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03.04.2013 Views

2.1- La lutte contre la territorialisation des Églises et l’affirmation de la potestas regis sur les lieux saints Si les prérogatives du duc sur les élections épiscopales étaient depuis longtemps reconnues en Normandie, où la désignation des évêques et abbés à la discrétion ducale était pratiquement entrée dans la coutume, ce droit n’était pas reconnu en Aquitaine, où la liberté des élections était un privilège contre lequel Henri II eut du mal à s’imposer 146 . En Angleterre, après le règne d’Étienne de Blois, l’étroite dépendance de l’Église anglaise vis-à-vis de la royauté s’était quelque peu relâchée et l’épiscopat avait renoué des liens avec la papauté. Tous les efforts d’Henri II vont donc porter sur la reprise en main de cet épiscopat et la restauration de ses prérogatives royales sur les clercs. Tout d’abord, outre le fait de pouvoir récompenser des curiales et de renforcer leur loyauté, le contrôle des élections épiscopales présentait également un intérêt territorial pour les Plantagenêt dans la mesure où, d’une part, le gouvernement ecclésiastique fonctionnait comme un soutien et un relais du pouvoir royal favorisant la stabilisation des espaces aux aristocraties turbulentes ; de fait, la perte du contrôle des élites ecclésiastiques face à l’essor du principe de la libertas ecclesiae, notamment sur le continent, a été considérée comme l’un des principaux facteurs de l’effondrement de l’empire des Plantagenêt au début du XIII e siècle. D’autre part, le contrôle des élections épiscopales et abbatiales en Angleterre et en Normandie donnait au roi une emprise directe sur le diocèse, notamment lors des périodes de vacances pendant lesquelles la Couronne percevait et gérait les revenus épiscopaux. 2.1.1- Les élections épiscopales, le contrôle du territoire et des élites locales En Angleterre, la publication des constitutiones de Clarendon en 1164, établissait, contre les revendications de la libertas ecclesiae portées par l’introduction du droit canon en Angleterre, les prérogatives juridiques du roi sur les élections épiscopales et sur la justice des clercs. Malgré et au-delà de l’affaire Becket, Henri et Richard sont globalement parvenus à faire reconnaître leur droits sur les élections épiscopales. Ainsi sur les 18 élections épiscopales du règne de Richard, 15 ont vu 146 PONTAL, O., « Les évêques dans le monde Plantagenêt », dans Y a-t-il une civilisation du monde Plantagenêt ?, 1986, p. 129-137 synthétise les travaux de Raymonde Foreville : FOREVILLE, R., L'Église et la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenet : 1154-1189, 1943. 160

l’accession de familiares royaux ou des membres de familles proche du roi 147 . Jean parvint même là où son père avait échoué en réunissant en la personne d’Hubert Walter, la principale autorité du gouvernement ecclésiastique (le primat) et royal (le chancelier), et s’assurait ainsi le contrôle de l’ensemble du baronnage anglo-normand. Cette nomination provoqua d’ailleurs des craintes exprimées par Hugues Bardulf, l’un des principaux magnats du règne de Jean : Seigneur, si je peux parler sous votre bienveillance, considérez bien la puissance de vos nominations et la dignité des honneurs, afin de tenir sous votre joug vos serviteurs : parce que nulle part nous entendons ou voyons qu’un archevêque puisse être fait chancelier mais nous voyons qu’un chancelier puisse devenir archevêque. 148 Les inquiétudes d’Hugues Bardulf n’étaient en effet pas infondées tant la difficulté à contrôler les élections épiscopales devenait un problème épineux. Doit-on pour autant l’expliquer par l’« incapacité politique » de Jean, plutôt que d’y voir le renforcement de la libertas ecclesiae y compris en Angleterre, où se constitua progressivement un esprit de corps de l’épiscopat ? Celui-ci renforça sa cohésion et son indépendance vis-à-vis de la papauté au cours de l’affaire de Guillaume de Longchamp, mais aussi vis à vis du roi d’Angleterre, qu’ils contribuèrent à faire capituler en 1215 en se joignant à la révolte des barons. Hormis le cas exceptionnel de Thomas Becket, l’installation de curiales à un poste épiscopal ou abbatial permettait en effet au roi de disposer de sérieux appuis pour organiser son gouvernement et affirmer l’autorité royale, tant les évêques pouvaient être de puissants vecteurs de la formulation et de la publicisation de la politique royale 149 . Pour Jorg Peltzer, il est même possible de parler de « corrélation entre le degré de contrôle royal sur le territoire et le degré de l’intensité des relations entre évêques et rois » 150 . En Bretagne, par exemple, Judith Everard a montré que le rôle des évêques bretons et notamment ceux de Rennes comme agents de stabilisation de cette province 147 TURNER, R. V., « Richard Lionheart and English Episcopal Elections », Albion: A Quarterly Journal Concerned with British Studies, 29: 1 (1997), p. 1-13. 148 HOVEDEN, II, p. 90-91: Domine, salva pace vestra loquar certe si bene consideraretis nominis vestri potentiam et honoris dignitatem non deberetis jugum servitutis vobis imponere : quia nunquam audivimus vel vidimus de archiepiscopo fieri cancellarium sed de cancellario vidimus fieri archiepiscopum. 149 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484 est une récente synthèse en français sur le rôle des évêques dans la politique royale et la question des élections épiscopales ; WALKER, D., « Crown and episcopacy under the Normans and Angevins », dans A.N.S., 1982, p. 220- 233. 150 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484. 161

