strong> du<br />

positivisme.


J’ai proposé moi­même le concept ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> protéophilique (protéo­ :<br />

diversité ; philia : appréciation) pour sortir <strong>de</strong> l’impasse et surtout éviter les malentendus<br />

avec les chercheurs qui travaillent sur l’interculturel mais avec u<strong>ne</strong> approche diversitaire<br />

culturaliste ou néo­essentialiste (<strong>Dervin</strong>, 2010). Dans u<strong>ne</strong> étu<strong>de</strong> <strong>à</strong> paraître sur le<br />

traitement <strong>de</strong>s étudiants chinois mobiles dans <strong>la</strong> littérature scientifique, j’ai pu montrer<br />

les discours contradictoires entre diverses diversités (il <strong>ne</strong> faut pas généraliser) et<br />

diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (les Chinois <strong>de</strong> Shenzhen sont plus timi<strong>de</strong>s) chez les chercheurs. Mais<br />

le terme protéophilique séduit peu car il est peu transparent et peut­être moins attrayant<br />

que celui (doxique et marketing) d’interculturel…<br />

Faut­il donc <strong>à</strong> tout prix tenter <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture ? Oui mais ce<strong>la</strong><br />

écarterait u<strong>ne</strong> gran<strong>de</strong> partie d’auditeurs et <strong>de</strong> lecteurs avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion qui auraient<br />

besoin d’apprendre <strong>à</strong> <strong>la</strong> dépasser.<br />

Socialité et discours <strong>de</strong> recherche sur le soi et l’autre<br />

Michel Maffesoli démontre <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s décennies que nous sommes entrés dans<br />

l’ère <strong>de</strong> <strong>la</strong> socialité où « ce n’est pas le simple social <strong>à</strong> dominante ration<strong>ne</strong>lle, ayant pour<br />

expression le politique et l’économique, mais bien u<strong>ne</strong> autre manière d’être ensemble, où<br />

l’imaginaire, l’onirique, le ludique, justement, occupent u<strong>ne</strong> p<strong>la</strong>ce primordiale »<br />

(Maffesoli, 2009 : 23). Le sociétal étant alors forcément mouvant et désordonné, il est<br />

c<strong>la</strong>ir que <strong>la</strong> diversité est constitutive <strong>de</strong> tout individu, <strong>de</strong> tout groupe, <strong>de</strong> toute socialité…<br />

et qu’elle n’est pas réservée <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> seule partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion (immigrés, étrangers,<br />

binationaux, plurilingues… ).<br />

En réaction <strong>à</strong> cette socialité, qui représente en quelque sorte u<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s peurs<br />

liqui<strong>de</strong>s (ou peurs du gouffre) <strong>de</strong> Z. Bauman (2006), le soi et l’autre continuent <strong>à</strong> être<br />

réduits <strong>à</strong> <strong>de</strong>s entités fermées. Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>h­Pretceille (2003 : 22) formule cette idée<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> façon suivante : « Toute énonciation sur autrui le transforme en objet ­ objet du<br />

discours – et légitime, par ailleurs, u<strong>ne</strong> frontière, réelle ou symbolique ». Dans ces<br />

représentations <strong>de</strong>s individus, il y a nécessairement un « exercice <strong>de</strong> pouvoir », u<strong>ne</strong><br />

hiérarchie « culturelle » plutôt qu’u<strong>ne</strong> « variation » (Duncan, 2003 ; Philipps, 2010 : 20).<br />

Ainsi, pour Marc Augé, l’image <strong>de</strong> l’autre « se substitue <strong>de</strong> plus en plus au souci <strong>de</strong> le<br />

connaître et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntifier comme person<strong>ne</strong> » (Augé, 2003 : 92). Cette image est souvent<br />

réduite aux nations, aux cultures (qui <strong>ne</strong> sont en fait que <strong>de</strong>s récits ; Lull, 2000) ou aux<br />

i<strong>de</strong>ntités mises en discours par l’un ou l’autre (sexuelles, religieuses, génération<strong>ne</strong>lles… ).<br />

L’altérité se construirait donc davantage qu’elle <strong>ne</strong> se découvre, <strong>à</strong> notre époque<br />

(Baudril<strong>la</strong>rd & Guil<strong>la</strong>ume, 1994 : 52).<br />

<strong>Pour</strong> le chercheur en interculturel, l’idée <strong>de</strong> socialité a u<strong>ne</strong> conséquence<br />

importante : il se rend alors compte que tout <strong>ne</strong> peut pas être expliqué et qu’il a toujours<br />

af<strong>faire</strong> <strong>à</strong> <strong>de</strong>s discours forcément instables, imprécis, co­construits et qui ont u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong><br />

