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pas et quelques jours plus tard, les hommes du roi de France mettent le feu à la ville de Dieppe « que le roi d’Angleterre venait juste de faire reconstruire », insiste Roger de Hoveden 95 . On assiste donc à un travail de sape de la part du roi de France qui s’inquiète manifestement de la vaste campagne de fortification de la Normandie mise en place par Richard. Ne pouvant percer les défenses nouvellement renforcées, Philippe Auguste choisit de s’attaquer à Issoudun. Mais il y est rapidement défait et une nouvelle trêve, négociée d’abord entre Issoudun et Chârost puis à Louviers en janvier 1196, débouche sur le traité de Gaillon 96 . 1.2.2- De Gaillon à Château Gaillard (1195-1198) Le traité de Gaillon (qui fait suite à la paix de Louviers) établit une nouvelle distribution des possessions territoriales, plutôt à la défaveur du roi de France en Normandie (carte 4.15) 97 . Ce dernier obtient néanmoins Baudemont ainsi que les terres d’Hugues de Gournay jusqu’à la mort de ce dernier, puis elles passeront dans la mouvance du duc de Normandie. Richard accepte de lui céder le château de Vernon et d’y renoncer définitivement contre une rente de 800 livres parisis dont le roi de France se porte garant. Richard reconnaît la cession de Pacy-sur-Eure par le comte de Leicester au roi de France et abandonne également ses droits sur Neufmarché, Gaillon, Ivry et Nonancourt. La nouvelle délimitation repasse donc au sud de la Seine, sur le cours de l’Avre. S’il cède du terrain au sud, Richard en reprend au nord, puisqu’il obtient en échange le comté d’Eu, d’Aumale, Arques, Neufchâtel (Drincourt), ainsi que Beauvoir- en-Lyons que Philippe tenait depuis sa conquête de 1193. De même qu’en 1194, une nouvelle ligne de sauvegarde est fixée entre Gaillon et Le Vaudreuil et pour la matérialiser le traité prévoit cette fois-ci de faire installer des bornes (mete) à mi-chemin entre les deux forteresses 98 . Puis une ligne fictive passant par et uno molendintum extra villam et intus et granariis et duabus camusis et ponte versus portam novam faciendis. 95 HOVEDEN, III, p. 304, et venientes ad villa de Depe, quam rex Angliae paulo ante readificaverat, combusserunt eam… 96 HOVEDEN, IV, p. 3. 97 Nous proposons une lecture territoriale de ces traités, mais ceux-ci peuvent êgalement être interprétés en termes de rapports interpersonnels entre les rois et leurs aristocrates. Sur cet aspect voir POWER, D. J., « L'aristocratie Plantagenêt face aux conflits capétiens-angevins: l'exemple du trait de Louviers », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 121-137. 98 ROUSSEAU, E. et DÉSIRÉ DIT GOSSET, G., « Le Traité de Gaillon (1196): Édition critique et traduction », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 67-74 : Et sciendum quod mete ponentur inter forteliciam Gallionis et forteliciam Vallis-Rodolii in media via. 338
« la première borne jusqu’à la Seine d’une part et jusqu’à l’Eure d’autre part » est virtuellement tracée pour délimiter les terres qui seront au roi de France, c'est-à-dire tout ce qui sera à partir de cette ligne du côté de Gaillon, tandis que tout ce qu’il y aura du côté du Vaudreuil sera au roi d’Angleterre 99 . Contrairement au traité de 1194, cette nouvelle délimitation ne prend plus seulement appui sur des lieux existants, elle crée ses propres bornes, inscrivant dans le paysage l’idée même d’une démarcation. Une telle délimitation posa immédiatement le problème des Andelys qui se trouvaient sur la Seine à peu près à équidistance de Gaillon et du Vaudreuil. La seigneurie des Andelys, qui appartenait à l’archevêque de Rouen, est alors déclarée zone « neutre » et démilitarisée : « ni le roi de France ni nous même n’en réclamerons le fief ou la possession » et « Les Andelys ne pourront être fortifiés » 100 . Malgré ces prescriptions et l’interdiction qui lui avaient été faites par l’archevêque de Rouen, Richard s’empare du bourg, quelques mois après la signature du traité et y fait édifier l’immense complexe défensif du Château Gaillard, avec l’aval du pape Célestin III, qui reconnaît à Richard le droit de fortifier ses frontières et de procéder à un échange avec l’archevêque 101 . La construction de cette forteresse n’est pas isolée comme le montrent les comptes de l’Échiquier normand des années 1195-98, mais s’inscrit au cœur d’une politique de fortification construisant un véritable rempart protégeant Rouen (carte 4.7). Les vestiges monumentaux et documentaires qui permettent de restituer avec précision la nature des travaux du complexe défensif normand dans les dernières années du XII e siècle ont fait l’objet d’amples analyses à de multiples niveaux, que ce soit financier, archéologique ou castellologique 102 . La construction de cette vaste forteresse, au retour 99 Ibid., Et ex illa meta, sicut se portabit, usque in Secanam, et ex alia parte usque in Euriam, id quod erit ex parte Gallionis erit regis Francorum et id quod erit ex parte Vallis-Rodolii erit nostrum. 100 Ibid., De Andeliaco sic erit: quod nec dominus noster rex Francorum nec nos in eo clamamus feodum sive dominium ; Andeliacum non poterit inforciari. 