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03.04.2013 Views

constructions croisées en Orient a été plusieurs fois débattue 386 . L’idée que toutes ces innovations étaient liées à l’évolution de la poliorcétique et de l’armement est aujourd’hui largement remise en question et leur « inutilité » démontrée par plusieurs expérimentations. Les interprétations se sont donc orientées vers l’idée qu’elles avaient principalement une fonction décorative 387 . La surenchère formelle visait donc essentiellement à mettre en scène et à justifier la fonction militaire de la classe dominante alors en pleine restructuration autour des valeurs chevaleresques 388 . La figure de Richard et sa capacité à incarner ces valeurs aux yeux de ses contemporains ne sont sans doute pas sans lien avec la volonté d’insister sur de tels détails architecturaux. L’utilisation des techniques les plus perfectionnées et leur valorisation constituaient ainsi un véritable langage du pouvoir faisant de l’architecture un support de la communication politique du prince. Marie-Pierre Baudry caractérise cette capacité d’innovation incessante comme précisément caractéristique de l’architecture des Plantagenêt par opposition à celle des Capétiens, valorisant plutôt la fixité du plan circulaire devenu le symbole de leur pouvoir, à l’image de la tour du Louvre 389 . C’est en ce sens que l’on peut alors interpréter l’érection des tours rondes, que Philippe Auguste fait accoler aux donjons normands conquis sur les Plantagenêt 390 . Par son symbolisme et son ostentation, l’architecture apparaît ainsi comme un véritable instrument de pouvoir, propre à véhiculer un message idéologique. Au-delà des motifs décoratifs, la forme polygonale des tours qui se retrouve dans nombre des constructions Plantagenêt a également été interprétée comme un motif symbolisant la nature impériale de leur pouvoir. Les tours polygonales comme symbole de la domination Plantagenêt 386 DESCHAMPS, P., Les Châteaux des Croisés en Terre Sainte, 1977; KENNEDY, H. N., Crusader castles, 1994; NICOLLE, D., Crusader castles in the Holy Land, 2005 ; FAUCHERRE, N. et al., La fortification au temps des croisades. Actes du colloque international organisé du 26 au 28 septembre 2002 au palais des Congrès de Parthenay, 2004. 387 BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S., 2002, p. 43-70. 388 FLORI, J., Chevalerie et idéologie chevaleresque étude de la formation du concept de chevalerie jusqu'au début du XIIIe siècle, 1978; FLORI, J., Chevaliers et chevalerie au Moyen âge, 2008, voir aussi BARTHÉLEMY, D., La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, 2007. 389 BAUDRY, M.-P., « Les châteaux des Plantagenêts et des Capétiens: combats et imitations », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 319-358. 390 ERLANDE-BRANDENBURG, A., « L'architecture militaire au temps de Philippe Auguste : Une nouvelle conception de la défense », dans La France de Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982, p. 595-603. 512

De même que le donjon d’Orford, le château d’Henri II dans le Suffolk, les tours de Tickhill, Odiham, Chilham et Corfe construites par Jean (illustration 5.52), présentent un profil polygonal avec des tours murales. Selon T.A. Heslop, cette forme n’était pas le produit d’une volonté d’améliorer techniquement la défense des donjons dans la mesure où elle n’avait pas plus d’avantages que la forme rectangulaire, sur un plan défensif 391 . D’ailleurs, la sophistication de l’aménagement des espaces résidentiels suggère que c’est là que résidait la principale préoccupation du constructeur. Entre 1165 et 1185, plus de £1450 sont en effet dépensées à Orford, pour construire la tour et son enceinte mais aussi pour y aménager des appartements. Pourtant Orford, qui devient le siège des agents royaux dans le Suffolk, ne fut pratiquement jamais visité par le roi. En analysant plus précisément la géométrie d’ensemble, T.A. Heslop en conclut que la construction de l’édifice reposait sur la maîtrise de principes mathématiques et sur une culture antique, qui transparaît dans l’agencement général et dans le détail des portes et des fenêtres, tel que le motif du linteau sous une arche semi-circulaire, fréquent dans les fortifications antiques. Moins que des exigences militaires, l’architecture d’Orford aurait ainsi été principalement inspirée de la mode des palais anciens, connue dans l’Angleterre du XII e siècle par les récits de voyages et de pèlerinages en Terre Sainte. En cela, l’architecture d’Orford était porteuse de l’image d’une royauté antique et impériale et de la Romanitas. Le site d’Orford, qui faisait face à la mer, donnait ainsi à voir cette image de la royauté anglaise non seulement sur les terres baronniales les plus insoumises, mais aussi aux potentiels « envahisseurs ». L’interprétation proposée par T.A. Heslop appartient à une historiographie récente de l’histoire des châteaux, qui, suivant le renouvellement symboliste, cherche à replacer l’architecture dans son contexte culturel et littéraire en faisant le lien entre les formes, le savoir et les représentations des maîtres d’œuvre, qu’ils soient d’ordre scientifique (traités de mathématiques) ou littéraires (thème arthurien et translatio imperii). Abigail Wheatley qui a mené ses recherches sur le lien entre architecture et contexte culturel, a également proposé de voir des connotations impériales non seulement dans la forme du château mais aussi dans l’emploi des matériaux et leur utilisation 392 . Les bandages polychromes visaient ainsi à rappeler la maçonnerie caractéristique de l’architecture romaine qui était connue et identifiée comme telle en Angleterre. Les remplois de matériaux n’avaient donc pas qu’une fonction économique : 391 HESLOP, T. A., « Orford castle, nostalgia and sophisticated living », Architectural History, 34 (1991), p. 36-58. 392 WHEATLEY, A., The Idea of the Castle in Medieval England, 2004. 513

