Le Loup-garou dans la Littérature contemporaine - Publibook
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Aude Ronvel<br />
<strong>Le</strong> <strong>Loup</strong>-<strong>garou</strong><br />
<strong>dans</strong> <strong>la</strong> <strong>Littérature</strong> <strong>contemporaine</strong><br />
De l’Imaginaire fictionnel aux mises en scène sociales<br />
Cycle of the Werewolf, Stephen King<br />
<strong>Le</strong> Livre sacré du loup-<strong>garou</strong>, Viktor Pelevine<br />
L’Homme à l’envers, Fred Vargas<br />
<strong>Publibook</strong>
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Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux Éditions <strong>Publibook</strong> en 2011
Remerciements<br />
Je tiens à remercier mon directeur de recherches Bertrand Westphal pour<br />
ses indications bibliographiques éc<strong>la</strong>irantes et formatrices et, surtout, pour<br />
son esprit ouvert et cette culture livresque inextinguible sans cesse offerte en<br />
partage.<br />
Mes remerciements s’adressent également à Antoine Chalvin, enseignant<br />
à l’Institut National des Langues Orientales, pour ses précieux conseils et sa<br />
disponibilité électronique, ainsi qu’à <strong>la</strong> talentueuse infographiste Shannon<br />
Hourigan pour sa générosité et sa spontanéité.<br />
Je remercie Charlène, pour son amitié chaleureuse et sa bonne humeur au<br />
quotidien.<br />
Je remercie Mehdi, pour sa grande culture cinématographique.<br />
Enfin, je remercie mes parents, présents et aimants tout au long de cette<br />
année.<br />
Je dédie ce mémoire à ma sœur Marie, qui m’a soutenue au-delà de<br />
l’absence et de <strong>la</strong> distance.
Sommaire<br />
Introduction .....................................................................................................................11<br />
1. Une approche ontologique du personnage du loup-<strong>garou</strong>..........................................21<br />
1.1. <strong>Loup</strong>s-<strong>garou</strong>s et autres créatures fantastiques...........................................................25<br />
1.2. Portraits des avatars lycanthropiques........................................................................39<br />
1.3. Ancrage spatio-temporel du loup-<strong>garou</strong> ...................................................................53<br />
2. <strong>Le</strong> <strong>Loup</strong>-<strong>garou</strong>, incarnation de <strong>la</strong> Dualité humaine....................................................71<br />
2.1. L’Expression de <strong>la</strong> bestialité.....................................................................................75<br />
2.2. L’Hybridisme lycanthropique...................................................................................91<br />
2.3. <strong>Le</strong> Flottement axiologique......................................................................................103<br />
2.4. <strong>Le</strong> Motif psychiatrique du double...........................................................................119<br />
3. <strong>Le</strong> Lycanthrope comme projection d’une société en quête d’elle-même.................135<br />
3.1. <strong>Le</strong> <strong>Loup</strong>-<strong>garou</strong>, figure paradoxale de <strong>la</strong> quête de civilisation.................................139<br />
3.2. Un personnage excentrique et rédempteur..............................................................155<br />
3.3. Vers une réhabilitation du loup-<strong>garou</strong> ? .................................................................171<br />
Conclusion.....................................................................................................................185<br />
Bibliographie sélective ..................................................................................................193<br />
9
Introduction<br />
[…] <strong>la</strong> persona est le masque social, qui relie l’individu au monde<br />
extérieur. Son envers est l’ombre, désignation de notre part obscure,<br />
constituée de toutes nos pulsions asociales ; l’anima est <strong>la</strong> face féminine<br />
refoulée de l’homme […] 1<br />
