Le dernier voyage du Karl Marx

Le dernier voyage du Karl Marx Le dernier voyage du Karl Marx

© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 1<br />

<strong>Le</strong> <strong>dernier</strong> <strong>voyage</strong> <strong>du</strong> <strong>Karl</strong> <strong>Marx</strong><br />

Projet de travail pour un film animé<br />

H.J. Krysmanski<br />

Alger, le 27 Avril 1882


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Berlin aujourd’hui<br />

Unter den Linden, le soir vers 10 heures. <strong>Le</strong> «Mariage de Figaro» touche à sa fin au<br />

Staatsoper, le public commence à sortir, parmi eux un élégant jeune homme d’une vingtaine<br />

d’années, cheveux noirs, teint foncé et une barbe naissante. Il se dirige à grandes<br />

enjambées vers la <strong>Karl</strong>-Liebknecht-Strasse et l’Alexanderplatz, passant devant l’Université<br />

Humboldt où les fenêtres sont encore éclairées, devant les anciens quartiers <strong>du</strong><br />

Commandant de la ville, occupés maintenant par les bureaux des éditions Bertelsmann,<br />

traverse le renfoncement <strong>du</strong> Vieux Musée, dépasse le Berliner Dom, les sinistres ruines <strong>du</strong><br />

Palais de la République, vestige de la défunte RDA. Après une courte<br />

hésitation, il tourne à droite et commence à traverser la place circulaire <strong>du</strong><br />

<strong>Marx</strong>-Engels-Forum plongé dans les ténèbres.<br />

<strong>Le</strong> jeune homme s’arrête devant les massives statues de bronze. Il a envie,<br />

comme chaque jour des centaines de touristes, de caresser de la main le<br />

genou reluisant de <strong>Marx</strong> assis. Mais il a aperçu dans l’ombre de la statue un<br />

couple étroitement enlacé, lui peut être dix-sept ans elle à peine quinze. <strong>Le</strong><br />

jeune reste imperturbable et tend la main vers la statue. C’est alors que<br />

l’adolescente, pour meubler le silence, lui lance avec un accent berlinois à<br />

couper au couteau: „Non mais ça va? Y a rien à cirer ici!“ <strong>Le</strong> jeune homme<br />

rétorque: „C’est <strong>Karl</strong> <strong>Marx</strong>.“ Après un cours silence, on entend la voix <strong>du</strong> jeune<br />

garçon: „<strong>Karl</strong> qui?“<br />

<strong>Le</strong> jeune homme en reste pantois. Puis, il balbutie doctement que <strong>Karl</strong> <strong>Marx</strong> est né en 1818<br />

et mort en 1883 et que c’est lui qui a rédigé avec son ami Friedrich Engels le Manifeste <strong>du</strong><br />

Parti Communiste qui commence par la phrase «Un spectre hante l'Europe: le spectre <strong>du</strong><br />

communisme». <strong>Le</strong>s jeunots le dévisagent de l’œil qui diagnostique la démence caractérisée.<br />

<strong>Le</strong> jeune homme continue à voix basse: „Eh oui, et <strong>Marx</strong> a aussi écrit le Capital, une critique<br />

<strong>du</strong> capitalisme qui prévaut encore aujourd’hui …« Il s’arrête avec un geste de lassitude et<br />

continue son chemin, en direction de la Alexanderplatz.<br />

Arrivé dans sa chambre <strong>du</strong> 27ème étage de l’hôtel Parc Inn, avec vue imprenable sur les<br />

mille feux de Berlin, il écrit dans la fenêtre mail de son ordinateur portable: « Jenny, ma<br />

chérie …»


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16 au 20 Février 1882, <strong>voyage</strong> de Paris à Marseille et traversée vers Alger<br />

<strong>Le</strong> Paris-Lyon-Marseille, un compartiment de<br />

1ère classe. Un peu après Lyon, le contrôleur<br />

entre dans le compartiment et explique à un<br />

homme d’un certain âge, élégamment habillé,<br />

à la toison de neige et au faciès agrémenté<br />

d’une volumineuse barbe, <strong>Karl</strong> <strong>Marx</strong>, que la<br />

locomotive a un problème technique et qu’il<br />

veut s’excuser pour le retard qui s’ensuivra.<br />

<strong>Marx</strong> épanche son agacement par quelques<br />

mots contre le progrès technique.<br />

<strong>Le</strong> <strong>voyage</strong> de <strong>Marx</strong> vers le sud a été décidé<br />

sur conseil pressant de ses médecins; cela fait<br />

des années qu’il souffre d’une bronchite<br />

aigue, de problèmes de plèvre et<br />

d’inflammations de la trachée. <strong>Marx</strong> se remet<br />

à tousser, il extrait de sa valise une bouteille<br />

de gnôle. «D'abord une heure et demie<br />

d’arrêt à Cassis à cause de distemper la<br />

locomotive. Maintenant encore le même désagrément d’engin at Valence, mais cette fois-ci<br />

avec en plus un froid de canard et un biting wind … avec pour seul remède possible l’alcool,<br />

1<br />

again and again resorted to it.“ <strong>Marx</strong>, légèrement éméché, sort une photo de sa femme<br />

Jenny, décédée deux mois auparavant et commence à pleurer. <strong>Le</strong> train entre dans la morose<br />

gare de Marseille la nuit.<br />

<strong>Marx</strong> embarque à Marseille sur le bateau postal „Saïd“ à destination d’Alger. C’est la<br />

première et la dernière fois qu’il quitte l’Europe. La traversée de 34 heures, dans une cabine<br />

