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En Touraine, le roi de France tiendra la cité de Tours au roi de France ainsi que tout ce qui lui appartient jusqu’à Azay et le fief de Montrichard et d’Amboise, ainsi que Montbazon et ses dépendances. Le château de Loches et ses dépendances, le château de Châtillon sur Indre et ses dépendances…et le comte Louis, mon cousin, aura les châteaux de Trôo, La Châtre et ses dépendances, les fiefs de Fréteval et de Vendôme, [qui passent donc désormais dans la mouvance française] tandis que le comte du Perche aura, les châteaux de Moulins et Bonmoulins et ses dépendances du duc de Normandie 78 . Les différents modes de délimitations reflètent donc l’intensité de la domination selon les espaces. Alors que le roi de France dans son domaine et le duc de Normandie dans son duché disposaient d’une quasi souveraineté leur permettant de délimiter leurs domaines de manière quasi « géographique », ils devaient compter avec des vassaux revendiquant de fortes autonomies dans les marges non limitrophes. La délimitation territoriale y restait donc polarisée autour des châteaux inféodés, lieux à travers lesquels s’articulaient les différents niveaux de fidélités. Toutefois, le traité de 1193 apparaît précisément comme une remise en cause de la souveraineté dont les ducs de Normandie jouissaient de fait dans leurs duchés depuis le IX e siècle 79 . Jean devait en effet non seulement reconnaître que le comte d’Angoulême tenait désormais ses terres du roi de France à qui il a rendu hommage, mais aussi que du fait qu’il tenait ses terres en Normandie, Anjou et Aquitaine en fief du roi de France, il devait lui rendre les services féodaux et entendre la justice à la cour du roi de France, « ainsi qu’il convient de le faire pour chaque fief et de même que les prédécesseurs et ses prédécesseurs l’ont fait » 80 . Les pertes territoriales des Plantagenêt étaient donc importantes, et les années suivantes furent presque exclusivement consacrées par Richard à reconquérir son héritage, perdu par son frère. Pour cela, il mobilise des moyens militaires dont les 78 Layettes, I, n°412 : In Turonia vero debet habere rex Francie civitatem Turonensem et pertinentia usque ad Azaz et feodum Montis-Trichard et Ambazie ; et preterea Montem-Bason, cum pertinentiis suis. Castellum vero de Lochis, cum pertinentiis suis, et castellum de Castellione, cum pertinentiis suis ; Comes vero Ludovicus, consanguineus meus, habebit castella de Troa, et de la Chastre, cum pertinentiis suis, et feodos de Fresteval et de Vendosme. – Comes vero Perticii habebit, in Normannia, castella de Molins et de Bomolin cum pertinentiis suis. 79 Sur cette évolution voir notamment VAN EICKELS, K., « Homagium and Amicitia : Rituals of Peace and their Significance in the Anglo-French Negotiations of the 12th Century », Francia, 24: 1 (1997), p. 133-140. 80 Layettes, I, n°412 : De predicitis vero terris, ex regi Francie et succesoribus suis regibus Francie faciam servitia et justicias in curia sua pro singulis feodis, sicut unusquisque feodis aportat, sicut antercessores mei antecessoribus suis fecerunt. 334
comptes de l’Échiquier montrent que leurs coûts été considérables 81 . Ce déploiement permet à Richard d’imposer une nouvelle paix à Philippe Auguste le 23 juillet 1194, c’est la paix dite de Tillières. Celle-ci est connue par une lettre de Drogo de Mello, connétable de France, et d’Anselme de Saint-Martin de Tours, reproduite par Roger de Hoveden 82 . Contrairement à la précédente, elle ne fixe pas une ligne de démarcation entre deux territoires, mais délimite une zone démilitarisée, faisant surgir ici la construction d’une frontière comme « zone tampon ». Utilisant les armes de prédilection des Plantagenêt, le roi de France réactive ici une forme de ius munitionis, en se posant comme le seigneur de Richard l’autorisant à fortifier ou non les forteresses reconquises : Le roi de France concède en effet au roi d’Angleterre qu’il peut fortifier s’il le veut Neubourg, Driencourt, Conches et Breteuil ; quant aux autres forteresses qui ont été détruites pendant la guerre, soit par le roi de France, soit pas ses gens, il ne devra pas les fortifier pendant la trêve ni ne devra le faire pendant le temps de la paix qui sera passée entre les rois de France et d’Angleterre 83 . […] Toutes les forteresses dont le roi de France est en possession le jour de cette paix devront être considérées selon l’accord suivant : après la trêve, le roi de France pourra les fortifier, les détruire, ou brûler s’il le veut et de toute la terre qu’il tient, il pourra en disposer à sa volonté. De même, le roi d’Angleterre pourra fortifier les « fortellesces » qu’il tenait le jour de la trêve, les détruire ou les brûler, mais il ne pourra pas refortifier une forteresses qui a été détruite par le roi de France, à l’exception des quatre dont il est question ci-dessus. 