<strong>Le</strong> nom féminin « métamorphose » désigne un changement complet <strong>dans</strong><br />
l’allure, le caractère et l’état d’un être ou <strong>la</strong> transformation importante et<br />
brutale subie par certains animaux au cours de leur développement, en embryologie.<br />
D’après sa définition mythologique, <strong>la</strong> métamorphose dépeint le<br />
changement, opéré par les dieux, d’une forme en une autre. À l’entrée « Lycanthropie<br />
» <strong>dans</strong> le Dictionnaire des mythes du fantastique, <strong>la</strong><br />
métamorphose est « un changement ontologique chez celui qui en est victime<br />
ou en bénéficie », « un état permanent et irréversible. » 2 Pourtant, le<br />
loup-<strong>garou</strong> est l’objet d’une métamorphose incomplète, inachevée du corps,<br />
reposant sur une hybridité persistante. Alors que <strong>la</strong> métamorphose procède<br />
d’une mutation morphologique de <strong>la</strong> matière, son quasi paronyme « métaphore<br />
» s’appuie sur un transfert de sens. La métamorphose et <strong>la</strong> métaphore<br />
facilitent conjointement un dépassement de <strong>la</strong> condition humaine pour atteindre<br />
un état animal. Aussi, le loup-<strong>garou</strong> est-il <strong>la</strong> métaphore de l’instinct<br />
animal et de l’agressivité humaine, déchiré entre le besoin primitif<br />
d’extérioriser ses pulsions individuelles et <strong>la</strong> nécessité de revêtir un habit<br />
social afin de se fondre <strong>dans</strong> <strong>la</strong> société. La signification du loup-<strong>garou</strong> est<br />
double et se joue <strong>dans</strong> l’écho synonymique entre deux appel<strong>la</strong>tions. <strong>Le</strong> nom<br />
masculin « loup-<strong>garou</strong> » renvoie à un homme malveil<strong>la</strong>nt ou, avec davantage<br />
d’exactitude, un sorcier, ayant l’allure d’un loup les nuits de nouvelle<br />
ou de pleine lune et recouvrant son aspect humain dès les premières lueurs<br />
de l’aube. <strong>Le</strong> terme « lycanthrope », qui provient du grec lukos, « loup », et<br />
anthrôpos, « homme », puise également à <strong>la</strong> source antique de <strong>la</strong> mythologie<br />
romaine avec Lycaon (ou Lykaon), roi d’Arcadie. Dans quelques lignes des<br />
1<br />
Pierre G<strong>la</strong>udes, Yves Reuter, <strong>Le</strong> Personnage, Paris, Presses Universitaires de France (coll.<br />
Que sais-je ?), 1998, p. 75-76.<br />
2<br />
Arnaud Pirou, « Lycanthropie », in Pierre Brunel, Juliette Vion-Dury (dir.), Dictionnaire<br />
des mythes du fantastique, Limoges, Pulim, 2003, p. 195.<br />
11
Métamorphoses (1 après Jésus-Christ) du poète <strong>la</strong>tin Ovide 3 , Jupiter change<br />
effectivement l’orgueilleux tyran d’Arcadie en un loup archétypique des<br />
légendes lupines pérennes, et impose une lecture chromatique de <strong>la</strong> Bête<br />
« muette et rugissante » 4 qui s’amuït et dont <strong>la</strong> seule oralité s’exprime au<br />
travers d’un goût sanguinaire.<br />
Aujourd’hui, Lycaon a cédé son nom à un mammifère africain connu<br />
pour ses chasses nocturnes, sa faim carnivore en faisant un prédateur redouté<br />
et l’une de ces exceptions <strong>dans</strong> le règne animal tuant pour le p<strong>la</strong>isir ; le<br />
métissage de cet homonyme hybride affleure à <strong>la</strong> surface de sa fourrure bigarrée<br />
(fauve, noire et b<strong>la</strong>nche) et <strong>dans</strong> l’appel<strong>la</strong>tion « cynhyène » mettant<br />
en avant le croisement entre chien et hyène. Cette hybridation ou double<br />
nature est effectivement <strong>la</strong> caractéristique dominante du loup-<strong>garou</strong>, qui<br />
hésite entre deux corps, oscille en un va-et-vient constant d’animalité à humanité.<br />
Au XVI e siècle, Hendrick Goltzius 5 gravait ainsi <strong>la</strong> p<strong>la</strong>stique d’un<br />
homme à tête de loup.<br />
Par ailleurs, Ovide invoque également le renard de Thèbes 6 , un animal<br />
féroce changé en marbre par le divin Jupiter après s’être attaqué au bétail<br />
avec une violence et des effusions sanguines comparables aux exactions de<br />
