Les domestiques sénégalaises au Maroc : Un travail servile entre ...

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07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 16 16 sénégalaises pour leur offrir un travail au Maroc. C’est le cas d’un autre homme nommé Suleyman, rencontré dans les récits de deux femmes passées par son réseau, qui utilisait Internet pour les approcher : « ...Nous nous sommes rencontrés en “chat” […] Il m’a demandé si je voulais travailler au Maroc et moi j’ai dit oui, il m’a dit que bon, c’était son travail, qu’il amenait souvent des gens au Maroc pour travailler. Il m’a dit que je pouvais vivre ma vie, et que le salaire était mieux qu’ici. Moi j’ai demandé à mes parents et je lui ai dit d’attendre, que je n’avais pas encore l’argent pour payer le ticket de l’avion. Il m’a dit : “pas de problèmes, je vais régler, tu vas avoir ton billet d’avion, il y aura quelqu’un qui viendra te récupérer à l’aéroport de Casa...” » (Coumba). Suleyman travaille en partenariat avec un Marocain installé à Casablanca qui, à son tour, utilise Internet pour chercher des employeuses. Les compagnies aériennes D’UNE AFRIQUE À L’AUTRE Il existe des liaisons aériennes régulières entre le Maroc et le Sénégal, et le personnel des compagnies assurant ces liaisons est très impliqué dans le recrutement de femmes sénégalaises pour le marché marocain de la domesticité. Selon plusieurs témoignages les pilotes marocains, qui arrivent à Dakar, recrutent des filles par l’intermédiaire du personnel des hôtels où ils habitent durant leurs escales. On ne connaît pas le montant des commissions qu’ils perçoivent pour ce travail, mais on sait qu’il est prélevé sur le salaire des femmes embauchées au Maroc, comme le prix du billet et les frais. Dans le cadre des employées des compagnies aériennes, le réseau le plus « rodé » et dramatiquement célèbre dans les milieux des domestiques sénégalaises est celui de Latiha 19 . Cette Marocaine travaille au siège d’une compagnie aérienne à Casablanca. Depuis 2006, elle fait venir des femmes du Sénégal, aujourd’hui aussi des Philippines pour travailler, chez elle comme dans les maisons de parents et amis. Sa motivation n’est pas uniquement commerciale ; elle cherche aussi à avoir toujours des domestiques à disposition pour sa grande maison. Les conditions de travail qu’elle offre sont insoutenables, et les domestiques restent très peu de temps chez elle, d’où la nécessité d’une rotation rapide du personnel. Latiha est en relation avec une Sénégalaise qui travaille pour la même compagnie aérienne, au siège de Dakar. C’est elle qui s’occupe du recrutement des filles, de leur voyage et de leurs demandes 19. Le nom a été changé.

07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 17 LES DOMESTIQUES SÉNÉGALAISES AU MAROC 17 administratives. Aucune des femmes interviewées ne connaît le montant de sa commission, mais commission il y a, prélevée sur les salaires. À l’aéroport de Casablanca, c’est Latiha qui s’occupe de l’accueil, en retirant comme d’habitude le passeport aux femmes recrutées. Le cas de Latiha est exemplaire à plus d’un titre, y compris par son caractère extrême. Pendant les deux années de travail chez elle, une des femmes interviewées a vu passer par la maison pas moins de 25 employés : 13 Marocains/es, 6 Sénégalaises et 6 Philippines. Chauffeurs, gardiens, domestiques, cuisinières, jardiniers, baby-sitters. « ...chaque fois elle amène un chauffeur, une cuisinière, une nounou … Ils font deux mois, ou quinze jours et après ils laissent le travail, ils partent. Les Marocains ne vont pas tolérer tout ça, même les Philippines ne résistent pas. Ils n’acceptent pas ce que moi j’acceptais » (Aminata). Les Philippines ont commencé à arriver il y a quatre mois, deux pour s’occuper des enfants adoptés et deux pour la manucure et la pédicure. Deux auparavant étaient venues puis reparties rapidement : « C’était une Philippine. Elle est venue, elle a vu la situation et elle a dit : “je ne veux pas rester ici. Parce qu’il n’y a pas à manger, le salaire est mauvais, elle est méchante”. Elle a résisté deux jours et après a dit : “je vais partir” et Latiha lui a dit que sa famille devait envoyer le billet pour son retour. Elle est restée deux jours sans manger dans la chambre. Après sa grand sœur lui a envoyé le billet et elle est rentrée sans rien » (Aminata). Si les femmes sénégalaises se plaignent ou réagissent aux mauvais traitements et aux insultes, elles sont refoulées au Sénégal sans être payées. La fuite suppose l’abandon de toutes les affaires et du passeport. « Que je sache, au moins six Sénégalaises sont passées par Latiha. Elle t’amène chez elle pour t’utiliser comme une esclave. Après si tu sors la dénoncer, elle connaît beaucoup de monde et tu vas être refoulée au Sénégal. C’est pour cela que je me suis dit : “si je sors, je ne rentre pas” » (Moussa). Effectivement, Latiha constitue le seul cas auquel les autorités consulaires sénégalaises ne sont jamais parvenues à récupérer les passeports des femmes qui se sont enfuies de chez elle.

