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du XII e siècle, car l’imperium n’est pas seulement une autorité capable de superposer au dominium, en tant que domination s’exerçant à la fois sur les hommes et sur les terres. En relatant la réaction des barons écossais lors de la soumission de Guillaume le Lion à Henri II en 1175, Roger de Hoveden montre que ces deux formes de pouvoir se sont pas seulement deux niveaux de hiérarchie différents mais des formes de domination qui peuvent entrer en conflit : Ils supplièrent le roi d’Angleterre et lui offrirent de nombreux présents parce qu’il les déliait du dominium du roi d’Écosse pour les soumettent à son imperium 330 . L’autorité des Plantagenêt sur ces marges celtiques s’accentua, en effet, en même temps que sur l’ensemble des territoires de l’empire. Lorsqu’il relate la reprise en main d’Henri II lors du concile de Windsor en 1176, Radulf de Diceto montre alors toute la puissance territoriale que contient le vocable d’imperium à cette date. Tous les châteaux d’Angleterre et de toutes les marches furent placés sous la garde et dans l’imperium du vieux roi 331 . Dans tous ces exemples, l’imperium est étroitement lié à la conquête aussi bien qu’à la reconquête. Il n’est donc pas impossible que la résurgence du vocable d’imperium dans le vocabulaire politique du XII e siècle ait tiré profit de l’annexion des espaces marginaux de la Chrétienté, en particulier ceux qui avaient échappé à l’orbite carolingienne. En Espagne, par exemple, Alphonse VI, après s’être emparé en 1085 de Tolède, ancienne capitale des rois Wisigoths, avait donné un nouvel éclat au titre de totius Hispania imperator, qui avait été porté par son père Ferdinand I er (1037-1065), après avoir réuni sous son autorité la Navarre, le Léon et la Castille 332 . En Angleterre, la constitution d’un orbis britannicus, aurait pu réactiver titre anglo-saxon du bretwalda, associé à l’histoire de l’unification des royaumes anglo-saxons au X e siècle, tombé en désuétude après les invasions danoises 333 . L’empire d’Henri II n’était cependant pas totalement distinct de l’orbis romanus, dont il héritait largement des valeurs et des traditions politiques. Or à cette date, celles-ci sont en profondes mutations comme en 330 HOVEDEN, II, p. 63: Regi vero Angliae patri plurimum supplicaverunt et dona plurima obtulerunt, ut ispe eos a dominio regis Scotiae eriperet, et suo subjugaret imperio. 331 DICETO t. I, p. 414: Universa castella per Angliam et per marchiam totam ad imperium Regis patris deputata sunt custodiae. 332 FOLZ, R., L'idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, 1953, p.51. 64-69, MULDOON, J., Empire and order : the concept of empire, 800-1800, 1999, p. 56-58. 333 WORMALD, P. C., « Bede, the Bretwaldas and the Origins of the Gens Anglorum », dans Ideal and reality in Frankish and Anglo-Saxon society studies presented to J. M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 99-129. 104

témoignent précisement les luttes entre papes et empereurs pour imposer leur définition de ce que signifie la détention d’un imperium. Face à la théorie de la translatio imperii, élaborée par les canonistes, qui donnait à l’imperium le sens d’un office que la « donation de Constantin » faisait relever exclusivement de l’autorité pontificale, les juristes impériaux proclament, lors de la diète de Roncaglia (1158), la juridiction universelle de l’empereur sans référence à la Chrétienté 334 . En tant que maître du monde (dominus mundi), l’empereur était désormais amené à exercer une domination territoriale. Cette redéfinition de la nature de l’empire, ancrée territorialement, s’accentua encore lorsque Frédéric Barberousse identifia l’Empire au Sacrum Romanum Imperium, dont le caractère désormais « sacré » visait à disputer les prétentions de l’Église. Cependant, cette conception qui limitait de fait l’Empire aux territoires gouvernés par le monarque allemand, tout en revendiquant une supériorité « impériale » sur les monarques européens, ne parvient pas à s’imposer 335 . L’émergence nouvelles acceptions sont en effet venues concurrencer ces deux conceptions rivales. La revendication concurrentielle d’un imperium entre Henri II et Louis VII est visible dès les années 1150. En 1155, Louis VII, qui revient d’un séjour en Espagne, émet une charte dans laquelle il affirme sa supériorité en adoptant le même titre impérial que venait de s’attribuer Alphonse VII de Castille. Selon Elisabeth R. Brown, cette titulature visait peut-être à rivaliser avec les prétentions affichées par Henri II qui dans une charte datée de 1152, peu après son mariage avec Aliénor se déclarait à la tête de « l’empire des Poitevins et des Angevins » 336 . Quelques années plus tard, en 1165, Étienne de Tournai, qui cherche à heurter les prétentions impériales pour détenir le monopole de la puissance légiférante, théorise ce qui n’était jusqu’alors des pratiques de langages et reconnaît aux rois la capacité à être empereurs en leurs royaumes. Le canoniste donne ainsi à l’imperium un sens qui le confond avec la notion de souveraineté 337 . La redéfinition « canonique » de l’imperium 334 MULDOON, J., Empire and order : the concept of empire, 800-1800, 1999, p. 40. 335 MONNET, P., « Le Saint Empire entre regnum et imperium », dans Les empire. Antiquité et Moyen Âge analyse comparée, 2008, p. 155-180. 336 BROWN, E. A. R., « Eleanor of Aquitaine reconsidered: the woman and her seasons », dans Eleanor of Aquitaine : lord and lady, 2002, p. 1-54 cite BNF MS lat. 5480 (copies du cartulaire de Fontevraud par Roger de Gaignières), p. 486: Anno ab Incarnatione domini M.C.L.II. Regnante Lodovico Rege francorum Gisleberto pictavorum Episcopo et Henrico pictavorum et andegavorum Imperium gubernante. Une charte que Léopold Delisle considère néanmoins comme « très curieuse », voir : Recueil des actes d’Henri II , I, p. 31-32, XXIV, (n°22) : Henrico Pictavorum et Andegavorum imperium gubernante. 337 KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, 1993, p.70- 71, cite MOCHI, O. S., Fonti canonistiche dell'idea moderna dello Stato imperium spirituale, iurisdictio 105