<strong>la</strong> Bête du Gévaudan, comté français ensang<strong>la</strong>nté à partir de 1764. En outre,<br />
<strong>dans</strong> le roman Satiricon (I er siècle apr. J.-C.) de Pétrone 7 , l’« Histoire du<br />
loup-<strong>garou</strong> » re<strong>la</strong>te <strong>la</strong> métamorphose graduelle d’un hôte soldat en loup :<br />
celui-ci commence par enlever sa tenue, <strong>la</strong> dispose en un paquet se pétrifiant<br />
– à <strong>la</strong> manière de <strong>la</strong> mutation marmoréenne du renard de Thèbes –, urine<br />
tout autour, comparable au chien marquant son territoire, et s’en va courir<br />
les bois. <strong>Le</strong> rôle du vêtement <strong>dans</strong> <strong>la</strong> légende lycanthropique recoupe ici <strong>la</strong><br />
dénomination du loup-<strong>garou</strong> en <strong>la</strong>tin c<strong>la</strong>ssique : versipellis, versipellem ou<br />
« celui qui change de peau ». Qui plus est, le vocable « lycanthrope » est<br />
agrémenté d’une sémantique clinique : <strong>dans</strong> le Dictionnaire de <strong>la</strong> Langue<br />
3<br />
Ovide, « Lycaon », in Metamorphoses, Paris, Gallimard (coll. Folio c<strong>la</strong>ssique), 2006,<br />
traduction de Georges Lafaye, p. 48. Lycaon, le roi d’Arcadie (région de <strong>la</strong> Grèce ancienne<br />
sise au centre de <strong>la</strong> presqu’île méridionale du Péloponnèse), défie Jupiter, le maître des<br />
dieux, apparu sous l’allure d’un homme misérable à son banquet, en lui servant de <strong>la</strong> chair<br />
humaine rôtie, fruit du sacrifice d’un otage offert par les Molosses (ancien peuple de<br />
l’Épire, évoquant les mythes anciens des monstres cynocéphales à tête de chien et au corps<br />
d’homme).<br />
4<br />
Denis Duclos, <strong>Le</strong> Complexe du loup-<strong>garou</strong>. La Fascination de <strong>la</strong> violence <strong>dans</strong> <strong>la</strong> culture<br />
américaine, Paris, La Découverte, 2005, p. 70.<br />
5<br />
Hendrick Goltzius, Lycaon changé en loup par Jupiter, 1589, gravure, Bibliothèque nationale,<br />
Paris.<br />
6<br />
Ovide, « Céphale et Procris » in Metamorphoses, opus citatum, p. 247-248.<br />
7<br />
Pétrone, « Histoire du loup-<strong>garou</strong> », in A<strong>la</strong>in Pozzuoli (dir.), <strong>Le</strong>s Morsures du loup-<strong>garou</strong>,<br />
Paris, <strong>Le</strong>s Belles <strong>Le</strong>ttres, 2004, traduction d’Olivier Sers, p. 7-8.<br />
12
française, <strong>la</strong> lycanthropie désigne une « espèce de ma<strong>la</strong>die mentale <strong>dans</strong><br />
<strong>la</strong>quelle le ma<strong>la</strong>de s’imagine être changé en loup » 8 . Grâce à l’apport de <strong>la</strong><br />
connaissance scientifique et selon une innutrition de l’irréel vers le réel, le<br />
loup-<strong>garou</strong> n’a plus été seulement perçu au travers du filtre de <strong>la</strong> fiction et<br />
est devenu un cas pathologique, psychiatrique. Là où <strong>la</strong> tuberculose et <strong>la</strong><br />
porphyrie – qui se manifeste par <strong>la</strong> pâleur, <strong>la</strong> teinte rouge des ongles et des<br />
dents, notamment proéminentes – confirmaient le ma<strong>la</strong>de en vampire cracheur<br />
de sang ; <strong>la</strong> rage transmise par les loups et les renards, et <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die<br />
génétique de l’hypertrichose, symptomatique d’une hyperpilosité,<br />
l’apparentaient à un loup-<strong>garou</strong>. L’hypertrichose croquait alors le portrait de<br />
« l’Homme poilu » 9 ou l’homme-loup de Bavière, Petrus Gonsalvus<br />
(XVI e siècle).<br />
<strong>Le</strong> roman épisto<strong>la</strong>ire Dracu<strong>la</strong> (1897) de l’Ir<strong>la</strong>ndais Bram Stoker inaugurait<br />
le profil vampirique et, le célèbre comte buveur de sang rece<strong>la</strong>nt luimême<br />
certains attraits lupins, faisait concurremment allusion au loup-<strong>garou</strong> :<br />
Here, in the whirlpool of European races, the Ugric tribe bore down<br />
from Ice<strong>la</strong>nd the fighting spirit which Thor and Wodin gave them,<br />