1 <strong>Marx</strong> à Engels, 17 Février 1882


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exiguë, avec un pont noir de monde et un vacarme assourdissant venant de la salle des<br />

machines, est exténuante.<br />

<strong>Marx</strong> ne peut pas dormir et se rappelle dans un cauchemar les époques auxquelles,<br />

tête pensante <strong>du</strong> mouvement ouvrier naissant, membre d’une famille aux nombreuses<br />

ramifications, affectueux père de trois filles ou encore comme<br />

malade en quête de guérison, il faisait de fréquentes traversées<br />

entre Calais et Douvres. Mais dans ce rêve confus, ce sont<br />

surtout les années de l’agitation politique accompagnant les<br />

événements de 1848, années de la rédaction, avec Engels, <strong>du</strong><br />

Manifeste <strong>du</strong> Parti communiste, qui émergent et qui secouent le<br />

plus sa mémoire.<br />

Réveillé, il ne peut se débarrasser de l’idée qu’il est en train de<br />

déserter des tâches importantes qu’il aurait à assumer. Il peine à se<br />

concentrer, la lecture lui demande beaucoup d’efforts, et il est hors<br />

de question d’écrire quelque chose de sensé dans ce vacarme.<br />

Sur le pont. <strong>Marx</strong> sympathise avec le capitaine <strong>du</strong> Saïd, un homme<br />

très affable, comme il l’écrira plus tard, qui se fait accompagner de<br />

sa famille pour ce <strong>voyage</strong> à Alger. <strong>Marx</strong> raconte au capitaine Macé<br />

qu’il est atten<strong>du</strong> par un ami de ses deux beaux-frères Charles<br />

Longuet (marié à sa fille Jenny) et Paul Lafargue (marié à Laura),<br />

un certain Albert Fermé. Ce juriste français, expulsé à Alger une<br />

douzaine d’années auparavant pour raisons<br />

politiques, va s’occuper de <strong>Marx</strong> pendant<br />

son séjour de repos.<br />

A l’arrivée à Alger, en plus de sa grave<br />

bronchite, <strong>Marx</strong> a attrapé un fort<br />

refroidissement. Mais ce qui le désespère<br />

plus encore, ce qui lui inflige une véritable<br />

déchirure a une autre cause, que Sigmund<br />

Freud décrira plus tard par ces mots: «Quoi<br />

que le moi puisse accomplir au cours d’une<br />

vie, le surmoi ne s’en satisfera jamais».


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20 Février – 3 Mai 1882 à Alger<br />

Alger et le grouillement de sa baie. Fermé, un indivi<strong>du</strong> sympathique, la quarantaine,<br />

reconnait <strong>Marx</strong> tout de suite, car la physionomie <strong>du</strong> dirigeant de l’Internationale socialiste<br />

est partout connue. Fermé amène tout d’abord <strong>Marx</strong> dans le luxueux „Grand Hôtel d’Orient“,<br />

la meilleure adresse de la ville, mais très cher. A la réception, on propose au vénérable<br />

professeur allemand un forfait de pension mensuel, mais, sur les conseils de Fermé, <strong>Marx</strong><br />

n’y restera que quelques jours et optera pour une pension se trouvant en hauteur dans une<br />

villa <strong>du</strong> quartier résidentiel de Mustapha Supérieur, au climat plus<br />

clément. Comme il va l’expliquer sans ambages à Fermé, <strong>Marx</strong> ne<br />

peut pas faire de folies, même s’il peut compter sur le soutien<br />

généreux de Engels. Pendant son séjour, il sera souvent chez les<br />

Fermé, route Mustapha Supérieur. On y parlera des journées de la<br />

Commune de Paris qui a con<strong>du</strong>it au bannissement de Fermé, et de<br />

l’évolution des événements politiques sur le continent, notamment<br />

en Russie.<br />

Pour sa part, <strong>Marx</strong> passera les deux mois qui viendront à la Pension<br />

Victoria. Il pourra souvent oublier ses douleurs et ses doutes. «Ici,<br />

situation magnifique, devant ma chambre la baie de la mer<br />

Méditerranée, le port d’Alger, des villas disposées en amphithéâtre<br />

escaladant les collines ... plus loin, des montagnes, entre autres les<br />

sommets neigeux derrière Matifou, sur les montagnes de Kabylie, des points culminants <strong>du</strong><br />

Djurdjura … <strong>Le</strong> matin vers 8 heures, rien de plus exaltant que le panorama, l’air, la<br />

végétation, ce mélange merveilleux européo-africain. Chaque matin, de 10 ou 9 heures à 11<br />

heures my promenade.» 2 Et la toux de <strong>Marx</strong> va empirant.<br />

2 <strong>Marx</strong> à Engels, 1 Mars 1882


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Un certain Dr. Stephann - „best Algiers doctor“ – devient son médecin traitant.<br />

Pendant le traitement de «cloques sur la poitrine», le médecin et son patient<br />

échangent des confidences. <strong>Le</strong> docteur Stephann s’intéresse aux sciences<br />

physiques et <strong>Marx</strong>, qui s’est approprié un riche savoir au cours de ces<br />

dernières années, peut enrichir les entretiens de considérations ayant trait aux<br />

sciences naturelles, à la physique et la cosmologie, voir même aux<br />

mathématiques. Mais surtout, ils parlent de la mort, de l’idée saugrenue d’une<br />

autre vie dans l’au-delà. Selon <strong>Marx</strong>, il faut se résigner à son propre fini:<br />

«Seuls les atomes sont immortels.»<br />

<strong>Le</strong> consulat royal prussien à Alger se trouve à cette époque dirigé par le diplomate Dr.<br />

