Pour faire face à la crise de l'interculturel Fred Dervin Il ne ... - Users
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<strong>Pour</strong> <strong>faire</strong> <strong>face</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>crise</strong> <strong>de</strong> l’interculturel<br />
<strong>Fred</strong> <strong>Dervin</strong><br />
<strong>Il</strong> <strong>ne</strong> faut pas oublier que l’hétérogénéité, même si elle est beaucoup plus<br />
dérangeante, même si elle est beaucoup plus difficile <strong>à</strong> penser, est source <strong>de</strong> vie.<br />
C’est avec le « contradictoriel » (S. Lupasco, G. Durand) que commence<br />
l’existence, alors que l’i<strong>de</strong>ntique ou l’homogè<strong>ne</strong> bien que plus pacifique ou plus<br />
cernable reste potentiellement mortifère.<br />
Maffesoli (2003 : 6)<br />
Commençons notre propos par u<strong>ne</strong> évi<strong>de</strong>nce sur <strong>la</strong> thématique <strong>de</strong> cet ouvrage : le<br />
concept <strong>de</strong> diversité culturelle est suspect. La cause principale est qu’il raccor<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
termes qui portent souvent <strong>à</strong> confusion au quotidien mais aussi dans les mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
recherche : diversité et culturel. Comme le constatait M. Bakhti<strong>ne</strong> (1977 : 31), « le mot<br />
est le phénomè<strong>ne</strong> idéologique par excellence ». <strong>Pour</strong> un grand nombre d’individus,<br />
d’hommes politiques et <strong>de</strong> chercheurs, ces <strong>de</strong>ux mots sont <strong>de</strong>venus flottants, voire vi<strong>de</strong>s ;<br />
<strong>de</strong>s automatismes, voire <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces.<br />
En fait, l’un <strong>de</strong>s plus gros obstacles est que multiples compréhensions du termeclé<br />
(compliqué) <strong>de</strong> culture gui<strong>de</strong>nt les définitions <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité culturelle. En gros, un<br />
peu en guise <strong>de</strong> caricature, si l’on considère <strong>la</strong> culture comme étant un agent dans les<br />
re<strong>la</strong>tions humai<strong>ne</strong>s, un élément soli<strong>de</strong>, inchangeable et unique, alors <strong>la</strong> diversité culturelle<br />
signale l’ensemble <strong>de</strong>s entités présentes dans nos mon<strong>de</strong>s contemporains, que l’on<br />
qualifie <strong>de</strong> façon systématique et peu critique <strong>de</strong> cultures. A l’inverse, si l’on opte pour<br />
u<strong>ne</strong> compréhension postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong> et constructiviste <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion, le concept <strong>de</strong> diversité<br />
culturelle perd <strong>de</strong> sa valeur, et conduit alors <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> tautologie. Si <strong>la</strong> culture est<br />
changeante, mouvante et plurielle ; si elle est liée <strong>à</strong> l’interagentivité <strong>de</strong>s individus qui <strong>la</strong><br />
coconstruisent, alors elle est inévitablement diverse. On a dans ces <strong>de</strong>ux approches u<strong>ne</strong><br />
opposition, que je vais tenter <strong>de</strong> circonscrire dans cette contribution, en ayant recours aux<br />
concepts <strong>de</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (i.e. l’Autre générique signifie diversité) et <strong>de</strong> diverses<br />
diversités (i.e. chaque individu est divers). Je m’intéresse ici au contexte scientifique. On<br />
pourra néanmoins appliquer ces réflexions, critiques et propositions aux contextes du<br />
quotidien, <strong>de</strong> l’éducation et <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique.<br />
L’interculturel est un domai<strong>ne</strong> <strong>de</strong> recherche « éparpillé » qui tente, <strong>de</strong>puis u<strong>ne</strong><br />
trentai<strong>ne</strong> d’années, <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r <strong>à</strong> saisir <strong>la</strong> diversité. <strong>Il</strong> a permis, grâce aux travaux <strong>de</strong><br />
certains chercheurs (Cf. Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>hPretceille en France, Holliday et al. en<br />
Angleterre, Nynäs et <strong>Il</strong>lman en Fin<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, ainsi que nos propres travaux) <strong>de</strong> repousser les<br />
approches culturalistes <strong>de</strong>s rencontres interculturelles, c’est<strong>à</strong>dire, « (… ) u<strong>ne</strong> prétention<br />
<strong>à</strong> <strong>la</strong> connaissance d’autrui par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> sa culture considérée alors<br />
comme un objet fige » (Abdal<strong>la</strong>hPretceille, 2003 : 13). On serait donc témoins<br />
actuellement d’u<strong>ne</strong> mutation dans les étu<strong>de</strong>s interculturelles, d’un mouvement s’éloignant<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (le culturalisme, le groupisme (Brubaker 2006: 8)) vers autre<br />
chose. Un peu comme en anthropologie, <strong>de</strong>puis ce que Clifford et Marcus (1986) ont<br />
appelé <strong>la</strong> « <strong>crise</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> représentation » (qui peut représenter quoi ? les données peuventelles<br />
être considérées comme porteuses <strong>de</strong> vérité ?...), qui a fait naître u<strong>ne</strong> nouvelle<br />
anthropologie, davantage autoréflexive et critique <strong>face</strong> aux « objets culturels », aux
