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03.04.2013 Views

etour du roi en Angleterre en 1161 23 , cette intervention ne saurait être comprise séparément de l’intérêt qu’il porta également à l’élévation des restes des premiers ducs de Normandie à Fécamp en 1162, à la canonisation d’Étienne de Muret, le fondateur de Grandmont en 1189 et aux reliques de saint Pétroc, en Bretagne. Ces stratégies de légitimation de l’autorité royale par l’association de saintes figures d’ancêtres s’inscrivent dans un contexte européen de canonisation de grandes figures royales, commencé à partir du XII e siècle avec celle de l’empereur salien Henri II en 1146. Peu après la canonisation d’Edward le Confesseur, Louis VII obtient celle de Charlemagne en 1165, qui vient parfaire l’idéologie royale préparée par l’abbé Suger, valorisant la filiation dynastique carolingienne et donc impériale des Capétiens 24 . Les canonisations royales ne visaient cependant pas à donner au roi une fonction de sacerdos, mais participaient à la glorification des ancêtres de la lignée, en l’entourant d’un halo de sainteté inhérente et en lui attachant la permanence d’une référence sacrée. Elles consolidaient ainsi le caractère spécifique du pouvoir royal (Eigenrecht) et contribuaient à l’élaboration progressive de la théorie d’une royauté héréditaire de droit divin en France et en Angleterre 25 . Si ces canonisations participent au triomphe du principe d’hérédité dans le processus de légitimation, le renforcement de l’autorité sacralisée du roi s’est également appuyé sur la rédaction des Vita des rois du haut Moyen Âge comme celle d’Ælred qui visait à construire un modèle « comportemental » de sainteté royale idéale 26 . Elle apparaît à ce titre comme l’une des conséquences de la réforme de l’Église et de ses tentatives pour contrôler de plus en plus étroitement les processus de canonisation en limitant progressivement les modèles de sainteté laïque aux seules figures royales 27 . Mais si la papauté parvient à imposer idéologiquement sa norme, elle se heurte à une autorité royale renforcée, dont elle a contribué elle-même à consolider le caractère sacralisé. 23 HERBERT BOSHAM dans Materials for the History of Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen, Herbert of Bosham), 1965, p. 261 : Edwardi corpus… solemniter quidem et sublimiter ibidem in ecclesia inter sanctorum corpora collocavit, rege itidem volente sic et presente. cité par SCHOLZ, B. W., « The canonization of Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60, note 72. 24 BOUTET, D., Charlemagne et Arthur : ou le roi imaginaire, 1992 ; GOUTTEBROZE, J., « Deux modèles de sainteté royale. Edouard le Confesseur et saint Louis », C.C.M., 42 (1999), p. 243-258. 25 SCHOLZ, B. W., « The canonization of Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60; SCHRAMM, P. E., A History of the English Coronation, 1937. 26 FOLZ, R., Les saints rois du Moyen âge en Occident VIe-XIIIe siècles, 1984, p. 142-155; WAUGH, S., « Histoire, hagiographie et le souverain idéal à la cour des Plantagenêt », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 429-446. 27 VAUCHEZ, A., La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, 1988. 424

Henri II, les saints locaux et l’ancrage territorial de l’autorité princière Quelques mois après la translation des reliques d’Edward le Confesseur, Henri II est à Fécamp pour assister à la translation solennelle des restes des premiers ducs de Normandie, Richard I er et son fils Richard II. Cette translation a lieu dans le contexte de ce qu’Annie Renoux appelle le programme de substitution de l’abbaye palatium dei au palatium ducis 28 . Depuis le règne d’Henri I er , Fécamp avait en effet cessé de jouer un rôle politique en tant que lieu de résidence ducale « capitale », comme elle l’avait été autour de l’an mil. Contre l’abandon du palais ducal, l’abbé Henri de Sully, neveu d’Étienne et d’Henri de Blois, tente de renouveler l’intérêt des ducs pour la mémoire de l’abbaye. Le 3 mars 1162, il organise la translation des ossements des premiers ducs de Normandie, une cérémonie qui était aussi l’occasion de manifester son ralliement au parti de son nouveau maître : Le premier duc de Normandie, Richard et son fils, Richard II furent ainsi levés du tombeau à Fécamp, où ils gisaient séparément et furent déposés plus honorablement devant l’autel de la Sainte Trinité. Henri roi des anglais assista à la translation ainsi que les évêques de Normandie 29 . Outre les importantes donations qu’Henri II fait à l’abbaye de Fécamp (entre autres le bois de la Hogues) 30 , il est vraisemblable que le roi participe également à la fabrication du tombeau en bas-reliefs qui devait abriter les reliques dans leur nouvel emplacement 31 . Selon Sarah Jones, la richesse des décorations et la position de la tombe ducale étaient l’expression visuelle du vœu d’Henri II de commémorer et célébrer ses ancêtres. En obtenant du légat pontifical d’Alexandre III, Henri de Pise, la rédaction de la charte des indulgences pour les pèlerins qui viendraient à Fécamp et par l’émission de sauf-conduits pour les fidèles qui désireraient se rendre à Fécamp de Pâques à la 28 RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C., 1991, p. 496-98. 29 TORIGNI, I, p. 336-37 : Primus Ricardus Dux Normannorum et secundum Ricardus filius ejus, apud Fiscannum levati de tumuli fuit, in quibus separatim jacebant, post altare sanctae Trinitatis hoestius ponuntur. Huic translationi Henricus rex Anglorum interfuit, et Episcopi Noramnniae. 30 Acta Plantagenet, 598H. 31 JONES, S. E., « The twelfth-century reliefs from Fécamp : new evidence for their dating and original purpose », J.B.A.A., 138 (1985), p. 79-88, ces reliefs furent démantelés sous l’abbatiat de Antoine Bohier (1509-19), probablement vers 1508-9, car en 1518 eut lieu une autre cérémonie de translation des ducs, pour laquelle de nouveaux tombeaux étaient déjà en place. Les anciens panneaux de pierres furent alors déposés dans la chapelle Notre-Dame où ils y restèrent jusqu’à leur exposition en 1979. Poème publié dans LÅNGFORS, A., Histoire de l'Abbaye de Fécamp en vers français du XIIIe siècle publiée avec une introduction et un glossaire, 1928 ; voir aussi OSKARI, K., « Études sur deux poèmes français relatifs à l’abbaye de Fécamp », dans Suomalaisen Tiedeakatemian Toimituksi, 1927-28, p. 1-282. 425