du XII e siècle, car l’imperium n’est pas seulement une autorité capable de superposer au<br />

dominium, en tant que domination s’exerçant à la fois sur les hommes et sur les terres.<br />

En relatant la réaction des barons écossais lors de la soumission de Guillaume le Lion à<br />

Henri II en 1175, Roger de Hoveden montre que ces deux formes de pouvoir se sont pas<br />

seulement deux niveaux de hiérarchie différents mais des formes de domination qui<br />

peuvent entrer en conflit :<br />

Ils supplièrent le roi d’Angleterre et lui <strong>of</strong>frirent de nombreux<br />

présents parce qu’il les déliait du dominium du roi d’Écosse pour les<br />

soumettent à son imperium 330 .<br />

L’autorité des Plantagenêt sur ces marges celtiques s’accentua, en effet, en<br />

même temps que sur l’ensemble des territoires de l’empire. Lorsqu’il relate la reprise en<br />

main d’Henri II lors du concile de Windsor en 1176, Radulf de Diceto montre alors<br />

toute la puissance territoriale que contient le vocable d’imperium à cette date.<br />

Tous les châteaux d’Angleterre et de toutes les marches furent placés<br />

sous la garde et dans l’imperium du vieux roi 331 .<br />

Dans tous ces exemples, l’imperium est étroitement lié à la conquête aussi bien<br />

qu’à la reconquête. Il n’est donc pas impossible que la résurgence du vocable<br />

d’imperium dans le vocabulaire politique du XII e siècle ait tiré pr<strong>of</strong>it de l’annexion des<br />

espaces marginaux de la Chrétienté, en particulier ceux qui avaient échappé à l’orbite<br />

carolingienne. En Espagne, par exemple, Alphonse VI, après s’être emparé en 1085 de<br />

Tolède, ancienne capitale des rois Wisigoths, avait donné un nouvel éclat au titre de<br />

totius Hispania imperator, qui avait été porté par son père Ferdinand I er (1037-1065),<br />

après avoir réuni sous son autorité la Navarre, le Léon et la Castille 332 . En Angleterre, la<br />

constitution d’un orbis britannicus, aurait pu réactiver titre anglo-saxon du bretwalda,<br />

associé à l’histoire de l’unification des royaumes anglo-saxons au X e siècle, tombé en<br />

désuétude après les invasions danoises 333 . L’empire d’Henri II n’était cependant pas<br />

totalement distinct de l’orbis romanus, dont il héritait largement des valeurs et des<br />

traditions politiques. Or à cette date, celles-ci sont en pr<strong>of</strong>ondes mutations comme en<br />

330<br />

HOVEDEN, II, p. 63: Regi vero Angliae patri plurimum supplicaverunt et dona plurima obtulerunt, ut<br />

ispe eos a dominio regis Scotiae eriperet, et suo subjugaret imperio.<br />

331<br />

DICETO t. I, p. 414: Universa castella per Angliam et per marchiam totam ad imperium Regis patris<br />

deputata sunt custodiae.<br />

332<br />

FOLZ, R., L'idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, 1953, p.51. 64-69, MULDOON, J.,<br />

Empire and order : the concept <strong>of</strong> empire, 800-1800, 1999, p. 56-58.<br />

333<br />

WORMALD, P. C., « Bede, the Bretwaldas and the Origins <strong>of</strong> the Gens Anglorum », dans Ideal and<br />

reality in Frankish and Anglo-Saxon society studies presented to J. M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 99-129.<br />

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