données produites, aux coconstructions discursives entre les chercheurs et les<br />
participants <strong>à</strong> leurs ethnographies.<br />
Ce que propose, notamment, Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>hPretceille (cf. sa contribution dans<br />
ce volume) s’intitule « un humanisme du divers ». Sa démarche va au<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture<br />
et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité soli<strong>de</strong> et unique, explicatives <strong>de</strong>s faits sociaux et <strong>de</strong>s rencontres. Ses idées<br />
semblent être rentrées dans le « patrimoi<strong>ne</strong> » <strong>de</strong> l’interculturel (du moins francopho<strong>ne</strong>). <strong>Il</strong><br />
en va <strong>de</strong> même avec les travaux <strong>de</strong> Holliday et al. (2004) et <strong>de</strong> Kumaravadivelu (2008)<br />
dans les mon<strong>de</strong>s anglosaxons. An<strong>ne</strong> Philipps, auteur <strong>de</strong> l’ouvrage au titre révé<strong>la</strong>teur<br />
« Multiculturalism without culture », publié en 2007, expliquait récemment (2010 : 7)<br />
que les théoriciens du multiculturalisme euxmêmes ont aussi absorbé l’argument les<br />
cultures sont flui<strong>de</strong>s, plurielles et qu’elles se mé<strong>la</strong>ngent entre elles.<br />
<strong>Pour</strong>tant, cette mutation, ce changement souvent brutal dans les discours, n’est<br />
pas sans poser <strong>de</strong> problèmes, voire <strong>de</strong> malentendus. Alors u<strong>ne</strong> remarque provocatrice :<br />
l’interculturel, qui semble avoir les moyens théoriques <strong>de</strong> traiter <strong>de</strong> <strong>la</strong> « vraie » diversité,<br />
et qui peut aussi emprunter aux démarches diversitaires telles que le postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>, le<br />
Queer, le postcolonialisme, etc., semble connaître actuellement u<strong>ne</strong> <strong>crise</strong>. Dans ce qui<br />
suit, je ferai le point sur certains malentendus qui entourent l’interculturel et proposerai<br />
u<strong>ne</strong> approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité fondée sur l’idée <strong>de</strong>s diverses diversités. Ce <strong>de</strong>rnier concept,<br />
qui peut paraître redondant, servira <strong>à</strong> soutenir l’idée que l’on <strong>de</strong>vrait s’éloig<strong>ne</strong>r d’u<strong>ne</strong><br />
vision limitée voire ségrégante <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité (<strong>de</strong> faça<strong>de</strong>) et s’intéresser aux diversités <strong>de</strong><br />
chacun. C’est l<strong>à</strong> aussi un moyen <strong>de</strong> « corriger » le constructivisme « mou » et parfois<br />
« gentillet » qui touche actuellement les étu<strong>de</strong>s interculturelles.<br />
Se débarrasser du culturel ?<br />
Tout d’abord, on se situe toujours et encore dans l’interculturel – le mot culture<br />
est in<strong>la</strong>ssablement présent. La confusion du terme se reflète souvent dans les discours <strong>de</strong><br />
chercheurs qui tentent d’approcher l’interculturel <strong>à</strong> travers <strong>de</strong>s réflexions « mouvantes »<br />
mais qui continuent <strong>à</strong> utiliser le concept sans le délimiter, sans le critiquer. Ce<strong>la</strong> conduit<br />
aussi <strong>à</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> cadres théoriques contradictoires où <strong>de</strong>s chercheurs <strong>de</strong> type<br />
culturaliste (E.T. Hall, Hofste<strong>de</strong>… ) sont associés et complètent <strong>de</strong>s chercheurs plus<br />
critiques et « postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>s » (Augé, Lap<strong>la</strong>nti<strong>ne</strong>, Maffesoli, Morin… ). Enfin, on trouve<br />
souvent un hiatus entre les réflexions théoriques proposées et les métho<strong>de</strong>s d’analyse <strong>de</strong><br />
type analyses <strong>de</strong> contenu « molles », <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s que l’on pourrait appeler « faitiches »<br />
après Latour (2009), car restent en sur<strong>face</strong> du discours <strong>de</strong>s individus, <strong>de</strong>s faits et<br />
présentent leurs paroles comme « vérités ». Ainsi, tel individu ayant vécu un an dans un<br />
pays étranger, affirme être <strong>de</strong>venu biculturel (i.e. il a acquis <strong>la</strong> « culture » <strong>de</strong> l’autre pays<br />
et est capable <strong>de</strong> jongler avec les <strong>de</strong>ux « cultures »). Ce discours est repris par certains<br />
chercheurs dans leurs analyses pour démontrer <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> celuici… alors qu’on se<br />
trouve dans le « biculturalisme » et tous les problèmes épistémologiques et politiques que<br />
le concept contient. En effet, quelles frontières entre ces <strong>de</strong>ux cultures ? Avonsnous<br />
d’ailleurs af<strong>faire</strong> <strong>à</strong> <strong>de</strong>ux entités bien distinctes ? On fait donc toujours <strong>face</strong> ici <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
« production artificielle d’étrangeté » (Guil<strong>la</strong>ume & Baudril<strong>la</strong>rd, 1994 : 21), qui semble<br />
aller au<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du culturalisme mais qui s’y rapproche parfois. On aurait af<strong>faire</strong>, d’après<br />
Holliday (<strong>à</strong> paraître), <strong>à</strong> du néoessentialisme (ou néoculturalisme ?) ; en tout cas, <strong>à</strong> du<br />
positivisme.
