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en effet, les turcies médiévales étaient des digues en forme de « barrage noyé » qui n’ont rien à voir avec les travaux modernes et contemporains 355 . Elles s’étendaient sur plus de quarante kilomètres de part et d’autre de Saumur (plan 3.21). Si la volonté d’éviter que le fleuve ne ravage les récoltes peut être considérée comme une marque d’attention pour l’intérêt général, c’est par la piété (pietate commotus) qu’Henri II justifie son acte 356 . Les hommes qui s’installeraient sur les turcies, pour les maintenir en état, seraient exemptés du service féodal (l’ost et la chevauchée). Ces exemptions qui ressemblent à celles des chartes de peuplement de la même époque semblent cependant ici renouer avec une tradition plus ancienne. Au cours du haut Moyen Âge, le code Théodosien considérait que les travaux de maintien des routes, des ponts et des digues constituaient des obligations auxquelles nul ne pouvait se soustraire, car reposant sur la terre et non sur les personnes 357 . Témoin de la substitution des devoirs autrefois considérés comme publics par les obligations seigneuriales, la charte de Henri II cherche toutefois à restaurer une responsabilité collective sur l’entretien de ces digues à nouveau rattachées à un espace de peuplement. Mais les exemptions et les franchises, parce qu’elles restent attribuées individuellement, ne restaurent pas le caractère public du devoir d’entretien et de maintien de la digue. Alors que l’effondrement de la digue était vraisemblablement le résultat de la dissolution des obligations d’entretien qui leur étaient attachées, l’attribution d’une charte de franchise par le roi insérait ces devoirs comme services dûs dans le cadre des relations féodales. La publication de cette charte contribuait néanmoins à affirmer formellement le rôle du roi comme garant de ces obligations publiques. En réinvestissant des espaces laissés vides de pouvoir, Henri II étendaient non seulement son autorité publique mais renforçait également son contrôle sur de nouveaux territoires. Par ailleurs, Robert de Torigni évoque l’intervention d’Henri II sur la Loire en même temps que la mise en place du chantier des fossés royaux aux frontières de la Normandie (voir chapitre 4). Si ces deux évènements coïncident chronologiquement, c’est aussi parce qu’ils sont motivés par la même volonté de défendre le duché et d’y maintenir de l’ordre : GUILLOU, S., « Les levées de la Loire : des turcies au Plan Loire, huit siècles d'évolution », Base documentaire Loire Nature (2004). 355 BURNOUF, J., « Crise environnementale: des mots et des sources », dans Temps et espaces des crises de l'environnement, 2006, p. 341-350 (p. 146). 356 Recueil des actes d’Henri II , I, n° 376, : quia ego ipse vidi et comperi dolores et dampna que Ligeris in Valeas faciebat, propter hoc, tanquam pietate commotus. 357 COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006 cite Novella Valentiniani 10 (441), MOMMSEN, T. et MEYER, P. (eds.), Theodosiani libri XVI cum constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, 1905, p. 91-92. 306

Henri II fit faire de hauts et de larges fossés entre la France et la Normandie pour contenir les brigands, et de même, c’est pour contenir les eaux, qu’il fit faire des levées de terres en Anjou sur la Loire 358 . Alors que la construction des fossés royaux est considérée d’utilité publique parce qu’elle participe à l’ordre, mais aussi et surtout à la défense de la patrie, les turcies sur la Loire constituent elles aussi des travaux d’utilité commune en favorisant l’aménagement des berges et leur exploitation, facteurs d’ordre et de prospérité. Concernant l’ordre et la sécurité du territoire, et notamment la lutte contre les brigands, l’une des principales réformes d’Henri II a également été la mise en place un réseau de prisons, afin d’assurer l’application de ses réformes judiciaires. 3.2.3- La construction de prisons : un marqueur de la puissance publique sur le territoire du royaume L’emprisonnement en Angleterre n’est pas un phénomène social clairement identifiable avant la fin du XII e siècle. S’il existait des prisons depuis l’Antiquité de même que des carcerr dans les codes de lois anglo-saxonnes, le terme ne désignait pas nécessairement un édifice propre dont la fonction principale était l’incarcération d’individus 359 . Les prisons étaient installées dans des manoirs fortifiés ou des châteaux, dont certaines pièces étaient transformées pour la rétention des individus. La naissance de la prison comme institution organisée, disposant de bâtiments d’incarcération, ne date véritablement que du milieu du XII e siècle, mais à cette date, l’emprisonnement apparaît alors surtout comme une manière de retenir les individus avant leur procès et non comme le résultat de celui-ci 360 . La plupart des emprisonnements avaient d’ailleurs souvent pour seul but de lever des rançons, comme c’est le cas pour tous les prisonniers de guerre et au premier chef celui de Richard en Allemagne entre 1192 et 1194. Selon Jean Dunbabin, entre 1100 et 1300, s’opère une évolution qui accompagne celle de 358 TORIGNI, II, p. 13-14 : Henricus fecit fossata alta et lata inter Franciam et Normanniam, ad praedones arcendos. Similiter fecerat in Andegavensi pago super Ligerim, ad aquam arcendam… 359 PUGH, R. B., Imprisonment in Medieval England, 1968, p. 1-2. 360 DUNBABIN, J., Captivity and imprisonment in Medieval Europe, 1000-1300, 2002, p. 2- 3; c’est le cas par exemple en 1183 lorsque Henri II fait emprisonner ses ennemis pour qu’ils ne rejoignent pas la révolte d’Henri le jeune, PETERBOROUGH, I, p. 294: Interim dum haec fuerent appropinquante sollemnitate Paschali, dominus rex Angliae cepit et incarceravit, qui sibi suspecti fuerant, omnes quos apprehendere potuit de inimicis suis, qui contra eum fuerant, in priori werra filiorum suorum. Et mandavit justitiariis suis Angliae, quod omnes inimici caperentur et incarcerarentur. (Entre temps, alors que les festivités de Pâques approchaient, le roi d’Angleterre prit et incarcera ceux qu’il suspectait et tous ceux qu’il pouvait prendre parmi ses ennemis qui avaient été contre lui pendant la précédente révolte de ses fils. Et il ordonna au justicier d’Angleterre, que tous ses ennemis soient pris et incarcérés). 307