etour du roi en Angleterre en 1161 23 , cette intervention ne saurait être comprise<br />

séparément de l’intérêt qu’il porta également à l’élévation des restes des premiers ducs<br />

de Normandie à Fécamp en 1162, à la canonisation d’Étienne de Muret, le fondateur de<br />

Grandmont en 1189 et aux reliques de saint Pétroc, en Bretagne.<br />

Ces stratégies de légitimation de l’autorité royale par l’association de saintes<br />

figures d’ancêtres s’inscrivent dans un contexte européen de canonisation de grandes<br />

figures royales, commencé à partir du XII e siècle avec celle de l’empereur salien<br />

Henri II en 1146. Peu après la canonisation d’Edward le Confesseur, Louis VII obtient<br />

celle de Charlemagne en 1165, qui vient parfaire l’idéologie royale préparée par l’abbé<br />

Suger, valorisant la filiation dynastique carolingienne et donc impériale des Capétiens 24 .<br />

Les canonisations royales ne visaient cependant pas à donner au roi une fonction de<br />

sacerdos, mais participaient à la glorification des ancêtres de la lignée, en l’entourant<br />

d’un halo de sainteté inhérente et en lui attachant la permanence d’une référence sacrée.<br />

Elles consolidaient ainsi le caractère spécifique du pouvoir royal (Eigenrecht) et<br />

contribuaient à l’élaboration progressive de la théorie d’une royauté héréditaire de droit<br />

divin en France et en Angleterre 25 . Si ces canonisations participent au triomphe du<br />

principe d’hérédité dans le processus de légitimation, le renforcement de l’autorité<br />

sacralisée du roi s’est également appuyé sur la rédaction des Vita des rois du haut<br />

Moyen Âge comme celle d’Ælred qui visait à construire un modèle « comportemental »<br />

de sainteté royale idéale 26 . Elle apparaît à ce titre comme l’une des conséquences de la<br />

réforme de l’Église et de ses tentatives pour contrôler de plus en plus étroitement les<br />

processus de canonisation en limitant progressivement les modèles de sainteté laïque<br />

aux seules figures royales 27 . Mais si la papauté parvient à imposer idéologiquement sa<br />

norme, elle se heurte à une autorité royale renforcée, dont elle a contribué elle-même à<br />

consolider le caractère sacralisé.<br />

23 HERBERT BOSHAM dans Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen,<br />

Herbert <strong>of</strong> Bosham), 1965, p. 261 : Edwardi corpus… solemniter quidem et sublimiter ibidem in ecclesia<br />

inter sanctorum corpora collocavit, rege itidem volente sic et presente. cité par SCHOLZ, B. W., « The<br />

canonization <strong>of</strong> Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60, note 72.<br />

24 BOUTET, D., Charlemagne et Arthur : ou le roi imaginaire, 1992 ; GOUTTEBROZE, J., « Deux<br />

modèles de sainteté royale. Edouard le Confesseur et saint Louis », C.C.M., 42 (1999), p. 243-258.<br />

25 SCHOLZ, B. W., « The canonization <strong>of</strong> Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60;<br />

SCHRAMM, P. E., A History <strong>of</strong> the English Coronation, 1937.<br />

26 FOLZ, R., Les saints rois du Moyen âge en Occident VIe-XIIIe siècles, 1984, p. 142-155; WAUGH, S.,<br />

« Histoire, hagiographie et le souverain idéal à la cour des Plantagenêt », dans Plantagenêts et Capétiens:<br />

Confrontations et Héritage, 2006, p. 429-446.<br />

27 VAUCHEZ, A., La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d'après les procès de<br />

canonisation et les documents hagiographiques, 1988.<br />

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