J’ai proposé moimême le concept ma<strong>la</strong>droit <strong>de</strong> protéophilique (protéo :<br />
diversité ; philia : appréciation) pour sortir <strong>de</strong> l’impasse et surtout éviter les malentendus<br />
avec les chercheurs qui travaillent sur l’interculturel mais avec u<strong>ne</strong> approche diversitaire<br />
culturaliste ou néoessentialiste (<strong>Dervin</strong>, 2010). Dans u<strong>ne</strong> étu<strong>de</strong> <strong>à</strong> paraître sur le<br />
traitement <strong>de</strong>s étudiants chinois mobiles dans <strong>la</strong> littérature scientifique, j’ai pu montrer<br />
les discours contradictoires entre diverses diversités (il <strong>ne</strong> faut pas généraliser) et<br />
diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong> (les Chinois <strong>de</strong> Shenzhen sont plus timi<strong>de</strong>s) chez les chercheurs. Mais<br />
le terme protéophilique séduit peu car il est peu transparent et peutêtre moins attrayant<br />
que celui (doxique et marketing) d’interculturel…<br />
Fautil donc <strong>à</strong> tout prix tenter <strong>de</strong> se débarrasser <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture ? Oui mais ce<strong>la</strong><br />
écarterait u<strong>ne</strong> gran<strong>de</strong> partie d’auditeurs et <strong>de</strong> lecteurs avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion qui auraient<br />
besoin d’apprendre <strong>à</strong> <strong>la</strong> dépasser.<br />
Socialité et discours <strong>de</strong> recherche sur le soi et l’autre<br />
Michel Maffesoli démontre <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s décennies que nous sommes entrés dans<br />
l’ère <strong>de</strong> <strong>la</strong> socialité où « ce n’est pas le simple social <strong>à</strong> dominante ration<strong>ne</strong>lle, ayant pour<br />
expression le politique et l’économique, mais bien u<strong>ne</strong> autre manière d’être ensemble, où<br />
l’imaginaire, l’onirique, le ludique, justement, occupent u<strong>ne</strong> p<strong>la</strong>ce primordiale »<br />
(Maffesoli, 2009 : 23). Le sociétal étant alors forcément mouvant et désordonné, il est<br />
c<strong>la</strong>ir que <strong>la</strong> diversité est constitutive <strong>de</strong> tout individu, <strong>de</strong> tout groupe, <strong>de</strong> toute socialité…<br />
et qu’elle n’est pas réservée <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> seule partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion (immigrés, étrangers,<br />
binationaux, plurilingues… ).<br />
En réaction <strong>à</strong> cette socialité, qui représente en quelque sorte u<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s peurs<br />
liqui<strong>de</strong>s (ou peurs du gouffre) <strong>de</strong> Z. Bauman (2006), le soi et l’autre continuent <strong>à</strong> être<br />
réduits <strong>à</strong> <strong>de</strong>s entités fermées. Marti<strong>ne</strong> Abdal<strong>la</strong>hPretceille (2003 : 22) formule cette idée<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> façon suivante : « Toute énonciation sur autrui le transforme en objet objet du<br />
discours – et légitime, par ailleurs, u<strong>ne</strong> frontière, réelle ou symbolique ». Dans ces<br />
représentations <strong>de</strong>s individus, il y a nécessairement un « exercice <strong>de</strong> pouvoir », u<strong>ne</strong><br />
hiérarchie « culturelle » plutôt qu’u<strong>ne</strong> « variation » (Duncan, 2003 ; Philipps, 2010 : 20).<br />
Ainsi, pour Marc Augé, l’image <strong>de</strong> l’autre « se substitue <strong>de</strong> plus en plus au souci <strong>de</strong> le<br />
connaître et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntifier comme person<strong>ne</strong> » (Augé, 2003 : 92). Cette image est souvent<br />
réduite aux nations, aux cultures (qui <strong>ne</strong> sont en fait que <strong>de</strong>s récits ; Lull, 2000) ou aux<br />
i<strong>de</strong>ntités mises en discours par l’un ou l’autre (sexuelles, religieuses, génération<strong>ne</strong>lles… ).<br />
L’altérité se construirait donc davantage qu’elle <strong>ne</strong> se découvre, <strong>à</strong> notre époque<br />
(Baudril<strong>la</strong>rd & Guil<strong>la</strong>ume, 1994 : 52).<br />
<strong>Pour</strong> le chercheur en interculturel, l’idée <strong>de</strong> socialité a u<strong>ne</strong> conséquence<br />
importante : il se rend alors compte que tout <strong>ne</strong> peut pas être expliqué et qu’il a toujours<br />
af<strong>faire</strong> <strong>à</strong> <strong>de</strong>s discours forcément instables, imprécis, coconstruits et qui ont u<strong>ne</strong> certai<strong>ne</strong><br />
« part <strong>de</strong> l’ombre » (Maffesoli, 2002). Telle re<strong>la</strong>tion interculturelle se créé, fonction<strong>ne</strong>,<br />
échoue, etc., et il lui est presqu’impossible <strong>de</strong> dire qu’elle en est <strong>la</strong> raison. S’il le fait, il<br />
court le risque d’imposer <strong>de</strong>s interprétations irrespectueuses envers <strong>la</strong> subjectivité <strong>de</strong> ses<br />
« observés ». D’u<strong>ne</strong> part, le chercheur n’a pas accès <strong>à</strong> tous les éléments qui intervien<strong>ne</strong>nt<br />
dans les interactions (au<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du contexte même d’interaction, tel que <strong>la</strong> mémoire, les<br />
