Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Index of - Free

entre Évreux et le Neubourg (c’est notamment le cas des Portes et de la Lande cités dans
le texte) 118 . Quant au manoir de Quitteboeuf, cédé à Philippe bien qu’il ait été plus
proche de Neubourg que d’Évreux, il témoigne bien du fait que cette démarcation ne
constituait pas une frontière strictement linéaire.
Au nord de la Seine, la frontière en tant que zone démilitarisée s’étend entre
Gaillon et la forêt de Vernon, d’une part, et entre Les Andelys, qui reste au roi
d’Angleterre, et Gamaches d’autre part :
Nous ne pourrons pas fortifier au-delà de Gamaches en Normandie ni
au-delà des limites de la forêt de Vernon mais en deçà, de même les
rois d’Angleterre ne pourront pas fortifier au-delà de la forêt des
Andelys, mais en deçà.
Dans ce traité, les lisières de forêts se sont progressivement substituées aux
repères polarisés que sont les châteaux dans la description des « bornes » du territoire.
On peut s’interroger sur ce que ce glissement traduit des pratiques des belligérants, qui
se déplacent, en long et en large dans la vallée de la Seine, depuis plusieurs années. De
même que pour le découpage territorial entre Évreux et Le Neubourg, l’emploi d’une
délimitation linéaire du paysage ne traduit-il pas l’idée d’une frontière comme espace
continu et homogène ? Le conflit autour de cet espace disputé, par sa durée et par
l’intensité des négociations, n’a-t-il pas contribué à faire émerger des représentations
spatiales ne reposant plus seulement sur l’articulation entre le global (le regnum) et le
local (le castellum), mais sur une conception plus uniforme et mesurée ? En tant que
moment d’explication, de formalisation voire de normalisation, le conflit constitue en
effet un moteur des processus de territorialisation, tel qu’il a pu être déjà observé à
l’échelle du diocèse au cours des XII e –XIII e siècles 119 . C’est en effet au travers des
résolutions de conflits d’empiètements que les diocèses se sont progressivement
territorialisés au cours du XII e siècle. Parce qu’elle constitue un phénomène original à
l’échelle de l’empire, l’émergence de ces nouvelles représentations spatiales de la
frontières ne peut donc être dissociée du « conflit d’interface », dans lequel sont
engagés Plantagenêt et Capétiens depuis plus d’une décennie, un conflit qui transforma
profondément la frontière normande avant de la faire disparaître.
118 Ibid., p. 416 ; POWICKE, M., The Loss of Normandy : 1189-1204 : Studies in the History of the
Angevin Empire, 1963p. 171, La Lande (Fresney, Eure).
119 MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe
siècle), 2008, notamment p. 234.
346