Les domestiques sénégalaises au Maroc : Un travail servile entre ...
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07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 8<br />
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D’UNE AFRIQUE À L’AUTRE<br />
commun<strong>au</strong>té d’appartenance, elle est accueillie et protégée, nourrie et<br />
logée. Cette forme de solidarité commun<strong>au</strong>taire est présente un peu partout<br />
où il y a des Sénégalais, mais chez les femmes s’ajoute une dimension qui<br />
rappelle les relations <strong>entre</strong> sœurs. Le mot est fort mais utilisé à dessein :<br />
les femmes avec lesquelles je partageais des après-midi utilisaient souvent<br />
l’expression « ma sœur », en référence à des collègues-amies, laissant<br />
penser qu’elles étaient nouées par des liens famili<strong>au</strong>x. Ils existent, mais ne<br />
sont pas généralisables. On pourrait penser <strong>au</strong>ssi <strong>au</strong> terme usuel de «<br />
frère » ou « sœur » que les musulmans emploient <strong>entre</strong> coreligionnaires.<br />
<strong>Les</strong> femmes l’admettent, mais elles aiment dire <strong>au</strong>ssi que le terme de «<br />
sœur » désigne tout simplement un lien solidaire très fort, comme celui qui<br />
unit des sœurs en détresse.<br />
Cette organisation solidaire peut se substituer à la famille et <strong>au</strong>x amies<br />
restées <strong>au</strong> Sénégal quand il s’agit de partager les souffrances et donner un<br />
soutien moral <strong>au</strong>tant que matériel. <strong>Les</strong> conditions dans lesquelles vivent<br />
les <strong>domestiques</strong> ne sont jamais communiquées <strong>au</strong>x proches du Sénégal et<br />
constituent des secrets connus uniquement dans les rése<strong>au</strong>x sénégalais <strong>au</strong><br />
<strong>Maroc</strong> :<br />
« Si tu cherches à lui expliquer [à la famille] qu’ici la vie est dure… qu’on se<br />
réveille tôt, on se couche tard, qu’on <strong>travail</strong>le du matin jusqu’<strong>au</strong> soir sans repos… Ils<br />
te disent : “courage, c’est mieux que rien”. Le Sénégalais c’est comme ça, il <strong>travail</strong>le<br />
pour aider ses parents. Parce que, quand tu es petit, c’est les parents qui s’occupent de<br />
toi, mais après quand tu as grandi, c’est à toi de t’occuper des parents… Parce que moi<br />
j’ai plus de possibilités de <strong>travail</strong>ler, maman est à la maison, les enfants sont là-bas…<br />
il f<strong>au</strong>t que tu aides, nous c’est comme ça » ( Aminata).<br />
À la tradition d’aide inconditionnelle à la famille s’ajoutent des conditions<br />
économiques <strong>au</strong> pays souvent très critiques, comme en témoigne cette femme<br />
qui, peu après son arrivée <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>, a perdu son père :<br />
« Ma famille ne connaît pas mes conditions de <strong>travail</strong>, je n’ai parlé qu’avec<br />
mon frère. Je n’ai pas parlé avec ma mère. Parce que tu sais, je suis venue pour<br />
aider la famille et si elle connaît la vérité, ça lui fait mal <strong>au</strong> cœur… ça lui donne<br />
encore des soucis en plus de ceux qu’elle a déjà.... J’ai parlé à mon frère seulement.<br />
Il m’a dit :“il f<strong>au</strong>t du courage”, c’est ça qu’il m’a dit » (Umi).<br />
Ce mode de départ rend les femmes aveugles <strong>au</strong>x risques qu’elles<br />
devront affronter <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> :<br />
« Moi je ne pensais qu’à partir. Je n’avais pas pensé <strong>au</strong>x conséquences. Même<br />
ma sœur ne voulait pas que je vienne. Elle m’a dit : “il f<strong>au</strong>t qu’on signe des papiers,<br />
ici, avant que tu ne partes. Parce qu’un <strong>Maroc</strong>ain c’est un <strong>Maroc</strong>ain...” Moi j’ai dit :<br />
“ce n’est pas grave”, je suis partie. Et finalement c’était la merde ».