interdiscours partagés, <strong>la</strong> pluralité inter<strong>ne</strong> <strong>de</strong> chaque individu – i.e. le « mensonge », « <strong>la</strong><br />
c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité <strong>de</strong> l’existence » (Maffesoli, 1985 : 189), d’autre part, en tant que chercheur,
surtout s’il est présent dans les actes d’interaction, il <strong>ne</strong> peut ignorer sa propre<br />
contribution aux actes i<strong>de</strong>ntitaires qui se déroulent <strong>de</strong>vant ses yeux, l’interagentivité qu’il<br />
impose aux sujets, et aspirer <strong>à</strong> décrire ce qui se passe, tel un « <strong>de</strong>tached observer using a<br />
<strong>ne</strong>utral <strong>la</strong>nguage to exp<strong>la</strong>in ‘raw data’ » (Rosaldo, 1993: 37). Nous avons l<strong>à</strong> un point<br />
essentiel que Gauje<strong>la</strong>c (2009 : 362) soulig<strong>ne</strong> pour <strong>la</strong> recherche sur l’i<strong>de</strong>ntité en<br />
sociologie, et dont l’interculturel pourrait jouir : « Bon nombre <strong>de</strong> sociologues soulèvent<br />
<strong>de</strong>s questions perti<strong>ne</strong>ntes sur l’i<strong>de</strong>ntité, le sujet, <strong>la</strong> subjectivité, qui conduisent <strong>à</strong> <strong>de</strong>s<br />
recompositions disciplinaires. Mais sontils prêts pour autant <strong>à</strong> accepter les conséquences<br />
théoriques et méthodologiques que cette ouverture implique ? ». Dans l’interculturel,<br />
sommesnous aussi prêts <strong>à</strong> accepter cette omnidiversité, ces diverses diversités <strong>de</strong><br />
chacun qui vont au<strong>de</strong>l<strong>à</strong> <strong>de</strong>s catégories soli<strong>de</strong>s ou pseudomouvantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> nationalité, <strong>la</strong><br />
<strong>la</strong>ngue, l’ethnie… ? Sommesnous également en mesure <strong>de</strong> prendre en compte l’impact<br />
<strong>de</strong> notre propre diversité et <strong>de</strong>s discours afférents sur les données que nous examinons ?<br />
Enfin, pouvonsnous nous satis<strong>faire</strong> d’analyses inévitablement incomplètes car<br />
incapables d’expliquer le vrai divers ? Et <strong>de</strong> remettre ainsi en question notre casquette <strong>de</strong><br />
« travailleur <strong>de</strong> <strong>la</strong> preuve » (Latour, 2009 : 43) ? <strong>Il</strong> <strong>ne</strong> s’agit pas l<strong>à</strong> d’avouer <strong>la</strong> défaite ou<br />
<strong>de</strong> <strong>faire</strong> preuve <strong>de</strong> lâcheté mais <strong>de</strong> respecter les diverses diversités avec lesquelles nous<br />
sommes amenées en interculturel.<br />
Diverses diversités<br />
La vérité est qu'on change sans cesse, et que l'état luimême est déj<strong>à</strong> du<br />
changement.<br />
Bergson, 1907 : 13<br />
Passons <strong>à</strong> présent aux diverses diversités. En psychologie sociale, le concept du<br />
« sens <strong>de</strong> communauté », i.e. <strong>la</strong> réalité psychologique <strong>de</strong> ce que être membre d’u<strong>ne</strong><br />
« communauté » signifie pour un individu, a été travaillé entre autres pas Gillespie et al.<br />
(2008 : 36) pour démontrer les aspects dynamiques <strong>de</strong>s sentiments d’appartenance. En<br />
effet, dans leurs étu<strong>de</strong>s, ils montrent bien comment les individus adhèrent <strong>à</strong> différentes<br />
communautés, qui se contredisent et qu’ainsi, que les attachements <strong>à</strong> diverses<br />
communautés peuvent coexister et interagir au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> subjectivité d’un individu (ibid :<br />
49).<br />
<strong>Il</strong> est c<strong>la</strong>ir que, même si ces diversités sont évi<strong>de</strong>ntes, l’individu contemporain<br />
peut se réfugier dans <strong>de</strong>s appartenances, <strong>de</strong>s communautés et limiter ses attachements.<br />
<strong>Pour</strong> créer u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité, il faut un autre, et parfois, cet autre nous pousse <strong>à</strong> nous renfermer<br />
dans u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité unique, <strong>à</strong> refuser <strong>la</strong> multiplicité par peur, par hiérarchie, par « fatigue »<br />
(Ehrenberg, 2000). De Singly (2008 : 95), qui est re<strong>la</strong>tivement critique <strong>de</strong>s visions parfois<br />
idéalistes <strong>de</strong>s postmo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>s, nous explique que « même hypermo<strong>de</strong>r<strong>ne</strong>, l’individu <strong>ne</strong><br />
peut pas vivre sans un certain enraci<strong>ne</strong>ment, sans <strong>de</strong>s appartenances revendiquées. <strong>Il</strong> le<br />
fait avec modération. Mais il le fait, non seulement pour se distinguer, mais aussi pour<br />
être ancré. La consistance dont il a besoin <strong>ne</strong> peut pas venir d’u<strong>ne</strong> i<strong>de</strong>ntité virevoltante,<br />
elle doit prendre appui sur d’autres supports, notamment sur <strong>de</strong>s appartenances ».<br />
Zygmund Bauman (2003 : 110) note <strong>à</strong> propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> communauté qu’elle<br />
représente u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> contrat d’assurance contre les risques <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> créés par les<br />
mon<strong>de</strong>s pluriels dans lesquels nous vivons.