en effet, les turcies médiévales étaient des digues en forme de « barrage noyé » qui<br />

n’ont rien à voir avec les travaux modernes et contemporains 355 . Elles s’étendaient sur<br />

plus de quarante kilomètres de part et d’autre de Saumur (plan 3.21). Si la volonté<br />

d’éviter que le fleuve ne ravage les récoltes peut être considérée comme une marque<br />

d’attention pour l’intérêt général, c’est par la piété (pietate commotus) qu’Henri II<br />

justifie son acte 356 . Les hommes qui s’installeraient sur les turcies, pour les maintenir en<br />

état, seraient exemptés du service féodal (l’ost et la chevauchée). Ces exemptions qui<br />

ressemblent à celles des chartes de peuplement de la même époque semblent cependant<br />

ici renouer avec une tradition plus ancienne. Au cours du haut Moyen Âge, le code<br />

Théodosien considérait que les travaux de maintien des routes, des ponts et des digues<br />

constituaient des obligations auxquelles nul ne pouvait se soustraire, car reposant sur la<br />

terre et non sur les personnes 357 . Témoin de la substitution des devoirs autrefois<br />

considérés comme publics par les obligations seigneuriales, la charte de Henri II<br />

cherche toutefois à restaurer une responsabilité collective sur l’entretien de ces digues à<br />

nouveau rattachées à un espace de peuplement. Mais les exemptions et les franchises,<br />

parce qu’elles restent attribuées individuellement, ne restaurent pas le caractère public<br />

du devoir d’entretien et de maintien de la digue. Alors que l’effondrement de la digue<br />

était vraisemblablement le résultat de la dissolution des obligations d’entretien qui leur<br />

étaient attachées, l’attribution d’une charte de franchise par le roi insérait ces devoirs<br />

comme services dûs dans le cadre des relations féodales. La publication de cette charte<br />

contribuait néanmoins à affirmer formellement le rôle du roi comme garant de ces<br />

obligations publiques. En réinvestissant des espaces laissés vides de pouvoir, Henri II<br />

étendaient non seulement son autorité publique mais renforçait également son contrôle<br />

sur de nouveaux territoires. Par ailleurs, Robert de Torigni évoque l’intervention<br />

d’Henri II sur la Loire en même temps que la mise en place du chantier des fossés<br />

royaux aux frontières de la Normandie (voir chapitre 4). Si ces deux évènements<br />

coïncident chronologiquement, c’est aussi parce qu’ils sont motivés par la même<br />

volonté de défendre le duché et d’y maintenir de l’ordre :<br />

GUILLOU, S., « Les levées de la Loire : des turcies au Plan Loire, huit siècles d'évolution », Base<br />

documentaire Loire Nature (2004).<br />

355 BURNOUF, J., « Crise environnementale: des mots et des sources », dans Temps et espaces des crises<br />

de l'environnement, 2006, p. 341-350 (p. 146).<br />

356 Recueil des actes d’Henri II , I, n° 376, : quia ego ipse vidi et comperi dolores et dampna que Ligeris<br />

in Valeas faciebat, propter hoc, tanquam pietate commotus.<br />

357 COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006 cite Novella<br />

Valentiniani 10 (441), MOMMSEN, T. et MEYER, P. (eds.), Theodosiani libri XVI cum constitutionibus<br />

Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, 1905, p. 91-92.<br />

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