which their Berserkers disp<strong>la</strong>yed to such fell intent on the seaboards of<br />
Europe, ay, and of Asia and Africa too, till the peoples thought that<br />
the were-wolves themselves had come. 10<br />
Cependant, en dépit des métamorphoses ovidiennes et du roman de Pétrone,<br />
et bien que (re)découverte grâce à des œuvres telles que le conte<br />
« Hugues le <strong>Loup</strong> » (1866) d’Émile Erckmann et Alexandre Chatrian 11 ou<br />
encore le roman Un roi sans divertissement (1947) de Jean Giono, à un degré<br />
plus allégorique, <strong>la</strong> naissance littéraire du loup-<strong>garou</strong> n’est pas aussi<br />
évidente que celle de son frère fictionnel. L’absence d’une autorité théorique<br />
faisant acte de foi sur le sujet lycanthropique, est confortée par l’étude<br />
8<br />
Émile Littré, Dictionnaire de <strong>la</strong> Langue française, cité in Ro<strong>la</strong>nd Villeneuve, <strong>Loup</strong>s<strong>garou</strong>s<br />
et vampires, Paris, J’ai Lu (coll. L’aventure mystérieuse), 1970, p. 5.<br />
9<br />
Jean-Marc Landry, <strong>Le</strong> <strong>Loup</strong>, Paris, De<strong>la</strong>chaux et Niestlé (coll. <strong>Le</strong>s sentiers du naturaliste),<br />
2006, p. 215.<br />
10<br />
Bram Stoker, The New Annotated Dracu<strong>la</strong>, New York, <strong>Le</strong>slie S. Klinger, 2008, p. 67,<br />
« Ici, <strong>dans</strong> ce tourbillon de races européennes, les tribus engriennes ont apporté, de leur<br />
Is<strong>la</strong>nde natale, l’esprit belliqueux que leur avaient versé Thor et Odin et que les Berserks<br />
manifestaient <strong>dans</strong> leurs incursions sur les rivages d’Europe (voire même d’Asie ou<br />
d’Afrique) à un point tel que les peuples victimes juraient avoir été assaillis par des loups<br />
furieux », in Dracu<strong>la</strong>, Paris, Omnibus, 1997, traduction de Jacques Finné, p. 151-152.<br />
11<br />
Erckmann-Chatrian, « Hugues le <strong>Loup</strong> », in Contes III, disponible sur<br />
(consulté le<br />
06.05.2010).<br />
13
comparatiste des deux monstres <strong>dans</strong> les ouvrages mentionnant <strong>la</strong> parenté<br />
entre le loup-<strong>garou</strong> et <strong>la</strong> goule : « He [the werewolf] belonged to a bad<br />
breed, and we are quite content to be freed from him and his kindred, the<br />
vampire and the ghoul. » 12 Pareillement, et <strong>dans</strong> un autre champ textuel, le<br />
loup-<strong>garou</strong> paraît par métonymie <strong>dans</strong> <strong>la</strong> littérature actuelle consacrée aux<br />
lémures, sous l’apparence d’un loup formidable :<br />
I stared at the monstrous creature, my mind boggling as I tried to<br />
put a name to it. There was a distinctly canine cast to the shape of it,<br />
the way it moved. I could only think of one possibility, locked in horror<br />
as I was. Yet I’d never imagined that a wolf could get so big. 13<br />
La contemporanéité du mythe lycanthropique se projette également sur<br />
grand écran, ainsi que le souligne le film The Wolf Man de Joe Johnston –<br />
remake du long-métrage éponyme (1941) de George Waggner – sorti <strong>dans</strong><br />
les salles françaises le 10 février 2010. <strong>Le</strong> support cinématographique témoigne<br />
alors d’une certaine transmédialité du protagoniste lycanthrope,<br />
transgressant les c<strong>la</strong>sses culturelles et sociales, à l’image du picaro littéraire.<br />
Aussi, <strong>la</strong> carence d’une instance livresque qui fasse autorité est-elle étouffée<br />
par <strong>la</strong> diversité culturelle et géographique du loup-<strong>garou</strong> : chaque civilisation,<br />
chaque pays a son <strong>garou</strong> spécifique attaché sous <strong>la</strong> forme d’un écotype<br />
à <strong>la</strong> nature locale ; chaque créateur artistique s’approprie <strong>la</strong> créature et forge<br />
sa propre sève mythique perpétuellement renouvelée. De fait, le loup-<strong>garou</strong><br />
ne se transforme plus uniquement en loup, mais en toute autre espèce du<br />
monde animal ; il ne s’agit plus de lycanthropie mais de zoanthropie, de<br />
« théranthropes » 14 ou de « théromorphes » 15 . Ro<strong>la</strong>nd Villeneuve cite identiquement<br />