Mais, même dans les cas <strong>de</strong> « solidification » i<strong>de</strong>ntitaire (extrémisme religieux,<br />
culturel, linguistique… ), l’individu <strong>ne</strong> peut que vivre <strong>de</strong>s diverses diversités, en d’autres<br />
termes, <strong>à</strong> aucun moment il <strong>ne</strong> peut se dire « complet », unique, i<strong>de</strong>ntitairement stable.<br />
<strong>Pour</strong> K. Ewing (1990 : 251), dans tout espacetemps, les individus sont amenés <strong>à</strong> projeter<br />
<strong>de</strong>s « représentations <strong>de</strong> soi » (plutôt que <strong>de</strong>s soi) qui sont multiples, inconsistants et<br />
instables, variant selon les contextes traversés et les stimuli inter<strong>ne</strong>s et exter<strong>ne</strong>s (ibid. :<br />
258). Si l’on reprend ce qu’affirmait Bergson (1938 : 159) il y a tout juste un siècle, on a,<br />
résumée, cette idée <strong>de</strong> diverses diversités constantes :<br />
A vrai dire, il n’y a jamais d’immobilité véritable, si nous entendons par l<strong>à</strong> u<strong>ne</strong><br />
absence <strong>de</strong> mouvement. Le mouvement est <strong>la</strong> réalité même, et ce que nous<br />
appelons immobilité est un certain état <strong>de</strong> choses analogue <strong>à</strong> ce qui se produit<br />
quand <strong>de</strong>ux trains marchent avec <strong>la</strong> même vitesse, dans le même sens, sur <strong>de</strong>ux<br />
voies parallèles: chacun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux trains est alors immobile pour les voyageurs<br />
assis dans l’autre.<br />
L’immobilité, même si elle est dans certains cas marquée, est en fait mobilité.<br />
Ce<strong>la</strong> confirme l’idée travaillée <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s temps, que l’individu n’a ni d’ « être<br />
authentique », ni <strong>de</strong> « vérité » (Kaufmann, 2008 : 57). <strong>Il</strong> est traversé en perma<strong>ne</strong>nce par<br />
<strong>de</strong>s voix alternatives et influences diverses (cf. le concept <strong>de</strong> multiphrénie chez Gergen,<br />
2000 : 16), qui lui font re<strong>la</strong>tiviser ce qu’il considère être « <strong>la</strong> vérité ». Le mé<strong>la</strong>nge et<br />
l’hybridité ont toujours été <strong>de</strong>s constantes chez l’individu (Pieterse, 2004) et notre époque<br />
<strong>de</strong> globalisation accélérée (i<strong>de</strong>m), <strong>ne</strong> fait qu’accentuer et développer ces phénomè<strong>ne</strong>s.<br />
D’où l’idée que <strong>la</strong> pureté culturelle, i<strong>de</strong>ntitaire, linguistique n’a pas <strong>de</strong> sens, et que si l’on<br />
tente <strong>de</strong> les i<strong>de</strong>ntifier, on tombe forcément dans du déterminisme et <strong>de</strong> l’essentialisme (et<br />
donc un jeu <strong>de</strong> « pouvoirs »). <strong>Pour</strong> Lap<strong>la</strong>nti<strong>ne</strong> et Nouss (1977 : 18) : « il <strong>de</strong>vient, les<br />
années passant impossible d’effectuer un tri, <strong>de</strong> distinguer les processus d’adaptation (<strong>de</strong><br />
ce qui vient <strong>de</strong> l’extérieur) et d’absorption (par ce qui est <strong>à</strong> l’intérieur) ».<br />
En tout, on se rend compte <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l<strong>à</strong> que si l’on souhaite travailler sur <strong>la</strong><br />
« diversité culturelle » qu’il faudrait mieux s’orienter vers l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> négociation et <strong>de</strong><br />
coconstruction <strong>de</strong>s diverses diversités d’individus en présence plutôt que <strong>de</strong> chercher <strong>de</strong>s<br />
marques <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité culturelle <strong>à</strong> travers <strong>de</strong>s artefacts ou <strong>de</strong>s discours <strong>de</strong> vérité (chez<br />
moi, on fait comme ça ; je suis biculturel…). En résumé, travailler sur les processus plutôt<br />
que sur les produits. Je propose dans ce qui suit quelques ouvertures.<br />
Ouvertures : comment travailler les diverses diversités ?<br />
Jusqu’ici, les étu<strong>de</strong>s interculturelles ont tenté d’expliquer ou d’interpréter en<br />
cherchant <strong>de</strong>s logiques explicatives. <strong>Pour</strong> Gauje<strong>la</strong>c (2009 : 197), il serait préférable <strong>de</strong><br />
« mettre <strong>la</strong> contradiction au centre <strong>de</strong> l’analyse parce qu’elle est au fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’être<br />
<strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> l’être <strong>de</strong> <strong>la</strong> société ». Si inconsistance et mouvance il y a, alors <strong>la</strong> voie<br />