« part <strong>de</strong> l’ombre » (Maffesoli, 2002). Telle re<strong>la</strong>tion interculturelle se créé, fonction<strong>ne</strong>,<br />

échoue, etc., et il lui est presqu’impossible <strong>de</strong> dire qu’elle en est <strong>la</strong> raison. S’il le fait, il<br />

court le risque d’imposer <strong>de</strong>s interprétations irrespectueuses envers <strong>la</strong> subjectivité <strong>de</strong> ses<br />

« observés ». D’u<strong>ne</strong> part, le chercheur n’a pas accès <strong>à</strong> tous les éléments qui intervien<strong>ne</strong>nt<br />

dans les interactions (au­<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du contexte même d’interaction, tel que <strong>la</strong> mémoire, les<br />

interdiscours partagés, <strong>la</strong> pluralité inter<strong>ne</strong> <strong>de</strong> chaque individu – i.e. le « mensonge », « <strong>la</strong><br />

c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité <strong>de</strong> l’existence » (Maffesoli, 1985 : 189), d’autre part, en tant que chercheur,


surtout s’il est présent dans les actes d’interaction, il <strong>ne</strong> peut ignorer sa propre<br />

contribution aux actes i<strong>de</strong>ntitaires qui se déroulent <strong>de</strong>vant ses yeux, l’interagentivité qu’il<br />

impose aux sujets, et aspirer <strong>à</strong> décrire ce qui se passe, tel un « <strong>de</strong>tached observer using a<br />

<strong>ne</strong>utral <strong>la</strong>nguage to exp<strong>la</strong>in ‘raw data’ » (Rosaldo, 1993: 37). Nous avons l<strong>à</strong> un point<br />

essentiel que Gauje<strong>la</strong>c (2009 : 362) soulig<strong>ne</strong> pour <strong>la</strong> recherche sur l’i<strong>de</strong>ntité en<br />

sociologie, et dont l’interculturel pourrait jouir : « Bon nombre <strong>de</strong> sociologues soulèvent<br />

<strong>de</strong>s questions perti<strong>ne</strong>ntes sur l’i<strong>de</strong>ntité, le sujet, <strong>la</strong> subjectivité, qui conduisent <strong>à</strong> <strong>de</strong>s<br />

recompositions disciplinaires. Mais sont­ils prêts pour autant <strong>à</strong> accepter les conséquences<br />

théoriques et méthodologiques que cette ouverture implique ? ». Dans l’interculturel,<br />

sommes­nous aussi prêts <strong>à</strong> accepter cette omni­diversité, ces diverses diversités <strong>de</strong><br />

chacun qui vont au­<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong>s catégories soli<strong>de</strong>s ou pseudo­mouvantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nationalité, <strong>la</strong><br />

<strong>la</strong>ngue, l’ethnie… ? Sommes­nous également en mesure <strong>de</strong> prendre en compte l’impact<br />

<strong>de</strong> notre propre diversité et <strong>de</strong>s discours afférents sur les données que nous examinons ?<br />

Enfin, pouvons­nous nous satis<strong>faire</strong> d’analyses inévitablement incomplètes car<br />

incapables d’expliquer le vrai divers ? Et <strong>de</strong> remettre ainsi en question notre casquette <strong>de</strong><br />

« travailleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve » (Latour, 2009 : 43) ? <strong>Il</strong> <strong>ne</strong> s’agit pas l<strong>à</strong> d’avouer <strong>la</strong> défaite ou<br />

<strong>de</strong> <strong>faire</strong> preuve <strong>de</strong> lâcheté mais <strong>de</strong> respecter les diverses diversités avec lesquelles nous<br />

sommes amenées en interculturel.<br />

Diverses diversités<br />

La vérité est qu'on change sans cesse, et que l'état lui­même est déj<strong>à</strong> du<br />

changement.<br />

Bergson, 1907 : 13<br />

Passons <strong>à</strong> présent aux diverses diversités. En psychologie sociale, le concept du<br />

« sens <strong>de</strong> communauté », i.e. <strong>la</strong> réalité psychologique <strong>de</strong> ce que être membre d’u<strong>ne</strong><br />

« communauté » signifie pour un individu, a été travaillé entre autres pas Gillespie et al.<br />