Fröbel. On ne sait pas si le consulat a eu connaissance de la présence <strong>du</strong> dirigeant socialiste<br />

proscrit (la presse locale en avait fait état) et si, dans ce cas, il en a fait rapport à Berlin. On<br />

peut s’imaginer que <strong>Marx</strong> ait été pris en filature.<br />

(Ce serait un running gag de l’Histoire si, une fois encore, et à l’insu de <strong>Marx</strong>, il y avait eu un<br />

petit mouchard dans les parages).<br />

La „Pension Victoria“ ne dispose que de six chambres. <strong>Marx</strong> se trouve ainsi en compagnie<br />

assez restreinte, avec, outre les deux propriétaires des lieux, Madame Rosalie, employée de<br />

maison, Madame Casthelaz et son fils Maurice<br />

Casthelaz, médecin et pharmacien et lui-même<br />

curiste (qui prodiguera à titre bénévole des soins<br />

fréquents à <strong>Marx</strong>), Madame Claude, de Neufchâtel,<br />

Armand Magnadère, dont on déplorera la mort en<br />

mars 1882, et une jeune femme restée anonyme,<br />

qui propose des cours particuliers par voie de<br />

presse. 3<br />

Cette «jeune femme inconnue« joue un rôle<br />

particulier lors <strong>du</strong> séjour de <strong>Marx</strong> en Algérie. Elle<br />

est originaire de Dessau, en Allemagne, elle est<br />

jolie et intelligente et parle plusieurs langues. Elle a<br />

déjà beaucoup enten<strong>du</strong> parler <strong>du</strong> célèbre<br />

pensionnaire et elle a même lu le livre «La Femme<br />

et le Socialisme», ouvrage écrit par August Bebel<br />

en 1879, ayant connu une large diffusion et tombé<br />

sous le coup de la censure <strong>du</strong> fait de la Loi<br />

antisocialiste promulguée par Bismarck. <strong>Marx</strong> se<br />

sent attiré par elle, car elle lui rappelle sa fille<br />

cadette (Tussy). Mais bientôt la jeune femme (nous<br />

l’appellerons Vera) va hanter ses rêves.<br />

Dans ces rêves se mélangent, au souvenir des souffrances et privations en<strong>du</strong>rée lors<br />

de l’achèvement <strong>du</strong> premier volume <strong>du</strong> «Capital», ce sentiment de délivrance perçu<br />

dans le train le menant à Hambourg où l’attendait son éditeur Meissner. Il y avait<br />

dans son compartiment en face de lui une jeune femme en laquelle il vit la messagère<br />

<strong>du</strong> nouveau monde semblant s’ouvrir à lui. Cette jeune femme prenait maintenant les<br />

traits de Vera, et, sait-on pourquoi, il essaie dans ses rêves de lui faire comprendre<br />

quelle avait été sa prouesse philosophique d’alors, quelles avaient été les découvertes<br />

dont il avait fait don à l’Humanité.<br />

3 Marlene Vesper, <strong>Marx</strong> in Algier, p. 59


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Vera accompagne <strong>Marx</strong> dans ses promenades à travers Alger.<br />

Quand ils flânent à travers les bazars de la Casbah, <strong>Marx</strong> a le<br />

sentiment d’être oisif, de trahir sa cause, et il se confie à Vera. Il<br />

y a dans son bureau de Londres tant et tant de documents, de<br />

manuscrits à moitié achevés, de notes prises pour les volumes<br />

deux et trois <strong>du</strong> «Capital» - et encore même pour un quatrième<br />

volume. Vera ne comprend par le grand homme. Elle a lu chez<br />

Bebel tout le mérite qui d’ores et déjà lui revient. Et sa sœur de<br />

Dessau, apprenant qu’elle a rencontré le célèbre <strong>Marx</strong>, a été<br />

dans tous ses états à la lecture de sa lettre. Quand <strong>Marx</strong> se<br />

lamente de tout ce qui lui reste à faire, elle lui répond<br />

sentencieusement: «Quoiqu’on fasse dans la vie, on ne sera<br />

jamais satisfait; là-dessus, Dieu et le Diable seront bien toujours<br />

d’accord.»<br />

Quoiqu’il en soit, <strong>Marx</strong> n’arrive pas à maîtriser ses sentiments de<br />

culpabilité, des sentiments qui sont loin d’être diffus: Il se languit<br />

vraiment de son cabinet de travail, le centre de son univers. Et il<br />

se languit de son ami Engels. Dans sa chambre se trouvent plusieurs projets de lettres à<br />

Engels qu’il n’enverra jamais, estimant que même pour son ami le plus proche, ses lettres<br />

seraient trop personnelles.<br />

Lors d’une promenade en bor<strong>du</strong>re de la Casbah,<br />

<strong>Marx</strong> et Vera rencontrent un indivi<strong>du</strong> au visage<br />

émacié, barbu, peintre de son état, la quarantaine<br />

environ. Sous son parasol, il a peint en quelques<br />

rapides coups de pinceau sur son petit chevalet un<br />

escalier qui monte le long de la colline. <strong>Marx</strong> et<br />

Auguste Renoir se défigurent. Peut<br />

être ont-ils aussi échangé quelques<br />

paroles sans importance. Mais<br />

aucun des deux n’apprendra jamais<br />

qui il a, ce jour-là, rencontré.<br />

Mais <strong>Marx</strong> entreprend également<br />

des randonnées avec les autres<br />

hôtes de la pension: »Hier à une<br />

heure de l’après-midi, nous sommes descen<strong>du</strong>s à<br />

Mustapha inférieur d’où le tramway nous a amenés<br />

au Jardin Hamma ou Jardin d’Essai qui sert de<br />

Promenade publique, avec, à l’occasion, des<br />

concerts de musique militaire, et qui est utilisé comme pépinière, pour faire pousser et<br />

propager des végétaux indigènes, enfin pour des expériences botaniques scientifiques et<br />

comme jardin d’acclimatation.“ 4 Madame Casthelaz demande à <strong>Marx</strong> qui, dans sa conception<br />

de l’Etat, sera amené à effectuer les basses besognes, et elle ajoute: «Je ne peux pas vous<br />

imaginer dans un monde ayant été nivelé par le bas, car vous avez sans conteste certains<br />

goûts et attitudes que l’on attribue par ailleurs à l’aristocratie.» - «Moi non plus», lui répond<br />