De même que le donjon d’Orford, le château d’Henri II dans le Suffolk, les tours<br />

de Tickhill, Odiham, Chilham et Corfe construites par Jean (illustration 5.52),<br />

présentent un pr<strong>of</strong>il polygonal avec des tours murales. Selon T.A. Heslop, cette forme<br />

n’était pas le produit d’une volonté d’améliorer techniquement la défense des donjons<br />

dans la mesure où elle n’avait pas plus d’avantages que la forme rectangulaire, sur un<br />

plan défensif 391 . D’ailleurs, la sophistication de l’aménagement des espaces résidentiels<br />

suggère que c’est là que résidait la principale préoccupation du constructeur. Entre 1165<br />

et 1185, plus de £1450 sont en effet dépensées à Orford, pour construire la tour et son<br />

enceinte mais aussi pour y aménager des appartements. Pourtant Orford, qui devient le<br />

siège des agents royaux dans le Suffolk, ne fut pratiquement jamais visité par le roi. En<br />

analysant plus précisément la géométrie d’ensemble, T.A. Heslop en conclut que la<br />

construction de l’édifice reposait sur la maîtrise de principes mathématiques et sur une<br />

culture antique, qui transparaît dans l’agencement général et dans le détail des portes et<br />

des fenêtres, tel que le motif du linteau sous une arche semi-circulaire, fréquent dans les<br />

fortifications antiques. Moins que des exigences militaires, l’architecture d’Orford<br />

aurait ainsi été principalement inspirée de la mode des palais anciens, connue dans<br />

l’Angleterre du XII e siècle par les récits de voyages et de pèlerinages en Terre Sainte.<br />

En cela, l’architecture d’Orford était porteuse de l’image d’une royauté antique et<br />

impériale et de la Romanitas. Le site d’Orford, qui faisait face à la mer, donnait ainsi à<br />

voir cette image de la royauté anglaise non seulement sur les terres baronniales les plus<br />

insoumises, mais aussi aux potentiels « envahisseurs ».<br />

L’interprétation proposée par T.A. Heslop appartient à une historiographie<br />

récente de l’histoire des châteaux, qui, suivant le renouvellement symboliste, cherche à<br />

replacer l’architecture dans son contexte culturel et littéraire en faisant le lien entre les<br />

formes, le savoir et les représentations des maîtres d’œuvre, qu’ils soient d’ordre<br />

scientifique (traités de mathématiques) ou littéraires (thème arthurien et translatio<br />

imperii). Abigail Wheatley qui a mené ses recherches sur le lien entre architecture et<br />

contexte culturel, a également proposé de voir des connotations impériales non<br />

seulement dans la forme du château mais aussi dans l’emploi des matériaux et leur<br />

utilisation 392 . Les bandages polychromes visaient ainsi à rappeler la maçonnerie<br />

caractéristique de l’architecture romaine qui était connue et identifiée comme telle en<br />

Angleterre. Les remplois de matériaux n’avaient donc pas qu’une fonction économique :<br />

391<br />

HESLOP, T. A., « Orford castle, nostalgia and sophisticated living », Architectural History, 34 (1991),<br />

p. 36-58.<br />

392<br />

WHEATLEY, A., The Idea <strong>of</strong> the Castle in Medieval England, 2004.<br />

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