(2008 : 36) pour démontrer les aspects dynamiques <strong>de</strong>s sentiments d’appartenance. En<br />

effet, dans leurs étu<strong>de</strong>s, ils montrent bien comment les individus adhèrent <strong>à</strong> différentes<br />

communautés, qui se contredisent et qu’ainsi, que les attachements <strong>à</strong> diverses<br />

communautés peuvent coexister et interagir au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> subjectivité d’un individu (ibid :<br />

49).<br />

<strong>Il</strong> est c<strong>la</strong>ir que, même si ces diversités sont évi<strong>de</strong>ntes, l’individu contemporain<br />

peut se réfugier dans <strong>de</strong>s appartenances, <strong>de</strong>s communautés et limiter ses attachements.<br />

<strong>Pour</strong> créer u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité, il faut un autre, et parfois, cet autre nous pousse <strong>à</strong> nous renfermer<br />

dans u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité unique, <strong>à</strong> refuser <strong>la</strong> multiplicité par peur, par hiérarchie, par « fatigue »<br />

(Ehrenberg, 2000). De Singly (2008 : 95), qui est re<strong>la</strong>tivement critique <strong>de</strong>s visions parfois<br />

idéalistes <strong>de</strong>s postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>s, nous explique que « même hyper­mo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>, l’individu <strong>ne</strong><br />

peut pas vivre sans un certain enraci<strong>ne</strong>ment, sans <strong>de</strong>s appartenances revendiquées. <strong>Il</strong> le<br />

fait avec modération. Mais il le fait, non seulement pour se distinguer, mais aussi pour<br />

être ancré. La consistance dont il a besoin <strong>ne</strong> peut pas venir d’u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité virevoltante,<br />

elle doit prendre appui sur d’autres supports, notamment sur <strong>de</strong>s appartenances ».<br />

Zygmund Bauman (2003 : 110) note <strong>à</strong> propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> communauté qu’elle<br />

représente u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> contrat d’assurance contre les risques <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> créés par les<br />

mon<strong>de</strong>s pluriels dans lesquels nous vivons.


Mais, même dans les cas <strong>de</strong> « solidification » i<strong>de</strong>ntitaire (extrémisme religieux,<br />

culturel, linguistique… ), l’individu <strong>ne</strong> peut que vivre <strong>de</strong>s diverses diversités, en d’autres<br />

termes, <strong>à</strong> aucun moment il <strong>ne</strong> peut se dire « complet », unique, i<strong>de</strong>ntitairement stable.<br />

<strong>Pour</strong> K. Ewing (1990 : 251), dans tout espace­temps, les individus sont amenés <strong>à</strong> projeter<br />

<strong>de</strong>s « représentations <strong>de</strong> soi » (plutôt que <strong>de</strong>s soi) qui sont multiples, inconsistants et<br />

instables, variant selon les contextes traversés et les stimuli inter<strong>ne</strong>s et exter<strong>ne</strong>s (ibid. :<br />

258). Si l’on reprend ce qu’affirmait Bergson (1938 : 159) il y a tout juste un siècle, on a,<br />

résumée, cette idée <strong>de</strong> diverses diversités constantes :<br />

A vrai dire, il n’y a jamais d’immobilité véritable, si nous entendons par l<strong>à</strong> u<strong>ne</strong><br />

absence <strong>de</strong> mouvement. Le mouvement est <strong>la</strong> réalité même, et ce que nous<br />

appelons immobilité est un certain état <strong>de</strong> choses analogue <strong>à</strong> ce qui se produit<br />

quand <strong>de</strong>ux trains marchent avec <strong>la</strong> même vitesse, dans le même sens, sur <strong>de</strong>ux<br />

voies parallèles: chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux trains est alors immobile pour les voyageurs<br />

assis dans l’autre.<br />

L’immobilité, même si elle est dans certains cas marquée, est en fait mobilité.<br />

Ce<strong>la</strong> confirme l’idée travaillée <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s temps, que l’individu n’a ni d’ « être<br />

authentique », ni <strong>de</strong> « vérité » (Kaufmann, 2008 : 57). <strong>Il</strong> est traversé en perma<strong>ne</strong>nce par<br />

<strong>de</strong>s voix alternatives et influences diverses (cf. le concept <strong>de</strong> multiphrénie chez Gergen,<br />

2000 : 16), qui lui font re<strong>la</strong>tiviser ce qu’il considère être « <strong>la</strong> vérité ». Le mé<strong>la</strong>nge et<br />

l’hybridité ont toujours été <strong>de</strong>s constantes chez l’individu (Pieterse, 2004) et notre époque<br />

<strong>de</strong> globalisation accélérée (i<strong>de</strong>m), <strong>ne</strong> fait qu’accentuer et développer ces phénomè<strong>ne</strong>s.<br />