<strong>Marx</strong>. «Mais ces temps arriveront, mais nous ne seront plus de ce monde.» 5<br />

4 <strong>Marx</strong> à Laura, 13/14 Avril 1882<br />

5 Franziska Kugelmann, dans: Mohr und General, p. 259


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<strong>Marx</strong> fait la connaissance<br />

de l’ex-Fouriériste M.<br />

Durando, professeur de<br />

botanique. «Nous bûmes<br />

<strong>du</strong> café, en plein air<br />

naturellement, dans un<br />

café maure. <strong>Le</strong> Maure en<br />

prépare d’excellents, nous<br />

étions assis sur des<br />

tabourets.« 6 , l’une des<br />

meilleures façons de<br />

converser des utopies de<br />

Fourier. Fourier rêvait de<br />

communes qui étaient<br />

censées ne pas être<br />

seulement des<br />

communautés<br />

économiques, mais<br />

également des<br />

communautés<br />

amoureuses. Un<br />

affranchissement <strong>du</strong> travail n’est pas concevable sans un affranchissement de la sexualité,<br />

proclame le Professeur Durando. Vera écoute avec intérêt. <strong>Marx</strong> est un peu gêné.<br />

La santé de <strong>Marx</strong> ne s’améliore guère. <strong>Le</strong>s aléas de son état sont le sujet principal de ses<br />

lettres, notamment de celles adressées à Engels, tandis qu’il fait parvenir à ces filles des<br />

nouvelles moins préoccupantes de son séjour à Alger. Une «<strong>Le</strong>çon de sagesse arabe», qu’il<br />

envoie à Laura, est très éloquente à ce sujet.<br />

„Dans un fleuve impétueux, un passeur possède une petite embarcation. Pour<br />

arriver de l’autre coté monte un philosophe. Et la conversation suivante s’engage:<br />

<strong>Le</strong> Philosophe: Sais-tu ce que c’est, l’Histoire ?<br />

<strong>Le</strong> passeur: Non ...<br />

<strong>Le</strong> Philosophe: Alors, tu as déjà per<strong>du</strong> la moitié de ta vie.<br />

Et d’ajouter: As-tu fais des études de mathématiques?<br />

<strong>Le</strong> passeur: Non …<br />

<strong>Le</strong> Philosophe: Alors tu as per<strong>du</strong> plus de la moitié de ta vie !<br />

A peine le philosophe a-t-il terminé qu’un vent terrible fait chavirer le petit bateau, le<br />

passeur et son passager se retrouvent à l’eau.<br />

On entend alors le passeur crier: Tu sais nager?<br />

<strong>Le</strong> Philosophe: Non !<br />

<strong>Le</strong> passeur: Alors, tu perdras la vie, mais cette fois-ci la vie<br />

entière!“ 7<br />

L’exploitation coloniale et les premiers balbutiements de<br />

l’in<strong>du</strong>strie et <strong>du</strong> capitalisme marquent de leur empreinte la<br />

ville d’Alger. <strong>Le</strong> 8 mars paraît dans le journal local, le „Petit<br />

Colon Algérien“ un éditorial porta nt titre ‘<strong>Le</strong> travail affranchi et le travail des Damnés’ «Des<br />

conditions inhumaines dans la construction des nouveaux chemins de fer algériens vers<br />

l’Est» 8 , éditorial qui termine par ces mots «Debout, les Damnés de la Terre!»<br />

6<br />

<strong>Marx</strong> à Laura, 13/14 Avril 1882<br />

7<br />

ibid.<br />

8<br />

Marlene Vesper, <strong>Marx</strong> in Algier, p. 90


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Sur les lieux même <strong>du</strong> chantier, au milieu des ouvriers peinant à la<br />

tâche, <strong>Marx</strong> essaie d’exposer à Vera l’une des essences de ses<br />

investigations, l’éclairage de la loi secrète <strong>du</strong> capitalisme. Il désigne<br />

les contremaîtres. Il décrit les rapports de propriété qui caractérisent<br />

les machines que l’on voit à l’œuvre. Il explique comment notre<br />

monde est devenu un univers exclusivement marchand. Que la seule<br />

marchandise que les ouvriers salariés puissent proposer sur le marché<br />

figure leur force de travail. Qu’ils ne peuvent survivre que s’ils<br />

vendent cette force de travail. Et ceux qui la leur achètent<br />

connaissent pertinemment la pleine valeur de ce qui leur est proposé.<br />

Exploitant la détresse de l’ouvrier, on va acheter cette valeur au prix<br />

le plus bas possible, sachant que ce potentiel va créer des richesses<br />

bien plus importantes que leur valeur salariée initiale. C’est ainsi<br />

qu’avec un peu de jugeote, on pourra manipuler l’offre et la demande<br />

régissant le marché <strong>du</strong> travail de manière à devenir immensément<br />

riche, à l’instar des magnats des chemins de fer américains, des<br />

Rockefeller et des Vanderbilt.<br />

<strong>Marx</strong> résiste aux sentiments qu’il éprouve pour Vera, mais d’un<br />

autre coté, l’admiration qu’elle lui porte et l’intimité grandissante<br />

qui les rapproche le flattent. Et Vera, de son coté, ressent aussi<br />

cette „perte de repères“ (lost in translation). <strong>Marx</strong> veut en avoir le<br />

cœur net, il se rend chez le „Photographe Agha Supérieur Alger’“<br />

E. Dutertre, pour se faire tirer le portrait, ce fameux <strong>dernier</strong><br />

portrait de <strong>Marx</strong> qui a suscité tant de commentaires. Il fait envoyer<br />

des copies de cette photo à ses filles, par exemple à Laura, à<br />

laquelle il ajoute cette dédicace „To my dear Cacadou. Old Nick.“<br />

Mais cette photo est le point de départ d’une rupture. Il écrit à<br />

Engels: „Pour plaire au soleil, je me suis débarrassé de ma barbe<br />

de prophète et de ma toison, mais … je me suis fait photographier<br />

avant de sacrifier mes cheveux sur l’autel d’un barbier algérois.» 9<br />

La barbe <strong>du</strong> prophète et la toison sacrifiées … pour plaire à Vera?<br />