<strong>de</strong> l’instabilité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> contradiction <strong>de</strong>vraient s’ouvrir aux étu<strong>de</strong>s interculturelles.<br />
Deux domai<strong>ne</strong>s pourront nous permettre d’ouvrir <strong>de</strong>s portes ici : le dialogisme et<br />
le cognitif socioculturel.<br />
La théorie du Dialogical self est u<strong>ne</strong> réponse directe aux conceptions<br />
individualistes du soi. S’inspirant <strong>de</strong> Mead, Vygotsky mais aussi Bakhti<strong>ne</strong>, ce<br />
mouvement <strong>de</strong> recherche (qui est loin d’être u<strong>ne</strong> nouveauté mais qui connaît un certain
egain d’intérêt interdisciplinaire grâce aux travaux du groupe international <strong>de</strong> Dialogical<br />
Sciences, cf. http://www.dialogicalscience.org/) affirme que <strong>la</strong> subjectivité <strong>de</strong> l’individu<br />
est fondée sur u<strong>ne</strong> communauté <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong> positions, qui lui sont <strong>à</strong> fois exter<strong>ne</strong>s et<br />
inter<strong>ne</strong>s. Ces voix provien<strong>ne</strong>nt <strong>de</strong> sources diverses : famille, média, hommes politiques,<br />
enseignants, etc. et se multiplient dans nos mon<strong>de</strong>s contemporains, grâce <strong>à</strong> l’accès<br />
presque illimité <strong>de</strong>s voix et positions d’autres espacestemps (cf. l’exemple <strong>de</strong>s<br />
technologies numériques du soi dans Abbas & <strong>Dervin</strong>, 2009). Ce que les dialogical<br />
scientists tentent <strong>de</strong> <strong>faire</strong>, c’est d’i<strong>de</strong>ntifier les voix et positions chez les individus et<br />
d’observer comment cellesci dialoguent ensemble, se réfutent, sont mises en scè<strong>ne</strong>... en<br />
al<strong>la</strong>nt au<strong>de</strong>l<strong>à</strong> du contexte immédiat d’interaction et en prenant en compte les contextes<br />
« macro » (socialité, histoire… ) et les processus person<strong>ne</strong>ls, intrapsychologiques et<br />
subjectifs (Li<strong>ne</strong>ll, 2009). Ainsi, ce sont les voix <strong>de</strong>s « communautés » et <strong>de</strong>s autres<br />
individus mais aussi leurs influences qui sont travaillées et qui permettent d’interroger les<br />
diverses diversités mises en avant (Gillespie et al. 2008 : 37). Par exemple, u<strong>ne</strong> person<strong>ne</strong><br />
peut être amenée <strong>à</strong> décrire <strong>la</strong> position <strong>de</strong> sa communauté sans s’alig<strong>ne</strong>r sur son discours.<br />
Ou bien, <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté peut être absorbée et présentée comme seule et unique<br />
discours. C’est l<strong>à</strong> où les concepts d’intersubjectivité et d’interagentivité pren<strong>ne</strong>nt leur<br />
importance. En effet, si l’on souhaite travailler sur les diverses diversités <strong>de</strong> chacun, on<br />
<strong>ne</strong> peut pas écarter l’altérité qui compose avec l’individu ces diversités. Ce<strong>la</strong> signifie pour<br />
le chercheur, prendre en compte systématiquement les voixautres dans ses analyses<br />
(Gillespie & Cornish, 2010: 1) et donc abandon<strong>ne</strong>r les approches individualistes, dans les<br />
métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> recherche ou <strong>de</strong> travail telles que les observations, entretiens, etc. Tous les<br />
travaux linguistiques sur le dialogisme (ex.: Vion, Rosier… ) apportent <strong>de</strong> bons outils<br />
d’analyse, <strong>de</strong> bons indicateurs.<br />
Dans un livre très récent, les dialogistes Hermans & HermansKonopka (2009 : 3)<br />
expliquent que l’incertitu<strong>de</strong> est un concept clé pour comprendre les mon<strong>de</strong>s<br />
contemporains et les rapports entretenus entre les individus. <strong>Il</strong>s proposent ainsi<br />
d’exami<strong>ne</strong>r comment le « soi dialogique » fait <strong>face</strong> <strong>à</strong> celleci en termes <strong>de</strong> stratégies, en<br />
examinant les voix et les positions. Avec cette proposition, ils ouvrent tout un pan <strong>de</strong><br />
recherches potentielles en interculturel. <strong>Il</strong>s voient 5 niveaux <strong>de</strong> stratégies <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong><br />
l’incertitu<strong>de</strong> que je détaille ici :<br />
1. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> i<strong>de</strong>ntitaire en diminuant le nombre et l’hétérogénéité <strong>de</strong>s<br />
positions et <strong>de</strong>s voix du soi ;<br />
2. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> en <strong>la</strong>issant émerger u<strong>ne</strong> position ou u<strong>ne</strong> voix puissante et<br />
importante, qui va domi<strong>ne</strong>r le soi entier (par ex. en rejoignant un groupe religieux,<br />