l’accession de familiares royaux ou des membres de familles proche du roi 147 . Jean<br />

parvint même là où son père avait échoué en réunissant en la personne d’Hubert Walter,<br />

la principale autorité du gouvernement ecclésiastique (le primat) et royal (le chancelier),<br />

et s’assurait ainsi le contrôle de l’ensemble du baronnage anglo-normand. Cette<br />

nomination provoqua d’ailleurs des craintes exprimées par Hugues Bardulf, l’un des<br />

principaux magnats du règne de Jean :<br />

Seigneur, si je peux parler sous votre bienveillance, considérez bien la<br />

puissance de vos nominations et la dignité des honneurs, afin de tenir<br />

sous votre joug vos serviteurs : parce que nulle part nous entendons<br />

ou voyons qu’un archevêque puisse être fait chancelier mais nous<br />

voyons qu’un chancelier puisse devenir archevêque. 148<br />

Les inquiétudes d’Hugues Bardulf n’étaient en effet pas infondées tant la<br />

difficulté à contrôler les élections épiscopales devenait un problème épineux. Doit-on<br />

pour autant l’expliquer par l’« incapacité politique » de Jean, plutôt que d’y voir le<br />

renforcement de la libertas ecclesiae y compris en Angleterre, où se constitua<br />

progressivement un esprit de corps de l’épiscopat ? Celui-ci renforça sa cohésion et son<br />

indépendance vis-à-vis de la papauté au cours de l’affaire de Guillaume de Longchamp,<br />

mais aussi vis à vis du roi d’Angleterre, qu’ils contribuèrent à faire capituler en 1215 en<br />

se joignant à la révolte des barons.<br />

Hormis le cas exceptionnel de Thomas Becket, l’installation de curiales à un<br />

poste épiscopal ou abbatial permettait en effet au roi de disposer de sérieux appuis pour<br />

organiser son gouvernement et affirmer l’autorité royale, tant les évêques pouvaient être<br />

de puissants vecteurs de la formulation et de la publicisation de la politique royale 149 .<br />

Pour Jorg Peltzer, il est même possible de parler de « corrélation entre le degré de<br />

contrôle royal sur le territoire et le degré de l’intensité des relations entre évêques et<br />

rois » 150 . En Bretagne, par exemple, Judith Everard a montré que le rôle des évêques<br />

bretons et notamment ceux de Rennes comme agents de stabilisation de cette province<br />

147 TURNER, R. V., « Richard Lionheart and English Episcopal Elections », Albion: A Quarterly Journal<br />

Concerned with British Studies, 29: 1 (1997), p. 1-13.<br />

148 HOVEDEN, II, p. 90-91: Domine, salva pace vestra loquar certe si bene consideraretis nominis vestri<br />

potentiam et honoris dignitatem non deberetis jugum servitutis vobis imponere : quia nunquam audivimus<br />

vel vidimus de archiepiscopo fieri cancellarium sed de cancellario vidimus fieri archiepiscopum.<br />

149 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484 est une récente synthèse en<br />

français sur le rôle des évêques dans la politique royale et la question des élections épiscopales ;<br />

WALKER, D., « Crown and episcopacy under the Normans and Angevins », dans A.N.S., 1982, p. 220-<br />

233.<br />

150 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484.<br />

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