Quoiqu’il en soit, Vera est surprise et un peu décontenancée. Ses<br />

9 <strong>Marx</strong> à Engels, 28 Avril 1882<br />

<strong>Marx</strong>, Alger, le 28 Avril 1882


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 10<br />

rapports avec <strong>Marx</strong> changent, elle cherche moins souvent sa présence. Et elle finit par<br />

trouver un emploi de répétitrice, comme par hasard pour les enfants <strong>du</strong> consul allemand Dr.<br />

Fröbel. <strong>Marx</strong>, de son coté, voulait-il faire «<strong>du</strong> passé table rase»?<br />

<strong>Le</strong> mauvais temps et la poussière <strong>du</strong> sirocco qui ne cesse de pénétrer dans ses poumons<br />

ramènent peu à peu <strong>Marx</strong> à la raison, et il se résigne à quitter Alger aussi vite que possible.<br />

Son départ précipité d’Alger est »opportun», écrit-il à Engels 10 , et on se saura jamais très<br />

bien quelles étaient alors ses pensées.<br />

Peu de temps avant son départ, <strong>Marx</strong> va visiter avec Fermé dans la baie d’Alger une escadre<br />

de six cuirassés français. «J’ai naturellement visité le navire-amiral ‘<strong>Le</strong> Colbert’ sur lequel un<br />

fringant officier, très vif d’esprit, m’a tout montré dans le détail et m’a même fait des<br />

démonstrations … A partir d’un canot, nous avons suivi les manœuvres <strong>du</strong> navire-amiral et<br />

des cinq autres cuirassés.” 11 . Tout cela devait bien sûr con<strong>du</strong>ire immanquablement à un<br />

échange avec Fermé sur le rayonnement global <strong>du</strong> colonialisme militaire.<br />

(Et peut être le “mouchard” était-il à portée d’oreille dans le canot d’à-côté).<br />

Puis, <strong>Marx</strong> quitte Alger le 2 mai 1882 sur le vapeur ‘PELUSE’. Sur le quai, agitant leur<br />

mouchoir, à coté de la famille Fermé et <strong>du</strong> Docteur Stephann, il y a aussi Vera.<br />

10 ibid.<br />

11 ibid.


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 11<br />

8 Mai – 3 Juin 1882, Monte Carlo<br />

La traversée en direction de Cannes fut houleuse, il n´y resta que quelques jours. Son état<br />

de santé etait misérable. Il trouva dans le salon de lecture <strong>du</strong> Casino presque toutes les<br />

revues de presse italiennes et francaises, il y avait meme quelques journaux allemands, qui<br />

offraient un bien meilleur appercu que pouvaient offrir les revues anglaises. Mais à la „table<br />

d´hotes où se trouvent réunis les camarades de l´hotel de Russie, on s´intéresse bien plus<br />

aux évènements qui se déroulent autour des tables de jeux des salles <strong>du</strong> casino (tables de<br />

jeu de la roulette et <strong>du</strong> trente-quatre).“ 12 Monte Carlo, ce refuge des oisifs distingués et<br />

aventuriers, est en fait malgré les beaux paysages un lieu délaissé. Son coté monumental<br />

est <strong>du</strong> uniquement à ses hotels.On y retrouve ni le petit peuple ni les couches moyennes,<br />

„seuls les domestiques, garcons d´hotel et de café, qui représentent le sous-proletariat“. 13<br />

Il végéta ainsi un mois à Monte Carlo, après avoir été informé sans<br />

détours sur son état de santé . Ce médecin, docteur Kunemann<br />

l´ayant pris tout d´abord pour un de ses collège. <strong>Marx</strong> écrit à Engels,<br />

qu´il compte cacher son état vis à vis de ses enfants pour ne pas les<br />

allarmer. 14 <strong>Le</strong>s jours passent, occupés par de très désagréables<br />

traitements. A part ce contact avec son médecin, un philistin<br />

républicain et ses hotes de table, ses relations sociales se trouvent très<br />

ré<strong>du</strong>ites. Ainsi il n´est pas étonnant que son esprit toujours aussi avide<br />

de nouveautés, se tourne vers le casino de Monte Carlo, son intéret se<br />

fixe sur la „banque de jeu, the financial basis of the whole trinity“ de la<br />

politique, de l´état et <strong>du</strong> gouvernement.<br />

12 <strong>Marx</strong> à Engels, 8 Mai 1882<br />

13 <strong>Marx</strong> à Engels, 5 Juin 1882<br />

14 <strong>Marx</strong> à Engels, 20 Mai 1882


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 12<br />

Un de ses hotes de table, le Wine Merchant anglais de Pittersborough, se donne à la<br />

chansonnette populaire, The Man that Broke the Bank at Monte Carlo: „I`ve just got here,<br />

through Paris, from the sunny southern shore,/ I to Monte Carlo went, just to raise my<br />

winter`s rent“. Et alors ce fils soulard de Grande Bretagne se met soudain à déclarer à<br />

grand renfort de vaisselle, de mets et de garcons de restaurant dans un discour déllirant ...<br />