D’où l’idée que <strong>la</strong> pureté culturelle, i<strong>de</strong>ntitaire, linguistique n’a pas <strong>de</strong> sens, et que si l’on<br />

tente <strong>de</strong> les i<strong>de</strong>ntifier, on tombe forcément dans du déterminisme et <strong>de</strong> l’essentialisme (et<br />

donc un jeu <strong>de</strong> « pouvoirs »). <strong>Pour</strong> Lap<strong>la</strong>nti<strong>ne</strong> et Nouss (1977 : 18) : « il <strong>de</strong>vient, les<br />

années passant impossible d’effectuer un tri, <strong>de</strong> distinguer les processus d’adaptation (<strong>de</strong><br />

ce qui vient <strong>de</strong> l’extérieur) et d’absorption (par ce qui est <strong>à</strong> l’intérieur) ».<br />

En tout, on se rend compte <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l<strong>à</strong> que si l’on souhaite travailler sur <strong>la</strong><br />

« diversité culturelle » qu’il faudrait mieux s’orienter vers l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> négociation et <strong>de</strong><br />

co­construction <strong>de</strong>s diverses diversités d’individus en présence plutôt que <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s<br />

marques <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité culturelle <strong>à</strong> travers <strong>de</strong>s artefacts ou <strong>de</strong>s discours <strong>de</strong> vérité (chez<br />

moi, on fait comme ça ; je suis biculturel…). En résumé, travailler sur les processus plutôt<br />

que sur les produits. Je propose dans ce qui suit quelques ouvertures.<br />

Ouvertures : comment travailler les diverses diversités ?<br />

Jusqu’ici, les étu<strong>de</strong>s interculturelles ont tenté d’expliquer ou d’interpréter en<br />

cherchant <strong>de</strong>s logiques explicatives. <strong>Pour</strong> Gauje<strong>la</strong>c (2009 : 197), il serait préférable <strong>de</strong><br />

« mettre <strong>la</strong> contradiction au centre <strong>de</strong> l’analyse parce qu’elle est au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’être<br />

<strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> l’être <strong>de</strong> <strong>la</strong> société ». Si inconsistance et mouvance il y a, alors <strong>la</strong> voie<br />

<strong>de</strong> l’instabilité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> contradiction <strong>de</strong>vraient s’ouvrir aux étu<strong>de</strong>s interculturelles.<br />

Deux domai<strong>ne</strong>s pourront nous permettre d’ouvrir <strong>de</strong>s portes ici : le dialogisme et<br />

le cognitif socioculturel.<br />

La théorie du Dialogical self est u<strong>ne</strong> réponse directe aux conceptions<br />

individualistes du soi. S’inspirant <strong>de</strong> Mead, Vygotsky mais aussi Bakhti<strong>ne</strong>, ce<br />

mouvement <strong>de</strong> recherche (qui est loin d’être u<strong>ne</strong> nouveauté mais qui connaît un certain


egain d’intérêt interdisciplinaire grâce aux travaux du groupe international <strong>de</strong> Dialogical<br />

Sciences, cf. http://www.dialogicalscience.org/) affirme que <strong>la</strong> subjectivité <strong>de</strong> l’individu<br />

est fondée sur u<strong>ne</strong> communauté <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong> positions, qui lui sont <strong>à</strong> fois exter<strong>ne</strong>s et<br />

inter<strong>ne</strong>s. Ces voix provien<strong>ne</strong>nt <strong>de</strong> sources diverses : famille, média, hommes politiques,<br />

enseignants, etc. et se multiplient dans nos mon<strong>de</strong>s contemporains, grâce <strong>à</strong> l’accès<br />

presque illimité <strong>de</strong>s voix et positions d’autres espaces­temps (cf. l’exemple <strong>de</strong>s<br />

technologies numériques du soi dans Abbas & <strong>Dervin</strong>, 2009). Ce que les dialogical<br />

scientists tentent <strong>de</strong> <strong>faire</strong>, c’est d’i<strong>de</strong>ntifier les voix et positions chez les individus et<br />

d’observer comment celles­ci dialoguent ensemble, se réfutent, sont mises en scè<strong>ne</strong>... en<br />

al<strong>la</strong>nt au­<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du contexte immédiat d’interaction et en prenant en compte les contextes<br />