101 HOVEDEN, IV, p. 14, Ricardus rex Angliae firmavit novum castellum in insula de Andeli contra voluntatem et prohibitionem Walteri Rotomagensis archiepiscopi (Richard, roi d’Angleterre fortifia le nouveau château dans l’île des Andelys contre la volonté et malgré l’interdiction que lui avait faite Gauthier l’archevêque de Rouen) ; DICETO, II, p. 149 ; GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 301-2 ; GILLINGHAM, J., « The travels of Roger of Howden and his view of th Irish, Scots and Welsh" A.N.S., 1998, p. 151-169. 102 DEVILLE, A., Histoire du Château-Gaillard et du siège qu'il soutint contre Philippe Auguste en 1203 et 1204, 1829 ; COURTIL, L., Le Château-Gaillard construit par Richard Coeur de Lion 1197-1198, 1928; HÉLIOT, P., « Le Château Gaillard et les forteresses des XIIe et XIIIe siècles en Europe occidentale », dans Château Gaillard. Études de castellologie européenne, 1964, p. 53-7; PITTE, D.; FOURNY-DARGÈRE, S. et CALDÉRONI, P. (eds.), Château-Gaillard: découverte d'un patrimoine. catalogue d'exposition, 1995; LE MAHO, J., « Fortifications de siège et "contre-châteaux" en Normandie (XIe-XIIe s.) », dans Château Gaillard. 19: Études de castellologie européenne, 2000, p. 181-189 ; PITTE, D., « Château-Gaillard dans la défense de la Normandie orientale (1196-1204) », dans A.N.S., 2001, p. 163-175 ; PITTE, D., « Château-Gaillard: la fortification d'un site à la fin du XIIe siècle », dans 339
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ce qui sera à partir de cette ligne du côté de Gaillon, tandis que tout ce qu’il y aura du<br />
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propres bornes, inscrivant dans le paysage l’idée même d’une démarcation.<br />
Une telle délimitation posa immédiatement le problème des Andelys qui se<br />
trouvaient sur la Seine à peu près à équidistance de Gaillon et du Vaudreuil. La<br />
seigneurie des Andelys, qui appartenait à l’archevêque de Rouen, est alors déclarée zone<br />
« neutre » et démilitarisée : « ni le roi de France ni nous même n’en réclamerons le fief<br />
ou la possession » et « Les Andelys ne pourront être fortifiés » 100 . Malgré ces<br />
prescriptions et l’interdiction qui lui avaient été faites par l’archevêque de Rouen,<br />
Richard s’empare du bourg, quelques mois après la signature du traité et y fait édifier<br />
l’immense complexe défensif du Château Gaillard, avec l’aval du pape Célestin III, qui<br />
reconnaît à Richard le droit de fortifier ses frontières et de procéder à un échange avec<br />
l’archevêque 101 . La construction de cette forteresse n’est pas isolée comme le montrent<br />
les comptes de l’Échiquier normand des années 1195-98, mais s’inscrit au cœur d’une<br />
politique de fortification construisant un véritable rempart protégeant Rouen (carte 4.7).<br />
Les vestiges monumentaux et documentaires qui permettent de restituer avec précision<br />
la nature des travaux du complexe défensif normand dans les dernières années du XII e<br />
siècle ont fait l’objet d’amples analyses à de multiples niveaux, que ce soit financier,<br />
archéologique ou castellologique 102 . La construction de cette vaste forteresse, au retour<br />
99 Ibid., Et ex illa meta, sicut se portabit, usque in Secanam, et ex alia parte usque in Euriam, id quod erit<br />
ex parte Gallionis erit regis Francorum et id quod erit ex parte Vallis-Rodolii erit nostrum.<br />
100 Ibid., De Andeliaco sic erit: quod nec dominus noster rex Francorum nec nos in eo clamamus feodum<br />
sive dominium ; Andeliacum non poterit inforciari.<br />
101 HOVEDEN, IV, p. 14, Ricardus rex Angliae firmavit novum castellum in insula de Andeli contra<br />
voluntatem et prohibitionem Walteri Rotomagensis archiepiscopi (Richard, roi d’Angleterre fortifia le<br />
nouveau château dans l’île des Andelys contre la volonté et malgré l’interdiction que lui avait faite<br />
Gauthier l’archevêque de Rouen) ; DICETO, II, p. 149 ; GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 301-2 ;<br />
GILLINGHAM, J., « The travels <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden and his view <strong>of</strong> th Irish, Scots and Welsh" A.N.S.,<br />
1998, p. 151-169.<br />
102 DEVILLE, A., Histoire du Château-Gaillard et du siège qu'il soutint contre Philippe Auguste en 1203<br />
et 1204, 1829 ; COURTIL, L., Le Château-Gaillard construit par Richard Coeur de Lion 1197-1198,<br />
1928; HÉLIOT, P., « Le Château Gaillard et les forteresses des XIIe et XIIIe siècles en Europe<br />
occidentale », dans Château Gaillard. Études de castellologie européenne, 1964, p. 53-7; PITTE, D.;<br />
FOURNY-DARGÈRE, S. et CALDÉRONI, P. (eds.), Château-Gaillard: découverte d'un patrimoine.<br />
catalogue d'exposition, 1995; LE MAHO, J., « Fortifications de siège et "contre-châteaux" en Normandie<br />
(XIe-XIIe s.) », dans Château Gaillard. 19: Études de castellologie européenne, 2000, p. 181-189 ;<br />
PITTE, D., « Château-Gaillard dans la défense de la Normandie orientale (1196-1204) », dans A.N.S.,<br />
2001, p. 163-175 ; PITTE, D., « Château-Gaillard: la fortification d'un site à la fin du XIIe siècle », dans<br />
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