... comment on peut accumuller son argent sans avoir<br />

à faire á d´autres choses que l´argent lui-meme. Sans<br />

avoir á se colleter avec la racaille des<br />

journaliers/salariés. Soit à la roulette soit à la Bourse<br />

de Londres. C´est là s´écrie Pittersborough, qu´íl a<br />

gagné ses chips et tous croient que c´est de l´argent<br />

réel, mais c´est déjà de l´argent fictif. C´est une<br />

promesse, un espoir. Et maintenant il parie. Il graisse<br />

la patte au croupier. Ou bien il sort ses cartes<br />

truquées. „And I break the bank at monte Carlo“. Il<br />

n´y aurait rien de plus beau que le jeu de<br />

l´imagination, quant á la fin il en ressort de l´argent<br />

<strong>du</strong>r. Et quant on se trouve propriétaire <strong>du</strong> casino,<br />

quant on rémunaire les croupiers, on pourrait faire<br />

fortune, devenir extremement riche, sans effort, juste<br />

peut etre un peu de vol et de meutre. Mais ceci se<br />

touva garantie grace à la polique machiavellique de<br />

Charles III, le prince de Monaco. Lui, Pittersborough, a<br />

l´intention de vendre son affaire vinicole et de se<br />

consacrer uniquement aux financial deals.<br />

<strong>Le</strong> cercle présent s´amuse. <strong>Marx</strong> a bien mieux apprit la lecon que les<br />

autres. Il ne peut pas se retenir et murmure quelque chose comme:<br />

Quelle bande alors ces bourgeois dépravés, qui dilapident les valeurs<br />

crées par la classe ouvrière et s´estiment etre les maitres <strong>du</strong> monde!<br />

<strong>Le</strong> cercle ne le comprend pas très bien.<br />

Plus tard, installé dans sa chambre d´hotel, <strong>Marx</strong> se fait des notices<br />

pour ses prochains volumes à paraitre après „Das Kapital“. Sur une<br />

de ses fiches apparait pour la première fois le terme de „casinocapitalisme“.


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 13<br />

Début Juin-fin Aout 1882, Argenteuil/Paris, chez sa fille Jenny Longuet<br />

Pour la première fois aussi au cours de ce<br />

<strong>voyage</strong>, il se voit interpellé par son surnom:<br />

„Maure, où est ta barbe?“<br />

<strong>Marx</strong> se retrouve pour la dernière fois, pendant<br />

quelques semaines, en compagnie de ses filles,<br />

Jenny et Laura (ainsi que de leurs maris Longuet<br />

et Lafarge) et de leurs quatre enfants,qui<br />

ont<br />

survécus. De temps à autre de meme avec<br />

Eleanor (Tussy,qui est venue de Londres pour<br />

soigner Jenny,qui est souffrante, mais qui est<br />

atteinte elle.meme en son corps et son ame par<br />

l´interdit prononcé par <strong>Marx</strong> envers ses amours<br />

bridés pour le journaliste francais Lissagaray).<br />

<strong>Le</strong>s conflits entre ces personnes, entre les<br />

soeurs, entre Charles Longuet et sa femme ou<br />

lui-meme sont intensifs. Et <strong>Marx</strong> va poursuivre<br />

ses „cures“ dans la station thermale toute<br />

proche d´Enghien.<br />

Tous ces évènements, ces conflits, la maladie<br />

mortelle de Jenny etc. se retrouvent en<br />

concentré dans le cours d´une journée, cette<br />

journée est révélatrice de la grande impuissance<br />

de <strong>Marx</strong> vis à vis de sa famille et de leurs<br />

problèmes: „A 8 ½ heures <strong>du</strong> matin je<br />

commence par la toilette, je m´habille et prend<br />

un premier café etc.; vers 9 heures <strong>du</strong> matin je<br />

me rends à Enghien, retourne généralement<br />

vers 12 heures, puis je prend mon déjeuner à<br />

Argenteuil en famille, entre 2 et 4 heure je me repose, puis je fais une promenade et je joue<br />

avec les enfants,de telle sorte que j´en perds tous mes repères jusqu´à la capacitée de<br />

penser ,d´une facon plus radicale que ce qu´a pu formuler Hegel dans sa „Phänomologie“;<br />

enfin vers 8 heure le diner et voici ainsi ma tache journalière achevée.Où trouver le temps<br />

pour la correspondance ?“ 15 <strong>Le</strong>s différents caractères des personnes présentes se déploient<br />

lors <strong>du</strong> „souper“.<br />

Son bureau de travail légendaire de la Maitland Park Road 41 se transforme lors de<br />

reves turmultueux en citadelle fantastique.Cette pièce baignée de lumière, dont les<br />

murs sont tapissés de rayons de<br />

bibliothèque, est envahie de livres et de<br />

manuscrits et ballots de journaux ,qui<br />

grimpent jusqu´au plafond. Vis à vis d´une<br />

cheminée et sur le coté d´une fenetre se<br />

trouvent deux tables croulant sous des<br />

papiers,livres et journaux. Au centre de la<br />

pièce, dans le coin le mieux éclairé, se<br />

trouve une table de travail toute simple et<br />

un siège à dossier en bois (ce meme siège,<br />

où on le retrouvera mort le 14 Mars de<br />

l´année suivante). Adossé à un autre mur<br />

15 <strong>Marx</strong> à Engels, 3 Aout 1882


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 14<br />

est placé un sofa de cuir, sur le manteau de cheminée, encore des livres, éparpillés<br />

des cigares, allumettes, blagues à tabac, presse- papiers und de nombreuses<br />

photographies. 16 Dans son reve,les parties rédigées et depuis longtemps cachées <strong>du</strong><br />

prochain manuscript s´écroulent sur lui. Ce sera à Engels de réunir ces documents<br />

dans un travail assi<strong>du</strong>, qui parraitra dans les volumes 2 et 3 <strong>du</strong> “ Kapital“. A la fin tout<br />

se fond dans des formules de mathematique et des tableaus économiques, qui font<br />

effet de tornade semblant engloutir dans ses flots de<br />

symboles le reveur lui-meme ...<br />

Enfin au <strong>dernier</strong> jour <strong>du</strong> séjour de <strong>Marx</strong> à Argenteuil,<br />