« macro » (socialité, histoire… ) et les processus person<strong>ne</strong>ls, intra­psychologiques et<br />

subjectifs (Li<strong>ne</strong>ll, 2009). Ainsi, ce sont les voix <strong>de</strong>s « communautés » et <strong>de</strong>s autres<br />

individus mais aussi leurs influences qui sont travaillées et qui permettent d’interroger les<br />

diverses diversités mises en avant (Gillespie et al. 2008 : 37). Par exemple, u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong><br />

peut être amenée <strong>à</strong> décrire <strong>la</strong> position <strong>de</strong> sa communauté sans s’alig<strong>ne</strong>r sur son discours.<br />

Ou bien, <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté peut être absorbée et présentée comme seule et unique<br />

discours. C’est l<strong>à</strong> où les concepts d’intersubjectivité et d’interagentivité pren<strong>ne</strong>nt leur<br />

importance. En effet, si l’on souhaite travailler sur les diverses diversités <strong>de</strong> chacun, on<br />

<strong>ne</strong> peut pas écarter l’altérité qui compose avec l’individu ces diversités. Ce<strong>la</strong> signifie pour<br />

le chercheur, prendre en compte systématiquement les voix­autres dans ses analyses<br />

(Gillespie & Cornish, 2010: 1) et donc abandon<strong>ne</strong>r les approches individualistes, dans les<br />

métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> recherche ou <strong>de</strong> travail telles que les observations, entretiens, etc. Tous les<br />

travaux linguistiques sur le dialogisme (ex.: Vion, Rosier… ) apportent <strong>de</strong> bons outils<br />

d’analyse, <strong>de</strong> bons indicateurs.<br />

Dans un livre très récent, les dialogistes Hermans & Hermans­Konopka (2009 : 3)<br />

expliquent que l’incertitu<strong>de</strong> est un concept clé pour comprendre les mon<strong>de</strong>s<br />

contemporains et les rapports entretenus entre les individus. <strong>Il</strong>s proposent ainsi<br />

d’exami<strong>ne</strong>r comment le « soi dialogique » fait <strong>face</strong> <strong>à</strong> celle­ci en termes <strong>de</strong> stratégies, en<br />

examinant les voix et les positions. Avec cette proposition, ils ouvrent tout un pan <strong>de</strong><br />

recherches potentielles en interculturel. <strong>Il</strong>s voient 5 niveaux <strong>de</strong> stratégies <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong><br />

l’incertitu<strong>de</strong> que je détaille ici :<br />

1. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> i<strong>de</strong>ntitaire en diminuant le nombre et l’hétérogénéité <strong>de</strong>s<br />

positions et <strong>de</strong>s voix du soi ;<br />

2. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> en <strong>la</strong>issant émerger u<strong>ne</strong> position ou u<strong>ne</strong> voix puissante et<br />

importante, qui va domi<strong>ne</strong>r le soi entier (par ex. en rejoignant un groupe religieux,<br />

politique… ) ;<br />

3. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> en accentuant les frontières entre le soi et l’altérité,<br />

considérant cette <strong>de</strong>rnière comme trop différente, étrangère voire même abjecte (racisme,<br />

xénophobie… ) ;<br />

4. l’individu peut réduire son incertitu<strong>de</strong> en accroissant le nombre <strong>de</strong> positions et voix qui<br />

composent son soi ;<br />

5. l’individu accepte entièrement les diversités <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong> positions qui composent son<br />

soi et fait fi <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> qui les accompag<strong>ne</strong> – et accepte donc l’impact <strong>de</strong> l’altérité<br />

sur ses positions et voix.


<strong>Pour</strong> le chercheur travail<strong>la</strong>nt sur les re<strong>la</strong>tions interculturelles, cette progression est<br />

intéressante car il peut étudier <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l<strong>à</strong> les voix et positions présentées par les<br />

individus en contact et ainsi les types <strong>de</strong> stratégies adoptées pour <strong>faire</strong> <strong>face</strong> <strong>à</strong> l’incertitu<strong>de</strong><br />

et aux multiples positions et voix mises en avant – donc aux diverses diversités. Dans les<br />

trois – voire quatre – premières stratégies, on est dans <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong>. <strong>Pour</strong> que<br />

l’interculturel soit « efficace », l’individu <strong>de</strong>vrait jouir entièrement du cinquième niveau<br />

et pouvoir avoir recours <strong>à</strong> un maximum <strong>de</strong> voix et positions et ainsi jouir <strong>de</strong> ses diverses<br />

diversités, ainsi que ses interlocuteurs.<br />

Un autre exemple <strong>de</strong> démarche, complémentaire au dialogisme, qui peut apporter<br />

davantage <strong>de</strong> diversitaire <strong>à</strong> l’interculturel, c’est celui du cognitif socioculturel, tel qu’il<br />

est soutenu par Marie­An<strong>ne</strong> Paveau dans sa théorie <strong>de</strong>s pré­discours mais aussi par R.<br />