politique… ) ;<br />
3. l’individu réduit l’incertitu<strong>de</strong> en accentuant les frontières entre le soi et l’altérité,<br />
considérant cette <strong>de</strong>rnière comme trop différente, étrangère voire même abjecte (racisme,<br />
xénophobie… ) ;<br />
4. l’individu peut réduire son incertitu<strong>de</strong> en accroissant le nombre <strong>de</strong> positions et voix qui<br />
composent son soi ;<br />
5. l’individu accepte entièrement les diversités <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong> positions qui composent son<br />
soi et fait fi <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong> qui les accompag<strong>ne</strong> – et accepte donc l’impact <strong>de</strong> l’altérité<br />
sur ses positions et voix.
<strong>Pour</strong> le chercheur travail<strong>la</strong>nt sur les re<strong>la</strong>tions interculturelles, cette progression est<br />
intéressante car il peut étudier <strong>à</strong> partir <strong>de</strong> l<strong>à</strong> les voix et positions présentées par les<br />
individus en contact et ainsi les types <strong>de</strong> stratégies adoptées pour <strong>faire</strong> <strong>face</strong> <strong>à</strong> l’incertitu<strong>de</strong><br />
et aux multiples positions et voix mises en avant – donc aux diverses diversités. Dans les<br />
trois – voire quatre – premières stratégies, on est dans <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong> faça<strong>de</strong>. <strong>Pour</strong> que<br />
l’interculturel soit « efficace », l’individu <strong>de</strong>vrait jouir entièrement du cinquième niveau<br />
et pouvoir avoir recours <strong>à</strong> un maximum <strong>de</strong> voix et positions et ainsi jouir <strong>de</strong> ses diverses<br />
diversités, ainsi que ses interlocuteurs.<br />
Un autre exemple <strong>de</strong> démarche, complémentaire au dialogisme, qui peut apporter<br />
davantage <strong>de</strong> diversitaire <strong>à</strong> l’interculturel, c’est celui du cognitif socioculturel, tel qu’il<br />
est soutenu par MarieAn<strong>ne</strong> Paveau dans sa théorie <strong>de</strong>s prédiscours mais aussi par R.<br />
Brubaker dans ses étu<strong>de</strong>s sur l’ethnicité et les groupes.<br />
<strong>Pour</strong> Roger Brubaker (2006 : 17), les démarches cognitives peuvent soutenir <strong>la</strong><br />
recherche constructiviste sur l’ethnicité, <strong>la</strong> race et les nations – et donc l’interculturel car:<br />
Instead of simply asserting that ethnicity, race and nationhood are constructed,<br />
that can help specify how they are constructed. They can help specify howand<br />
whenpeople i<strong>de</strong>ntity themselves, perceive others, experience the world, and<br />
interpret their predicaments in racial, ethnic, national rather than other terms.<br />
They can help specify how “group<strong>ne</strong>ss” can “crystallize” in some situations while<br />
remaining <strong>la</strong>tent and merely potential in others.<br />
On revient ici <strong>à</strong> <strong>la</strong> problématique centrale <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<br />
interculturelle. <strong>Il</strong> <strong>ne</strong> s’agit pas, en effet, <strong>de</strong> décrire <strong>de</strong>s cultures en présence, ou quels<br />
aspects <strong>de</strong> ces cultures sont présentés comme preuves par <strong>de</strong>s individus ; il <strong>ne</strong> s’agit pas<br />
non plus <strong>de</strong> simplement dire que les individus coconstruisent leurs i<strong>de</strong>ntités, re<strong>la</strong>tions,<br />
cultures etc. mais <strong>de</strong> voir concrètement comment et pour quelles raisons les rencontres<br />
interculturelles signifient « coconstruction <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> l’Autre ». Ces métho<strong>de</strong>s<br />
permettent donc d’étudier <strong>la</strong> mouvance présentée et coconstruite par chacun mais aussi<br />
les moments d’instabilité, <strong>de</strong> réduction, <strong>de</strong> « cristallisations » du soi et <strong>de</strong> l’autre.<br />
MarieAn<strong>ne</strong> Paveau, elle, <strong>ne</strong> travaille pas sur <strong>la</strong> diversité mais il me semble que<br />
son approche serait bénéfique <strong>à</strong> l’interculturel. Elle propose (2006 : 1) d’apporter u<strong>ne</strong><br />
dimension cognitive <strong>à</strong> l’analyse linguistique du discours, c’est<strong>à</strong>dire « <strong>la</strong> prise en compte<br />
<strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> construction <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong> leur mise en discours <strong>à</strong> partir <strong>de</strong>s<br />
données reçues par les sens, <strong>la</strong> mémoire et les re<strong>la</strong>tions sociales », qui permettrait<br />