Longuet va condescendre à inviter à déjeuner le tra<strong>du</strong>cteur<br />

francais de „Das Kapital“, qui s´était depuis longtemps<br />

préoccupé pour obtenir eine „audience“. „C´était un vent<br />

froid, venant <strong>du</strong> nord-est, et ma obligate conversation avec<br />

poor Roy dans le jardin me fit contracter un refroidissement.<br />

Thanks to Longuet!“ 17<br />

Puis, d´Aout à fin Septembre, nous retrouvons <strong>Marx</strong> en<br />

compagnie de sa fille Laura, qui au départ se montrait assez<br />

rébarbative , pour continuer la cure à Vervey sur le lac de<br />

Genèvre – dans un état de monotonie extreme, car nous<br />

vivons ici comme dans un pays de cocagne“. 18 Lors de leurs sorties en bateau, il peut<br />

s´entretenir vivement de la poursuite de son travail sur les volumes à paraitre <strong>du</strong> Kapital.<br />

Il ne suffirait pas des démontrer comme quoi l’usage de la force <strong>du</strong><br />

travail dans les lieux de pro<strong>du</strong>ction est orienté sur le profit, il s’agirait<br />

bien surtout des activités <strong>du</strong> capitalisme vu globalement, des intérets<br />

<strong>du</strong> capital, des marchés d’actions, de la capitalisation des biens et des<br />

fonds. De plus il faudrait prendre en considération le fait que le capital<br />

s’apprete à s’approprier non pas uniquement les ressources foncières<br />

de part le monde, mais meme l’eau, la nature en général.<br />

Laura argumentera plus tard,<br />

dans le conflit qui l´opposera<br />

à Engels, en s´appuyant sur<br />

ces entretiens pour s´arroger<br />

le droit de travailler sur ces<br />

manuscripts.<br />

16 Paul Lafargue, dans: Mohr und General, p. 289<br />

17 <strong>Marx</strong> à Engels, 14 Aout 1882<br />

18 <strong>Marx</strong> à Engels, 2 Septembre 1882


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 15<br />

Octobre 1882 – Mars 1883 Retour à Londres, séjour à Ventnor sur l´Isle<br />

of Wight, mort à Londres et enterrement<br />

L´état de santé de <strong>Marx</strong> s´était<br />

amélioré à Argenteuil et Vevey.<br />

Il fuit bien vite le brouillard de<br />

Londres pour profiter <strong>du</strong> climat<br />

maritime de l´Ile de Wight. “Ici<br />

on peut flaner des heures<br />

<strong>du</strong>rant, tout en profitant de<br />

l´air de montagne et de l´air<br />

marin.“ 19<br />

Ce sera sa dernière station.<br />

Pendant ses promenades , il<br />

essaye d´apprendre à son petit<br />

fils Johnny – qui se trouve<br />

occasionellement en visite avec<br />

Tussy - la mathématique<br />

différentielle. Il s´est approprié<br />

cette science depuis quelque<br />

temps et se sent en rapport<br />

d´égalité avec Newton et<br />

<strong>Le</strong>ibniz. Ou bien il parle de la<br />

préhistoire et des essais<br />

réalisés à l´exposition sur<br />

l´électricité à Munique, „tout particulièrement la démonstration comme quoi l´électricité<br />

permettrait de faire passer la force à grande distance, et celà avec l´aide d´un simple fil<br />

télégraphique.“ 20<br />

C´est alors que survient la mort de Jenny, sa fille, le 11 janvier 1883 à Argenteuil, elle<br />

succomba à son cancer à 38 ans. Tussy, la porteuse de cette nouvelle, écrit ces mots<br />

suivants: „Je sentais que j´apportais l´arret de mort à mon père. En me rendant chez lui ,<br />

l´angoisse me serrait le coeur et je me torturai l´esprit à chercher la facon de lui<br />

transmettre cette nouvelle. Je n´eu pas besoin de parler, mon visage me trahit. Maure dit<br />

tout de suite: „Notre petite Jenny est morte!“ 21<br />

<strong>Marx</strong> revient à Londres, dans la Maitland Road 41. <strong>Le</strong>s dernières six semaines de <strong>Marx</strong> se<br />

mourrant, passèrent vite, laryngite, bronchite, un abcès aux poumons, des embarras<br />

gastriques, des traitements quotidiens, 1 litre de lait coupé d´un quart de brandy. A partir<br />

de là deux personnes principales de sa vie vont s´occuper <strong>du</strong> cours des choses, Helene<br />

19<br />

<strong>Marx</strong> à Engels, 8 Novembre 1882<br />

20<br />

ibid.<br />

21<br />

Eleanor <strong>Marx</strong>-Aveling, dans: Mohr und General, p. 140


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 16<br />

Demuth et Friedrich Engels. “<strong>Le</strong>nchen“ à domicile, Engels, qui<br />

habite au coin de la rue, lors de ses visites quotidiennes. Ils<br />

rivalisent pour les meilleurs soins, il y a aussi des conflits.<br />

„<strong>Le</strong>nchen“ (on ne sait pas, si <strong>Marx</strong> est le père biologique de son<br />

fils) érige une „dictature à domicile“, pour elle <strong>Marx</strong> n´est pas un<br />

grand homme, il ne peut pas lui en imposer, elle „le connait avec<br />

ses sautes d´humer et ses faiblesses, elle le mene par le bout <strong>du</strong><br />

nez.“ 22 Ceci a tout pour exaspérer Engels, car il sait la „grandeur“<br />

de <strong>Marx</strong>, il pense aux écrits pour les prochains volumes <strong>du</strong><br />

