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château et de Montreuil-Bellay en Anjou, et à raser entièrement le donjon pour fait et cause que Gérald du Bellay, qui en était le détenteur, avait fait preuve de faiblesse et d’une intolérable sauvagerie 31 . L’invocation du maintien de l’ordre public, ici la protection de l’Église, pour justifier la répression du seigneur insoumis, montre que la destruction de châteaux était alors un instrument essentiel de l’affirmation de la puissance publique, même si elle était, en réalité, plutôt symptomatique d’une certaine faiblesse du pouvoir qui doit user de la force militaire pour faire respecter ses droits. Le contrôle des châteaux, de leur construction et de leur fortification constituait donc un champ de rapport de forces dans lequel était en jeu le renforcement de la potestas publica du prince. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir la résurgence des licences royales de fortification. Si l’attribution des licences ne constituait plus un droit régalien au XI e siècle, elle restait étroitement contrôlée par les princes territoriaux – davantage en Normandie et en Anjou qu’en Aquitaine 32 . En tant que documents normatifs, ces licences ne sont pas attestées avant le règne de Jean. Cependant, l’absence de leur conservation ne signifie pas nécessairement leur inexistence : il est en effet possible que de tels documents aient été produits dès le règne d’Henri II et peut être même d’Étienne de Blois. John H. Round a en effet montré, dans son étude sur Geoffroy de Mandeville, qu’aucun château ne pouvait être construit légalement sans autorisation royale 33 . La fonction des licences ne consistait cependant pas seulement à contrôler et à sanctionner les « dangereux châteaux privés » mais visait aussi à renforcer la loyauté des vassaux envers leur souverain et à établir des conventions de construction investissant les élites d’une responsabilité sociale 34 . Ainsi, il n’est pas étonnant de voir l’attribution de licences aux seigneurs du Périgord, pourtant réputé pour leur infidélité, notamment après l’échec de Jean en Poitou en 1214. 31 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the Central Middle Ages, 2003, p.121 ; Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, n° 19 : Noverint presentes et futuri quod propter infidelitatem et intolerabilem sevitiam Giraldi Berlai, qua ipse super omnes ecclesias sue potestatis et earum possessiones crudeliter exagitabat, castrum Mosterioli gratia dei pereuntem obsedi, magnisque expensis et permaximis diuturnisque laboribus predicti castrum menia destruxit, turrem et universa edificia totius castri penitus eradicaveri… 32 BACHRACH, B. S., « The angevine economy, 960-1060: ancient or feudal? », dans State-building in medieval France : studies in early Angevin history, 1995, p. 3-55; DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984. 33 ROUND, J. H., Geoffrey de Mandeville. A study of the Anarchy, 1972 [1892]. 34 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the Central Middle Ages, 2003, p. 96. 132
À mes chers et fidèles G. de Neville, sénéchal de Gascogne, le maire et les prud’hommes de Bordeaux, salut. Sachez que Tisun de Valeis, pour notre sécurité et pour que personne n’envahisse notre terre, a reçu une licence que je lui ai donnée pour fortifier son château de Montferrand (-du-Périgord). Nous vous ordonnons donc qu’il lui soit permis de fortifier son château et que personne ne lui en fasse violence ou injure. 35 Avant qu’un tel contrôle juridique ne soit possible au début du XIII e siècle, l’affirmation de la puissance publique du roi sur les châteaux de ses territoires a été menée de longue lutte par Henri II. Deux moments sont décisifs dans ce resserrement du contrôle castral : la conquête de l’Angleterre en 1153 avec l’application du traité de Winchester qu’Henri II imposa à son rival défait et la révolte des barons de 1173-1174. Selon Sir James Holt, bien que les années qui ont suivi l’accession d’Henri II au trône aient été le moment de nombreuses confiscations et destructions de château, il semble le principe de reddibilité ne peut être clairement identifié en Angleterre avant le milieu des années 1170 36 . C’est pourquoi, la justification des confiscations et des destructions de châteaux s’est essentiellement faite sur le motif de leur nature « adultérine ». 