d’exami<strong>ne</strong>r « <strong>la</strong> « boite noire » <strong>de</strong>s informations préa<strong>la</strong>bles » (ibid : 14). Cette dimension<br />
est située, partagée et distribuée et donc propice <strong>à</strong> un travail <strong>de</strong> déconstruction <strong>de</strong> <strong>la</strong> coconstruction<br />
et <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong>s diverses diversités. La chercheuse définit les prédiscours<br />
comme « <strong>de</strong>s contenus sémantiques (au sens <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> culturel, idéologique,<br />
encyclopédique), c’est<strong>à</strong>dire <strong>de</strong>s savoirs, <strong>de</strong>s croyances et <strong>de</strong>s pratiques (… ) Ces cadres<br />
<strong>ne</strong> gisent pas seulement dans <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s individus et dans <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s groupes, mais<br />
sont distribués dans les contextes matériels <strong>de</strong> <strong>la</strong> production discursive (… ) » (2006 : 14).<br />
Les moyens d’i<strong>de</strong>ntifier ces prédiscours sont nombreux : <strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue (<strong>la</strong><br />
preuve par l’étymologisme, le lexicologisme, le soulig<strong>ne</strong>ment métadiscursif… ), <strong>la</strong><br />
mémoire <strong>de</strong>s anciens (l’appel <strong>à</strong> <strong>la</strong> sagesse collective), les noms <strong>de</strong> mémoire (noms<br />
propres, toponymes), <strong>la</strong> <strong>de</strong>ixis encyclopédique (savoirs supposés présents dans <strong>la</strong>
mémoire <strong>de</strong> l’interlocuteur qui provoquent <strong>de</strong> l’empathie), <strong>la</strong> modalité épistémique… A<br />
partir <strong>de</strong> ces éléments, on peut étudier par ex. les stratégies <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong> l’incertitu<strong>de</strong><br />
énoncées plus haut.<br />
Conclusion<br />
Nous sommes arrivés <strong>à</strong> <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> ce rapi<strong>de</strong> parcours <strong>de</strong>s ouvertures possibles qui<br />
s’ouvrent <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> réflexion renouvelée sur l’interculturel. Face <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>crise</strong> <strong>de</strong> l’interculturel<br />
annoncée en titre <strong>de</strong> ce chapitre, un peu comme u<strong>ne</strong> bouta<strong>de</strong>, <strong>la</strong> voie <strong>de</strong>s diverses<br />
diversités s’est ouverte. Qu’il s’agisse du dialogisme ou du cognitif socioculturel, le<br />
message est le même : le vivant est très (trop ? mais qui s’en p<strong>la</strong>indrait ?) riche – et il<br />
l’est pour tous. On <strong>ne</strong> peut donc continuer <strong>à</strong> le travailler avec <strong>de</strong>s théories qui tien<strong>ne</strong>nt <strong>à</strong><br />
moitié, en bascu<strong>la</strong>nt vers le culturalisme ou le néoessentialisme, ou bien avec <strong>de</strong>s<br />
métho<strong>de</strong>s qui réduisent <strong>de</strong> façon injuste les participants aux étu<strong>de</strong>s <strong>à</strong> <strong>de</strong>s « objets », mais<br />
aussi les chercheurs en êtres que <strong>la</strong> subjectivité n’atteint pas. Michel Maffesoli (2007 : 1)<br />
propose u<strong>ne</strong> « hétérologie », ou un savoir du multiple, qui va dans ce sens, et qui est,<br />
d’après lui, « seul capable <strong>de</strong> reconnaitre <strong>la</strong> richesse du vivant ».<br />
Le lecteur pourra se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sans aucun doute pourquoi continuer <strong>à</strong> travailler<br />
sur l’interculturel et <strong>la</strong> diversité culturelle, si le mon<strong>de</strong> est si complexe et l’Homme<br />
multiple. En effet, <strong>à</strong> vouloir confirmer ces phénomè<strong>ne</strong>s, on en viendra <strong>à</strong> u<strong>ne</strong> science qui<br />
va tour<strong>ne</strong>r en rond (tout est divers) et s’ennuyer. A ce lecteur, je répondrai qu’avant que<br />
ce<strong>la</strong> soit le cas, il reste encore beaucoup <strong>de</strong> travail. En effet, combien d’individus sontils<br />
prêts <strong>à</strong> accepter le paradigme <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité ? Combien sontils d’accord ? C’est donc en<br />
restant vigi<strong>la</strong>nt, critique et en « démontrant » les diverses diversités (et les phénomè<strong>ne</strong>s<br />
<strong>de</strong> solidifications i<strong>de</strong>ntitaires qui les accompag<strong>ne</strong>nt parfois) et en les enseignant, qu’u<strong>ne</strong><br />
hétérologie obligatoirement imprécis (et qui le sait !) pourra vraiment voir le jour.<br />
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