le <strong>garou</strong> <strong>dans</strong> sa multiplicité et p<strong>la</strong>ce sous l’égide de <strong>la</strong><br />
12<br />
Sabine Baring-Gould, The Book of werewolves, New York, Dover Publications, Inc.,<br />
2006, p. 3. Nous traduisons : « Il [le loup-<strong>garou</strong>] appartient à un élevage maléfique, et nous<br />
devons nous réjouir d’en être libérés, de lui comme de ses proches parents, le vampire et <strong>la</strong><br />
goule. »<br />
13<br />
Stephenie Meyer, New moon, London, Atom, 2007, p. 243, « Figée par l’horreur,<br />
j’observai le phénomène, me creusant <strong>la</strong> cervelle pour tenter de définir sa nature. Son apparence<br />
et sa démarche évoquaient indubitablement des origines canines. Malgré moi, je<br />
n’envisageai qu’une possibilité. Je n’aurais jamais cru qu’un loup puisse être aussi grand. »,<br />
in Tentation, Paris, Hachette Livre (coll. B<strong>la</strong>ck moon), 2008, traduit de l’ang<strong>la</strong>is (États-<br />
Unis) par Luc Rigoureau, p. 255.<br />
14<br />
Jean-Loïc <strong>Le</strong> Quellec, « Ni hommes, ni animaux : les théranthropes », in Jean-Pierre<br />
Pou<strong>la</strong>in (dir.), L’Homme, le mangeur et l’animal. Qui nourrit l’autre ?, Paris, Cahiers de<br />
l’Ocha n°12, 2007, p. 58.<br />
15<br />
Giorgio Agamben, L’Aperto. L’Uomo e l’animale, Paris, Payot & Rivages, 2002, traduit<br />
de l’italien par Joël Gayraud, p. 9.<br />
14
lycanthropie L’Âne d’or d’Apulée – un être humain changé en âne recouvre<br />
son aspect humanoïde en dévorant des roses –, <strong>la</strong> « bousanthropie » 16 voire<br />
le Minotaure mythologique. Ce<strong>la</strong> renvoie au dialogue Minotaure.com. <strong>Le</strong><br />
Heaume d’horreur de Viktor Pelevine 17 , qui aborde <strong>la</strong> figure d’Astérios,<br />
hybride à mi-chemin entre l’homme et le taureau.<br />
<strong>Le</strong> contexte disciplinaire de cette étude évolue parallèlement <strong>dans</strong> le<br />
champ de <strong>la</strong> littérature comparée, en se concentrant sur le personnage fictionnel<br />
du loup-<strong>garou</strong> <strong>dans</strong> une trilogie de romans étrangers, et peut<br />
rejoindre une théorie de <strong>la</strong> sociologie en ouvrant l’optique analytique aux<br />
interrogations sociales qu’engendre <strong>la</strong> légende lycanthropique. <strong>Le</strong> loup<strong>garou</strong><br />
littéraire, jailli du genre fantastique, met l’accent sur les artefacts humains<br />
; <strong>la</strong> dualité du protagoniste introduit une réflexion sur sa p<strong>la</strong>ce <strong>dans</strong> <strong>la</strong><br />
fiction et <strong>dans</strong> <strong>la</strong> réalité. Cette même nature duelle du personnage pose <strong>la</strong><br />
question de <strong>la</strong> terminologie usitée, double par essence à l’instar du dédoublement<br />
de personnalité qui détermine le lycanthrope : le mot « loup-<strong>garou</strong> »<br />
fera allusion à l’animal fabuleux, pendant que « lycanthrope » sera favorisé<br />
pour sa forme adjectivale et synonymique ou au regard des problématiques<br />
médicales et sociales abordées. De même, « <strong>garou</strong>age » fera référence à<br />
l’hybridité lupine, tandis que les noms féminins « lycaonie » et « lycanthropie<br />
» seront utilisés pour leur sens plus psychiatrique.<br />
<strong>Le</strong>s œuvres romanesques choisies afin de composer le corpus de ce mémoire<br />
confrontent trois espaces géographiques (États-Unis, France, Russie)<br />
et trois sphères culturelles suivant le thème animalier commun du loup<strong>garou</strong>.<br />
Dans l’ordre chronologique, les trois romans sont Cycle of the Werewolf<br />
(1983) de Stephen King 18 , L’Homme à l’envers (1999) de Fred<br />
Vargas 19 et <strong>Le</strong> Livre sacré du loup-<strong>garou</strong> (2004) de Viktor Pelevine 20 .<br />
En empruntant les mots de Marc Esco<strong>la</strong> 21 , ayant lui-même repris ceux<br />
d’Umberto Eco et l’adage « lupus est in fabu<strong>la</strong> », alors assimilé à<br />
l’omniprésence du loup <strong>dans</strong> les fables de Jean de La Fontaine, le loup<strong>garou</strong><br />