1.1.3- Le traité de Winchester et la destruction des châteaux « adultérins » Le traité de Winchester a été particulièrement étudié par les historiens du droit anglais qui y voient les origines de la Common Law, de l’hérédité de la Couronne et des fiefs 37 . Cependant, ce qu’en transmettent les chroniques contemporaines ne recouvre qu’imparfaitement le contenu juridique du document 38 . Les deux principaux aspects retenus par Robert de Torigni et par l’auteur de la Gesta Stephani, et qui ne figurent 35 Rot Lit. Pat. (1214), p. 118. Dilectis et fidelibus suis G. de Neville senescallo Wasconie et majori et probis homines de Burgidal salutem. Sciatis quod Tisun de Valeis securitatem nobis prestiti sufficientem quod nullum nobis vel terre nostre malum inveniet vel jactura, occasione licencie quam ei dedimus de firmando castri Montis Ferrandi, unde vobis mandamus quod permittatis illud sine impedimento castri illud firmare nec aliquid ei super hoc gravamen inferatis vel injuriam. Et in huius rei testimonium etc. T. ut supra. 36 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52; EALES, R., « Castles and politics in England 1215-1224 », dans Anglo-Norman Castles, 2003, p. 367- 388. 37 HOLT, J. C., « 1153: the treaty of Winchester », dans The Anarchy of King Stephen’s Reign, 1994, p. 291-316 cite MILSOM, S. F. C., Legal Framework of English Feudalism, 1976; PALMER, R. C., « The Economic and Cultural Impact of the Origin of Property: 1180- 1220 », Law and History Review, 3 (1985), p. 1-50 voir aussi HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52. 38 HOLT, J. C., « 1153: the treaty of Winchester », dans The Anarchy of King Stephen’s Reign, 1994, p. 291-316, Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, n° 272; Foedera, I, 1, p. 18. 133
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protection de l’Église, pour justifier la répression du seigneur insoumis, montre que la<br />
destruction de châteaux était alors un instrument essentiel de l’affirmation de la<br />
puissance publique, même si elle était, en réalité, plutôt symptomatique d’une certaine<br />
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contrôle des châteaux, de leur construction et de leur fortification constituait donc un<br />
champ de rapport de forces dans lequel était en jeu le renforcement de la potestas<br />
publica du prince.<br />
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir la résurgence des licences royales<br />
de fortification. Si l’attribution des licences ne constituait plus un droit régalien au XI e<br />
siècle, elle restait étroitement contrôlée par les princes territoriaux – davantage en<br />
Normandie et en Anjou qu’en Aquitaine 32 . En tant que documents normatifs, ces<br />
licences ne sont pas attestées avant le règne de Jean. Cependant, l’absence de leur<br />
conservation ne signifie pas nécessairement leur inexistence : il est en effet possible que<br />
de tels documents aient été produits dès le règne d’Henri II et peut être même d’Étienne<br />
de Blois. John H. Round a en effet montré, dans son étude sur Ge<strong>of</strong>froy de Mandeville,<br />
qu’aucun château ne pouvait être construit légalement sans autorisation royale 33 . La<br />
fonction des licences ne consistait cependant pas seulement à contrôler et à sanctionner<br />
les « dangereux châteaux privés » mais visait aussi à renforcer la loyauté des vassaux<br />
envers leur souverain et à établir des conventions de construction investissant les élites<br />
d’une responsabilité sociale 34 . Ainsi, il n’est pas étonnant de voir l’attribution de<br />
licences aux seigneurs du Périgord, pourtant réputé pour leur infidélité, notamment<br />
après l’échec de Jean en Poitou en 1214.<br />
31 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />
Central Middle Ages, 2003, p.121 ; Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis<br />
Stephani ac Mathildis Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968,<br />
n° 19 : Noverint presentes et futuri quod propter infidelitatem et intolerabilem sevitiam Giraldi Berlai,<br />
qua ipse super omnes ecclesias sue potestatis et earum possessiones crudeliter exagitabat, castrum<br />
Mosterioli gratia dei pereuntem obsedi, magnisque expensis et permaximis diuturnisque laboribus<br />
predicti castrum menia destruxit, turrem et universa edificia totius castri penitus eradicaveri…<br />
32 BACHRACH, B. S., « The angevine economy, 960-1060: ancient or feudal? », dans State-building in<br />
medieval France : studies in early Angevin history, 1995, p. 3-55; DEBORD, A., La société laïque dans<br />
les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984.<br />
33 ROUND, J. H., Ge<strong>of</strong>frey de Mandeville. A study <strong>of</strong> the Anarchy, 1972 [1892].<br />
34 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />
Central Middle Ages, 2003, p. 96.<br />
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