Brubaker dans ses étu<strong>de</strong>s sur l’ethnicité et les groupes.<br />

<strong>Pour</strong> Roger Brubaker (2006 : 17), les démarches cognitives peuvent soutenir <strong>la</strong><br />

recherche constructiviste sur l’ethnicité, <strong>la</strong> race et les nations – et donc l’interculturel car:<br />

Instead of simply asserting that ethnicity, race and nationhood are constructed,<br />

that can help specify how they are constructed. They can help specify how­and<br />

when­people i<strong>de</strong>ntity themselves, perceive others, experience the world, and<br />

interpret their predicaments in racial, ethnic, national rather than other terms.<br />

They can help specify how “group<strong>ne</strong>ss” can “crystallize” in some situations while<br />

remaining <strong>la</strong>tent and merely potential in others.<br />

On revient ici <strong>à</strong> <strong>la</strong> problématique centrale <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />

interculturelle. <strong>Il</strong> <strong>ne</strong> s’agit pas, en effet, <strong>de</strong> décrire <strong>de</strong>s cultures en présence, ou quels<br />

aspects <strong>de</strong> ces cultures sont présentés comme preuves par <strong>de</strong>s individus ; il <strong>ne</strong> s’agit pas<br />

non plus <strong>de</strong> simplement dire que les individus co­construisent leurs i<strong>de</strong>ntités, re<strong>la</strong>tions,<br />

cultures etc. mais <strong>de</strong> voir concrètement comment et pour quelles raisons les rencontres<br />

interculturelles signifient « co­construction <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> l’Autre ». Ces métho<strong>de</strong>s<br />

permettent donc d’étudier <strong>la</strong> mouvance présentée et co­construite par chacun mais aussi<br />

les moments d’instabilité, <strong>de</strong> réduction, <strong>de</strong> « cristallisations » du soi et <strong>de</strong> l’autre.<br />

Marie­An<strong>ne</strong> Paveau, elle, <strong>ne</strong> travaille pas sur <strong>la</strong> diversité mais il me semble que<br />

son approche serait bénéfique <strong>à</strong> l’interculturel. Elle propose (2006 : 1) d’apporter u<strong>ne</strong><br />

dimension cognitive <strong>à</strong> l’analyse linguistique du discours, c’est­<strong>à</strong>­dire « <strong>la</strong> prise en compte<br />

<strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong> leur mise en discours <strong>à</strong> partir <strong>de</strong>s<br />

données reçues par les sens, <strong>la</strong> mémoire et les re<strong>la</strong>tions sociales », qui permettrait<br />

d’exami<strong>ne</strong>r « <strong>la</strong> « boite noire » <strong>de</strong>s informations préa<strong>la</strong>bles » (ibid : 14). Cette dimension<br />

est située, partagée et distribuée et donc propice <strong>à</strong> un travail <strong>de</strong> déconstruction <strong>de</strong> <strong>la</strong> coconstruction<br />

et <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s diverses diversités. La chercheuse définit les prédiscours<br />

comme « <strong>de</strong>s contenus sémantiques (au sens <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> culturel, idéologique,<br />

encyclopédique), c’est­<strong>à</strong>­dire <strong>de</strong>s savoirs, <strong>de</strong>s croyances et <strong>de</strong>s pratiques (… ) Ces cadres<br />

<strong>ne</strong> gisent pas seulement dans <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s individus et dans <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s groupes, mais<br />

sont distribués dans les contextes matériels <strong>de</strong> <strong>la</strong> production discursive (… ) » (2006 : 14).<br />

Les moyens d’i<strong>de</strong>ntifier ces pré­discours sont nombreux : <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue (<strong>la</strong><br />

preuve par l’étymologisme, le lexicologisme, le soulig<strong>ne</strong>ment métadiscursif… ), <strong>la</strong><br />

mémoire <strong>de</strong>s anciens (l’appel <strong>à</strong> <strong>la</strong> sagesse collective), les noms <strong>de</strong> mémoire (noms<br />

propres, toponymes), <strong>la</strong> <strong>de</strong>ixis encyclopédique (savoirs supposés présents dans <strong>la</strong>


mémoire <strong>de</strong> l’interlocuteur qui provoquent <strong>de</strong> l’empathie), <strong>la</strong> modalité épistémique… A<br />

partir <strong>de</strong> ces éléments, on peut étudier par ex. les stratégies <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong><br />