est <strong>dans</strong> <strong>la</strong> diégèse. Ce faisant, le romancier états-unien plonge<br />
d’abord sa plume <strong>dans</strong> le réel quotidien, et situe son récit à une époque précisément<br />
indiquée – <strong>la</strong> datation diégétique se confondant avec <strong>la</strong> date de<br />
16 Ro<strong>la</strong>nd Villeneuve, <strong>Loup</strong>s-<strong>garou</strong>s et vampires, op. cit., p. 5.<br />
17 Viktor Pelevine, The Helmet of horror [Minotaure.com. <strong>Le</strong> Heaume d’horreur], Paris,<br />
F<strong>la</strong>mmarion, 2005, traduit du russe par Galia Ackerman et Paul <strong>Le</strong>quesne, p. 31.<br />
18 Stephen King, Cycle of the Werewolf, New York, New American Library, 1985, La Nuit<br />
du loup-<strong>garou</strong>, Paris, J’ai lu, 2005, traduit de l’américain par François Lasquin.<br />
19 Fred Vargas, L’Homme à l’envers, Paris, J’ai lu, 2002.<br />
20 Viktor Pelevine, Священная книга оборотня [<strong>Le</strong> Livre sacré du loup-<strong>garou</strong>], Paris,<br />
Denoël, 2009, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain.<br />
21 Marc Esco<strong>la</strong>, Lupus in fabu<strong>la</strong>. Six façons d’affabuler La Fontaine, Paris, Presses Universitaires<br />
de Vincennes (coll. L’imaginaire du texte), 2003, p. 27.<br />
15
parution du roman – et <strong>dans</strong> un endroit géographiquement localisable. Ce<strong>la</strong><br />
met en avant <strong>la</strong> tonalité esthétique réaliste du texte. Mais c’est <strong>dans</strong> cette<br />
existence concrète, <strong>dans</strong> ces lieux familiers et <strong>dans</strong> <strong>la</strong> Nouvelle-Angleterre<br />
qui le vit naître en 1947, que l’auteur fait intervenir le registre fantastique<br />
créance de peur. <strong>Le</strong>s motifs usités par Stephen King portent ainsi sur les<br />
fantômes, vampires et autres loups-<strong>garou</strong>s, tandis que le mal se cache sous<br />
les traits d’un chien salvateur 22 . Cycle of the Werewolf, plus précisément,<br />
semble traduire <strong>la</strong> dualité du loup-<strong>garou</strong> en dépendant concurremment des<br />
genres de <strong>la</strong> nouvelle et du roman. Effectivement, le livre est divisé en<br />
douze brèves re<strong>la</strong>tions, qui peuvent être comptées aussi bien comme les<br />
chapitres d’un roman que les nouvelles d’un recueil, en écho aux douze<br />
mois de l’année.<br />
Cycle of the Werewolf était antérieurement un projet de livre-calendrier ;<br />
son titre est marqué par le passage des mois et des saisons, qui remémore <strong>la</strong><br />
circu<strong>la</strong>rité du temps et le concept d’éternel recommencement : d’après les<br />
Stoïciens et le philosophe allemand Friedrich Nietzsche, <strong>la</strong> cosmologie de<br />
l’Éternel retour opère une redondance cyclique des événements. Dans<br />
l’œuvre, Stephen King associe les dates symboliques de l’année et les lunaisons<br />
aux attaques répétées du loup-<strong>garou</strong>. <strong>Le</strong> développement romanesque<br />
procède <strong>dans</strong> l’huis clos de <strong>la</strong> communauté de Tarkers Mills et évolue au gré<br />
de l’enquête de Marty Cos<strong>la</strong>w, un garçon âgé de dix ans et handicapé moteur.<br />
La piste du loup-<strong>garou</strong> se révèle semée de corps décapités ou éventrés<br />
et se distend jusqu’à <strong>la</strong> reconnaissance libératrice du lycanthrope, se dérobant<br />
sous <strong>la</strong> robe de <strong>Le</strong>ster Lowe, pasteur baptiste de <strong>la</strong> commune. L’intérêt<br />
majeur de cet ouvrage réside en <strong>la</strong> figuration du loup-<strong>garou</strong> en tant que ministre<br />
de Dieu, et met en exergue un schéma manichéen faisant s’affronter<br />
l’incarnation infernale et l’individu pieu. À noter que ce roman apparaît aussi<br />
sous l’intitulé L’Année du loup-<strong>garou</strong> et a été cité par deux fois sous un<br />
titre erroné : <strong>Le</strong> Bruit du loup-<strong>garou</strong> 23 ou encore L’Amie du loup-<strong>garou</strong> 24 .<br />
<strong>Le</strong> livre a fait l’objet d’une adaptation filmique, Silver bullet (1985), réalisée<br />