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<strong>sénégalaises</strong> pour leur offrir un <strong>travail</strong> <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>. C’est le cas d’un <strong>au</strong>tre<br />

homme nommé Suleyman, rencontré dans les récits de deux femmes<br />

passées par son rése<strong>au</strong>, qui utilisait Internet pour les approcher :<br />

« ...Nous nous sommes rencontrés en “chat” […] Il m’a demandé si je voulais<br />

<strong>travail</strong>ler <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> et moi j’ai dit oui, il m’a dit que bon, c’était son <strong>travail</strong>, qu’il<br />

amenait souvent des gens <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> pour <strong>travail</strong>ler. Il m’a dit que je pouvais vivre<br />

ma vie, et que le salaire était mieux qu’ici. Moi j’ai demandé à mes parents et je lui<br />

ai dit d’attendre, que je n’avais pas encore l’argent pour payer le ticket de l’avion.<br />

Il m’a dit : “pas de problèmes, je vais régler, tu vas avoir ton billet d’avion, il y <strong>au</strong>ra<br />

quelqu’un qui viendra te récupérer à l’aéroport de Casa...” » (Coumba).<br />

Suleyman <strong>travail</strong>le en partenariat avec un <strong>Maroc</strong>ain installé à<br />

Casablanca qui, à son tour, utilise Internet pour chercher des employeuses.<br />

<strong>Les</strong> compagnies aériennes<br />

D’UNE AFRIQUE À L’AUTRE<br />

Il existe des liaisons aériennes régulières <strong>entre</strong> le <strong>Maroc</strong> et le Sénégal,<br />

et le personnel des compagnies assurant ces liaisons est très impliqué dans<br />

le recrutement de femmes <strong>sénégalaises</strong> pour le marché marocain de la<br />

domesticité.<br />

Selon plusieurs témoignages les pilotes marocains, qui arrivent à Dakar,<br />

recrutent des filles par l’intermédiaire du personnel des hôtels où ils habitent<br />

durant leurs escales. On ne connaît pas le montant des commissions qu’ils<br />

perçoivent pour ce <strong>travail</strong>, mais on sait qu’il est prélevé sur le salaire des<br />

femmes emb<strong>au</strong>chées <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>, comme le prix du billet et les frais.<br />

Dans le cadre des employées des compagnies aériennes, le rése<strong>au</strong> le<br />

plus « rodé » et dramatiquement célèbre dans les milieux des <strong>domestiques</strong><br />

<strong>sénégalaises</strong> est celui de Latiha 19 . Cette <strong>Maroc</strong>aine <strong>travail</strong>le <strong>au</strong> siège d’une<br />

compagnie aérienne à Casablanca. Depuis 2006, elle fait venir des femmes<br />

du Sénégal, <strong>au</strong>jourd’hui <strong>au</strong>ssi des Philippines pour <strong>travail</strong>ler, chez elle<br />

comme dans les maisons de parents et amis. Sa motivation n’est pas<br />

uniquement commerciale ; elle cherche <strong>au</strong>ssi à avoir toujours des<br />

<strong>domestiques</strong> à disposition pour sa grande maison. <strong>Les</strong> conditions de <strong>travail</strong><br />

qu’elle offre sont insoutenables, et les <strong>domestiques</strong> restent très peu de<br />

temps chez elle, d’où la nécessité d’une rotation rapide du personnel.<br />

Latiha est en relation avec une Sénégalaise qui <strong>travail</strong>le pour la même<br />

compagnie aérienne, <strong>au</strong> siège de Dakar. C’est elle qui s’occupe du<br />

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