énoncées plus haut.<br />

Conclusion<br />

Nous sommes arrivés <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> ce rapi<strong>de</strong> parcours <strong>de</strong>s ouvertures possibles qui<br />

s’ouvrent <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> réflexion renouvelée sur l’interculturel. Face <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>crise</strong> <strong>de</strong> l’interculturel<br />

annoncée en titre <strong>de</strong> ce chapitre, un peu comme u<strong>ne</strong> bouta<strong>de</strong>, <strong>la</strong> voie <strong>de</strong>s diverses<br />

diversités s’est ouverte. Qu’il s’agisse du dialogisme ou du cognitif socioculturel, le<br />

message est le même : le vivant est très (trop ? mais qui s’en p<strong>la</strong>indrait ?) riche – et il<br />

l’est pour tous. On <strong>ne</strong> peut donc continuer <strong>à</strong> le travailler avec <strong>de</strong>s théories qui tien<strong>ne</strong>nt <strong>à</strong><br />

moitié, en bascu<strong>la</strong>nt vers le culturalisme ou le néo­essentialisme, ou bien avec <strong>de</strong>s<br />

métho<strong>de</strong>s qui réduisent <strong>de</strong> façon injuste les participants aux étu<strong>de</strong>s <strong>à</strong> <strong>de</strong>s « objets », mais<br />

aussi les chercheurs en êtres que <strong>la</strong> subjectivité n’atteint pas. Michel Maffesoli (2007 : 1)<br />

propose u<strong>ne</strong> « hétérologie », ou un savoir du multiple, qui va dans ce sens, et qui est,<br />

d’après lui, « seul capable <strong>de</strong> reconnaitre <strong>la</strong> richesse du vivant ».<br />

Le lecteur pourra se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sans aucun doute pourquoi continuer <strong>à</strong> travailler<br />

sur l’interculturel et <strong>la</strong> diversité culturelle, si le mon<strong>de</strong> est si complexe et l’Homme<br />

multiple. En effet, <strong>à</strong> vouloir confirmer ces phénomè<strong>ne</strong>s, on en viendra <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> science qui<br />

va tour<strong>ne</strong>r en rond (tout est divers) et s’ennuyer. A ce lecteur, je répondrai qu’avant que<br />

ce<strong>la</strong> soit le cas, il reste encore beaucoup <strong>de</strong> travail. En effet, combien d’individus sont­ils<br />

prêts <strong>à</strong> accepter le paradigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité ? Combien sont­ils d’accord ? C’est donc en<br />

restant vigi<strong>la</strong>nt, critique et en « démontrant » les diverses diversités (et les phénomè<strong>ne</strong>s<br />

<strong>de</strong> solidifications i<strong>de</strong>ntitaires qui les accompag<strong>ne</strong>nt parfois) et en les enseignant, qu’u<strong>ne</strong><br />

hétérologie obligatoirement imprécis (et qui le sait !) pourra vraiment voir le jour.<br />

Bibliographie<br />

Abbas, Y. & <strong>Dervin</strong>, F. (éds.). 2009. Technologies numériques du soi. Paris :<br />

L’Harmattan.<br />

Abdal<strong>la</strong>h­Pretceille, M. 2003. Former et éduquer en contexte hétérogè<strong>ne</strong>. <strong>Pour</strong> un<br />

humanisme du divers. Paris: Anthropos.<br />

Augé, M. 2003. <strong>Pour</strong> quoi vivons­nous? Paris : Fayard.<br />

Bakhti<strong>ne</strong>, M. 1977. Le Marxisme et <strong>la</strong> philosophie du <strong>la</strong>ngage : Essai d'application <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

métho<strong>de</strong> sociologique en linguistique. Paris : Les éditions <strong>de</strong> Minuit.<br />

Baudril<strong>la</strong>rd, J. & Guil<strong>la</strong>ume, M. 1994. Figures <strong>de</strong> l’altérité. Paris : Descartes & Cie.<br />

Bauman, Z. 2003. Liquid love. Cambridge : Polity.<br />

Bauman, Z. 2006. Liquid Fear. Cambridge : Polity.<br />

Bergson, H. 1938. La pensée et le mouvant. Paris : PUF.<br />

Bergson, H. 1907. L’évolution créatrice. Paris : PUF.<br />

Brubaker, R. 2006. Ethnicity without groups. Cambridge, Massachusetts: Harvard<br />

University Press.