par Daniel Attias 25 et scénarisée par Stephen King lui-même, et <strong>dans</strong><br />
<strong>la</strong>quelle les costumes lycanthropiques, confiés à Carlo Rambaldi, spécialiste<br />
des créatures mécaniques pour le cinéma, accordaient <strong>la</strong> primauté à<br />
22<br />
Stephen King, Cujo, Paris, <strong>Le</strong> Livre de Poche, 2006, roman traduit de l’ang<strong>la</strong>is (États-<br />
Unis) par Natalie Zimmermann.<br />
23<br />
Arnaud Pirou, « Lycanthropie », in Pierre Brunel, Juliette Vion-Dury (dir.), Dictionnaire<br />
des mythes du fantastique, op. cit., p. 201.<br />
24<br />
C<strong>la</strong>ude <strong>Le</strong>couteux (dir.), Elle courait le Garou. Lycanthropes, hommes-ours, hommestigres.<br />
Une anthologie, Paris, José Corti, 2008, p. 12.<br />
25<br />
Daniel Attias, Silver bullet, U.S.A., 2010, Studio Canal.<br />
16
l’envergure animale et à <strong>la</strong> pilosité fauve du loup géant, aux dépens de<br />
l’hybridation humaine.<br />
En outre, <strong>la</strong> construction du roman, reposant sur l’identification du protagoniste<br />
loup-<strong>garou</strong> parmi les autres personnages, coïncide avec celle du récit<br />
à énigme, registre auquel s’inscrit le roman policier que constitue <strong>la</strong><br />
deuxième œuvre du corpus. <strong>Le</strong> po<strong>la</strong>r est avant tout un roman à énigme, qui<br />
élucide, pénètre et perce des mystères. Ainsi, le genre policier cultive-t-il<br />
avec le registre fantastique un rapport ambigu. Louis Vax concevait « une<br />
affinité entre le criminel et le monstre fantastique » 26 ; mais distinguait pour<br />
autant le lectorat délicat, se délectant d’intrigues étranges, du public popu<strong>la</strong>ire<br />
des romans policiers. De son côté, Tzvetan Todorov 27 percevait le<br />
roman policier à énigme à <strong>la</strong> fois proche et éloigné du conte fantastique,<br />
ambivalence qui se fonde sur <strong>la</strong> proximité entre rationalité invraisemb<strong>la</strong>ble<br />
et surnaturel vraisemb<strong>la</strong>ble.<br />
De son côté, l’auteur parisien Fred Vargas (née en 1957 et fille de<br />
l’auteur surréaliste Philippe Audoin) parle de « rom’pols’», terme et genre<br />
dont elle est l’inventrice. Derrière le pseudonyme « Vargas », destiné aux<br />
publications de fiction à fonction d’évasion, officie une chercheuse en archéozoologie<br />
et en Histoire au Centre National de <strong>la</strong> Recherche<br />
Scientifique. Médiéviste de spécialité, elle a principalement écrit sur <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />
entre l’homme et l’animal au fil de l’Histoire et ses études récentes<br />
portent sur les ossements animaux au Moyen-Âge – rejoignant le recours à<br />
un crâne de loup arctique comme arme du crime <strong>dans</strong> L’Homme à l’envers.<br />
Parallèlement, le po<strong>la</strong>r s’attarde à relever des empreintes, des traces comme<br />
autant de p<strong>la</strong>ies affectives, sentimentales voire sociales, à sonder et à suturer.<br />
Par ailleurs, Fred Vargas éprouve également le double tempérament de<br />
l’individu au travers de son état gémel<strong>la</strong>ire, et partage son pseudonyme avec<br />
sa jumelle Joëlle, peintre de son état. Dans L’Homme à l’envers, l’écrivain<br />
particu<strong>la</strong>rise son loup-<strong>garou</strong> en reprenant l’élément antique du versipellis ou<br />
retournement de peau. Cette septième investigation du commissaire Jean-<br />
Baptiste Adamsberg actualise l’histoire de <strong>la</strong> Bête du Gévaudan en Lozère<br />
au XVIII e siècle, transposée <strong>dans</strong> le Mercantour de nos jours, au cœur du<br />
décor polémique de <strong>la</strong> réintroduction des loups en France. La Bête diabolique,<br />
l’ampleur duelle du lycanthrope et le profil du tueur méthodique se<br />
fondent en un seul et même personnage. Cependant, le roman s’inscrit <strong>dans</strong><br />
une profusion généralisée : l’animal loup se démultiplie en meute au profit<br />
d’une enquête éthologique, <strong>la</strong> dualité typique de l’homme-loup est honorée<br />
26<br />