84 81 MOSS, V., « The Defense of Normandy 1193-1198 », dans A.N.S., 2001, p. 145-163; MOSS, V., « Reprise et innovations : les rôles normands et anglais de l’année 1194-1195 et la perte de la Normandie », dans La Normandie et l'Angleterre au Moyen Âge, 2003, p. 89-97; MOSS, V., « War, Economy and Finance in Angevin Normandy 1195-1198 », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 89-104; MOSS, V., « La perte de la Normandie et les finances de l'État. Les limites des interprétations financières. », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 75-92; MOSS, V., « The Norman Exchequer Rolls under King John », dans King John. New Interpretations, 2003, p. 101-106. 82 HOVEDEN, III, p. 252. 83 HOVENDEN, III, p. 252. concedit regi Angliae et suis treugas : et concedit, quod firmare possit, si firmare voluerit, Novum burgum et Direncurt et Concas et Britollium. Aliae munitiones, quae dirutae sunt per guerram per regem Franciae, aut per suos, non firmabuntur in his treugis, nisi eas contigerit firmari per pacem quae fiet inter regem Franciae et regem Angliae. 84 Ibid., De omnibus fortellescis et de quibus rex Franciae est saisitus die treugarum, sic erit : quod rex Francie eas infra treugas poterit infortiare, vel diruere, vel comburere si voluerit, et de tota terra, quam tenet, voluntatem suam facere. Et rex Angliae similiter illas fortellesces, de quibus est tenens die treugarum, poterit inforciare, vel diruere, vel combuere : sed rex Angliae de dirutis fortellescis et regem Franciae per suos nullam poterit firmare, nisi illas quatuor quae superius dictae sunt. 335
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comptes de l’Échiquier montrent que leurs coûts été considérables 81 . Ce déploiement<br />
permet à Richard d’imposer une nouvelle paix à Philippe Auguste le 23 juillet 1194,<br />
c’est la paix dite de Tillières. Celle-ci est connue par une lettre de Drogo de Mello,<br />
connétable de France, et d’Anselme de Saint-Martin de Tours, reproduite par Roger de<br />
Hoveden 82 . Contrairement à la précédente, elle ne fixe pas une ligne de démarcation<br />
entre deux territoires, mais délimite une zone démilitarisée, faisant surgir ici la<br />
construction d’une frontière comme « zone tampon ». Utilisant les armes de prédilection<br />
des Plantagenêt, le roi de France réactive ici une forme de ius munitionis, en se posant<br />
comme le seigneur de Richard l’autorisant à fortifier ou non les forteresses reconquises :<br />
Le roi de France concède en effet au roi d’Angleterre qu’il peut<br />
fortifier s’il le veut Neubourg, Driencourt, Conches et Breteuil ; quant<br />
aux autres forteresses qui ont été détruites pendant la guerre, soit par<br />
le roi de France, soit pas ses gens, il ne devra pas les fortifier pendant<br />
la trêve ni ne devra le faire pendant le temps de la paix qui sera<br />
passée entre les rois de France et d’Angleterre 83 .<br />
[…] Toutes les forteresses dont le roi de France est en possession le<br />
jour de cette paix devront être considérées selon l’accord suivant :<br />
après la trêve, le roi de France pourra les fortifier, les détruire, ou<br />
brûler s’il le veut et de toute la terre qu’il tient, il pourra en disposer<br />
à sa volonté. De même, le roi d’Angleterre pourra fortifier les<br />
« fortellesces » qu’il tenait le jour de la trêve, les détruire ou les<br />
brûler, mais il ne pourra pas refortifier une forteresses qui a été<br />
détruite par le roi de France, à l’exception des quatre dont il est<br />
question ci-dessus. 84<br />
81 MOSS, V., « The Defense <strong>of</strong> Normandy 1193-1198 », dans A.N.S., 2001, p. 145-163; MOSS, V.,<br />
« Reprise et innovations : les rôles normands et anglais de l’année 1194-1195 et la perte de la<br />
Normandie », dans La Normandie et l'Angleterre au Moyen Âge, 2003, p. 89-97; MOSS, V., « War,<br />
Economy and Finance in Angevin Normandy 1195-1198 », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre,<br />
duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 89-104; MOSS, V., « La perte de la Normandie et les finances de<br />
l'État. Les limites des interprétations financières. », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et<br />
Capétiens, 2007, p. 75-92; MOSS, V., « The Norman Exchequer Rolls under King John », dans King<br />
John. New Interpretations, 2003, p. 101-106.<br />
82 HOVEDEN, III, p. 252.<br />
83 HOVENDEN, III, p. 252. concedit regi Angliae et suis treugas : et concedit, quod firmare possit, si<br />
firmare voluerit, Novum burgum et Direncurt et Concas et Britollium. Aliae munitiones, quae dirutae<br />
sunt per guerram per regem Franciae, aut per suos, non firmabuntur in his treugis, nisi eas contigerit<br />
firmari per pacem quae fiet inter regem Franciae et regem Angliae.<br />
84 Ibid., De omnibus fortellescis et de quibus rex Franciae est saisitus die treugarum, sic erit : quod rex<br />
Francie eas infra treugas poterit infortiare, vel diruere, vel comburere si voluerit, et de tota terra, quam<br />
tenet, voluntatem suam facere. Et rex Angliae similiter illas fortellesces, de quibus est tenens die<br />
treugarum, poterit inforciare, vel diruere, vel combuere : sed rex Angliae de dirutis fortellescis et regem<br />
Franciae per suos nullam poterit firmare, nisi illas quatuor quae superius dictae sunt.<br />
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