Clifford, J. & Marcus, G.E. (eds.). 1986. Writing culture: the poetics of ethnography.<br />

Berkeley: University of California Press.<br />

De Singly, F. 2008. L'oeil <strong>la</strong>ser 2008 : Les nouveaux imaginaires du quotidien. Paris :<br />

L’œil <strong>la</strong>ser.<br />

<strong>Dervin</strong>, F. 2010. Assessing intercultural competence in Language Learning and<br />

Teaching: a critical review of current efforts. In: <strong>Dervin</strong>, F. & E. Suome<strong>la</strong>­Salmi<br />

(eds.). New approaches to assessment in higher education. Bern: Peter Lang. pp.<br />

155­172.<br />

Duncan, N. 2003.‘Race’ talk: discourses on ‘race’ and racial difference. International<br />

Journal of Intercultural Re<strong>la</strong>tions. Vol. 27 (2). pp. 135­156.<br />

Ehrenberg, A. 2000. La Fatigue d'être soi. Dépression et société. Paris : Poches Odile<br />

Jacob.<br />

Ewing, K.P. 1990. The <strong>Il</strong>lusion of Whole<strong>ne</strong>ss: Culture, Self, and the Experience of<br />

Inconsistency. Ethos, Vol. 18, No. 3 (Sep., 1990). pp. 251­278.<br />

Gaulejac, V. <strong>de</strong>. 2009. Qui est « je » ? Paris : Seuil.<br />

Gergen, J.K. 2000. The Saturated Self. NY : Basic Books.<br />

Gillespie, A. & Cornish, F. 2010. What can be said? I<strong>de</strong>ntity as a constraint on<br />

knowledge production. Papers on Social Representations 19, 5.1­5.13.<br />

Gillespie, A. Cornish, F., Aveling, E. & Zittoun, T. 2008. Conflicting community<br />

commitments: A dialogical analysis of a British woman's World War II diaries.<br />

Journal of Community Psychology, 36, 35­52.<br />

Hermans, H.J.H. & Hermans­Konopka, A. 2009. Dialogical Self Theory. Cambridge:<br />

Cambridge University Press.<br />

Holliday, John Kullman, Martin Hy<strong>de</strong> ­ 2004<br />

Holliday, A. <strong>à</strong> paraitre, 2011. Culture, communication, context, and power. In Jackson, J.<br />

(éd.). The Routledge Handbook of Intercultural Communication. London :<br />

Routledge.<br />

Kaufmann, J.­C. 2008 Quand Je est un autre : <strong>Pour</strong>quoi et comment ça change en nous.<br />

Paris : Armand Colin.<br />

Kumaravadivelu, B. 2008. Cultural globalization and <strong>la</strong>nguage education. New Haven &<br />

London: Yale University press.<br />

Lap<strong>la</strong>nti<strong>ne</strong>, F. & Nouss, A. 1977. Le métissage. Paris: Le Pommier.<br />

Latour, B. 2009. Sur le culte mo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s dieux faitiches. Paris : les empêcheurs <strong>de</strong><br />

tour<strong>ne</strong>r en rond.<br />

Li<strong>ne</strong>ll, Per. 2009. Rethinking Language, Mind, and World Dialogically. New York: IAP.<br />

Lull, J. 2000. Media, Communication, Culture: A global approach. Cambridge:<br />

Polity Press.<br />

Maffesoli, M. 1985. La Connaissance ordinaire. Précis <strong>de</strong> sociologie compréhensive..<br />

Paris : Librairie <strong>de</strong>s Méridiens.<br />

Maffesoli, M. 2002. La Part du diable, précis <strong>de</strong> subversion postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>. Paris :<br />

F<strong>la</strong>mmarion.<br />

Maffesoli, M. 2003. L'instant éter<strong>ne</strong>l. Le retour du tragique dans les sociétés<br />

postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>s. Paris : La Table Ron<strong>de</strong>.<br />

Maffesoli, M. 2007. Le réenchantement du mon<strong>de</strong>. Paris : La Table Ron<strong>de</strong>.<br />

Maffesoli, M. 2009. Apocalypse. Paris : CNRS Éditions.


Paveau, M.­A. 2006. Les prédiscours. Paris : presses universitaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sorbon<strong>ne</strong><br />

Nouvelle.<br />

Philipps, A. 2007. Multiculturalism without culture. Oxford: OUP.<br />

Philipps, A. 2010. Gen<strong>de</strong>r and culture. Cambridge: Polity.<br />

Pieterse, J.N. 2004. Globalization and Culture: Global Mé<strong>la</strong>nge. Lanham: Rowman &<br />

Littlefield Publishers.<br />

Rosaldo, R. 1993. Culture and truth : remaking of social analysis. Boston : Beacon Press.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!