Louis Vax, L’Art et <strong>la</strong> littérature fantastiques, Paris, Presses Universitaires de France<br />
(coll. Que sais-je ?), 1960, p. 12.<br />
27<br />
Tzvetan Todorov, Introduction à <strong>la</strong> <strong>Littérature</strong> fantastique, Paris, Seuil (coll. Points essais),<br />
1976, p. 55.<br />
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par un loup-<strong>garou</strong> dupliqué en deux protagonistes masculins, Auguste Massart<br />
– évanescent et hypothétique au fur et à mesure du roman, sa fonction<br />
liminaire demeure <strong>la</strong> sauvegarde du suspens à des fins diégétiques – et Lawrence<br />
Johnstone, et l’intériorité de certains personnages humains, qualifiés<br />
de « lunaires » <strong>dans</strong> un registre « nocturne » 28 , extériorise le loup-<strong>garou</strong> de<br />
chacun. La complexité de <strong>la</strong> diégèse, haletant au rythme de ce road movie<br />
littéraire, s’éc<strong>la</strong>ircit en tissant peu à peu <strong>la</strong> reconnaissance identitaire du<br />
lycanthrope assassin ; le meurtrier n’est pourtant pas une fin en soi.<br />
L’Homme à l’envers ne décrit pas concrètement un loup-<strong>garou</strong>, mais un<br />
homme détournant le mythe lycanthropique <strong>dans</strong> un but sang<strong>la</strong>nt : et <strong>la</strong> romancière<br />
d’appliquer à <strong>la</strong> lettre l’adage <strong>la</strong>tin « Homo homini lupus » du<br />
dramaturge P<strong>la</strong>ute 29 . Comme Cycle of the Werewolf de Stephen King, cette<br />
œuvre s’est vue portée sur le petit écran par <strong>la</strong> réalisatrice française Josée<br />
Dayan et diffusée le 4 novembre 2009.<br />
<strong>Le</strong> dernier ouvrage du corpus est <strong>la</strong> traduction inédite d’un roman de<br />
l’auteur russe considéré comme le principal porte-parole de <strong>la</strong> génération<br />
des romanciers post-soviétiques. Viktor Pelevine est né en 1962 à Moscou et<br />
y a poursuivi un cursus d’ingénieur en électromécanique au Moscow Power<br />
Engineering Institute (Московского Энергетического Института en<br />
russe), avant d’étudier <strong>la</strong> littérature. Son premier livre, La Vie des insectes,<br />
peuplé de créatures kafkaïennes, est édité en 1995. La prose composite de<br />
Viktor Pelevine, là où le fantastique et <strong>la</strong> science-fiction tendent un miroir<br />
satirique à <strong>la</strong> réalité sociétale, concède un squelette post-moderniste à ses<br />
œuvres, fragmentées par les allusions aux contre-cultures et au mysticisme<br />
extrême-oriental. <strong>Le</strong> <strong>la</strong>ngage narratif et le parcours des personnages invitent<br />
ainsi le lecteur à diffuser son propre sens entre les mailles du texte. <strong>Le</strong><br />
thème du loup-<strong>garou</strong> apparaît familier au romancier russe, ayant déjà publié<br />
<strong>la</strong> nouvelle « A werewolf problem in central Russia » 30 <strong>dans</strong> un recueil éponyme.<br />
<strong>Le</strong> Livre sacré du loup-<strong>garou</strong> est au nombre de ses quelques ouvrages<br />
28<br />
Disponible sur (consulté le<br />
03.05.2010).<br />
29<br />
Proverbe repris par le philosophe ang<strong>la</strong>is Thomas Hobbes, selon lequel l’être humain est<br />
motivé naturellement par <strong>la</strong> crainte et le désir : « L’œuvre de Hobbes est une tentative<br />
d’imaginer comment les lois de l’animalité humaine (« l’homme est un loup pour<br />
l’homme » rappelle-t-il) pourraient être utilisées contre elles-mêmes, leur énergie se trouvant<br />
captée par l’institution conventionnelle (le Léviathan). », in Denis Duclos, <strong>Le</strong><br />
Complexe du loup-<strong>garou</strong>. La Fascination de <strong>la</strong> violence <strong>dans</strong> <strong>la</strong> culture américaine, op.<br />
cit., p. 253.<br />
30<br />
Viktor Pelevine, « Проблема верволка в средней полосе » [« A werewolf problem in<br />
central Russia »], in Проблема верволка в средней полосе [A werewolf problem in central<br />
Russia and other stories], London, Harbord Publishing Limited, 1998, trans<strong>la</strong>ted by Andrew<br />
Bromfield.<br />
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