„Capital“, cachés dans des paquets<br />

et différents tas éparpillés,<br />

entièrement en désordre parmi les<br />

piles de livres de la bibliothéque.<br />

Engels, lui-meme, plein d´abnégation, a toujours joué le<br />

second violon derrière <strong>Marx</strong>. 23 De plus la conception de vie<br />

d´Engels oriente ses tentatives de réconfort, „le vin,les<br />

femmes et le chant de la vie en sont les épices“ 24 Alors<br />

<strong>Le</strong>nchen se dispute avec lui, quand il offre à l´occasion un<br />

petit verre d´eau-de-vie de trop à <strong>Marx</strong>, ou lui apporte une<br />

bouteille de vin, ou qu´il tient des propos guillerets.<br />

Et de fait Engels exige une fois trop de <strong>Marx</strong> (c´est d´ailleurs<br />

peut-etre la seule fois dans leur vie), lorsqu´il rapporte de<br />

long en large les débats tenus<br />

lors de la préparation <strong>du</strong><br />

congrès <strong>du</strong> parti socialiste<br />

ouvrier de Kopenhagen, s´étendant sur les opinions de petits<br />

bourgeois et de philistins dans le parti, et rapportant les<br />

querelles autour <strong>du</strong> „Sozialdemokrat“.<br />

<strong>Marx</strong> s´endort et son reve s´enroule au tour de la<br />

phase qui a marqué leur jeunesse: „Une nouvelle<br />

société naitra, qui prendra la place de l´ancienne<br />

société bougeoise aves ses classes et leurs<br />

contradictions, ce sera une association qui reposera sur<br />

la liberté de chacun garantissant le libre développement<br />

de tous.“ 25 <strong>Le</strong>s images des différentes communes,<br />

sowjets, coopératives und communautées de vie antiautoritaires,<br />

qui se sont tous depuis appuyés sur cet<br />

espoir, se superposent et <strong>Marx</strong> pousse un long soupir, les hommes ne<br />

possèdent vraiment rien qu´eux-meme et celà devrait faire l´objet de<br />

recherches, recherches, recherches. Puis il demande un peu plus de brandy<br />

dans son lait.<br />

<strong>Le</strong> 14 Mars 1883, <strong>Le</strong>nchen et Engels le retrouveront en pleine journée vers 15 heures affalé<br />

dans son siège, „assoupi, mais pour ne plus s´éveiller.“ 26<br />

22 Wilhelm Liebknecht, dans: Mohr und General, p. 99<br />

23 Eleanor <strong>Marx</strong>-Aveling, dans: Mohr und General, p. 407f<br />

24 August Bebel, dans: Mohr und General, p. 444<br />

25 <strong>Marx</strong> et Engels, Das Kommunistische Manifest, MEW Bd. 4, p. 482<br />

26 Engels à Friedrich Sorge, 15 Mars 1883


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 17<br />

L´enterrement au cimetière des indigents de Highgate portait des traits surréalistes.Une<br />

petite douzaine à peine y prend part. Tussy est absente, Laura et <strong>Le</strong>nchen se trouvent<br />

acculées aux arrières, derriere les hommes. Deux couronnes de la rédaction <strong>du</strong><br />

„Sozialdemokrat“ et de l´association des ouvriers de Londres sont posées. Engels va tenir un<br />

discours en anglais: „Ce que le prolétariat combatif européen et américain a per<strong>du</strong>, ce que la<br />

science de l´histoire a per<strong>du</strong> avec cet homme, est incommensurable“ etc. Longuet lit en<br />

public et en langue francaise, les differents télégrammes recus, des socialistes russes et des<br />

partis travailleurs francais et espagnol. Wilhelm Liebknecht, membre <strong>du</strong> „Reichstag“<br />

allemand parle en langue allemande de son ami et maitre inoubliable, „le plus haii des<br />

oppresseurs et exploiteurs <strong>du</strong> Peuple, le plus aimé des oppressés et exploités, <strong>du</strong> moins de<br />

ceux qui ont pris conscience de leur condition ... <strong>Le</strong>s fondements scientifique apportés par<br />

<strong>Marx</strong>, nous mettent en mesure, d´affronter les attaques de l´ennemi et de poursuivre le<br />

combat avec des forces toujours renouvellées.“ 27 Se trouvent aussi rassemblés l´autre<br />

gendre, Paul Lafargue, deux anciens compagnions de combat, <strong>Le</strong>ßner et Lochner, d´anciens<br />

membres de la ligue des communistes des années quarantes, un professeur de zoologie,<br />

Lankester, et un professeur de chimie, Schorlemmer, tous deux membres de la Royal Society<br />

et amis de <strong>Marx</strong>. C´était tout ...<br />

<strong>Le</strong> cimetière de Highgate aujourd`hui<br />

En 1956, les dépouilles mortelles de <strong>Marx</strong>, Jenny et <strong>Le</strong>nchen furent reposées à un<br />

emplacement <strong>du</strong> cimetière plus représentatif. C´est là aussi que repose Herbert Spencer. Un<br />

monument fut érigé.<br />

Par une belle matinée dominicale, on retrouve aussi dans le flot intarissable<br />

des visiteurs,qui se rendent au monument de <strong>Marx</strong> <strong>du</strong> cimetiére de Highgate,<br />

l`élégant jeune homme de la première scene, cette fois avec sa Jenny.<br />

27 Mohr und General, p. 369ff


© H.J. Krysmanski – Proposition <strong>Marx</strong>-Comic – 1.1.2007 18<br />

<strong>Le</strong>gende<br />

en italique = des rétroperspectives dans les reves de <strong>Marx</strong><br />

en caractéres gras = des positions ou phrases essentielles de l’oeuvre de <strong>Marx</strong><br />

au rebort/en languette = pure fiction<br />

Litérature<br />

Friedenthal, Richard, <strong>Karl</strong> <strong>Marx</strong>, München 1981<br />

MEW, Band 35<br />

Mohr und General, Berlin 1983 (1964)<br />

Vesper, Marlene, <strong>Marx</strong> in Algier, Köln 1995<br />

Copyright 2006<br />

H.J. Krysmanski. Hörster Str.8, D-48143 Münster, krysman@uni-muenster.de<br />

www.hjkrysmanski.de<br />

Tra<strong>du</strong>it par Dominique Arnaud

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