Les domestiques sénégalaises au Maroc : Un travail servile entre ...

Les domestiques sénégalaises au Maroc : Un travail servile entre ... Les domestiques sénégalaises au Maroc : Un travail servile entre ...

29.03.2013 Views

07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 12 12 Les étudiants sont ainsi des intermédiaires entre leurs connaissances au Maroc désireuses d’avoir une domestique et une offre de main-d’œuvre au Sénégal. « Il y avait une famille marocaine qui avait son fils étudiant au Sénégal, qui après devait partir en Russie pour continuer ses études. Moi j’avais une cousine qui travaillait avec les étudiants. Comme elle s’est mariée, elle m’a dit : “comme tu aimes voyager, voilà un travail pour toi, peut-être tu veux partir au Maroc”. C’était la famille de l’étudiant. Il m’ont payé le billet d’avion et moi je suis partie sans y penser » ( Nogaye). Des anciens étudiants ont construit des réseaux plus élaborés dans le business de la main-d’œuvre domestique sénégalaise vers le Maroc, en mobilisant des relations nouées pendant leurs études. Donnons l’exemple d’une étudiante marocaine en médecine qui a fait ses études au Sénégal, en habitant chez une famille de commerçants libanais. Elle a amené et placé au Maroc quatre femmes sénégalaises, recrutées par la famille qui l’hébergeait. Nous connaissons l’histoire des quatre filles, trois ont fui à cause de mauvais traitements et de salaires non payés, la quatrième est rentrée au Sénégal, enceinte, violée par le gardien de la maison où elle travaillait. Les commerçantes sénégalaises D’UNE AFRIQUE À L’AUTRE Commerçantes, en effet, car si jusqu’aux années 1970 les hommes occupaient une place dominante dans les petits commerces avec le Maroc et les autres pays de l’Afrique Occidentale, à partir de cette date, les femmes commencent à investir ce domaine d’activité, pour finalement, aujourd’hui, le dominer 11 . Historiquement, les femmes sénégalaises ont été actives dans le commerce infrarégional, mais c’est grâce à l’argument du voyage religieux que les destinations ont commencé à se diversifier vers le Maroc et l’Arabie Saoudite, toutes deux terres de pèlerinage. La liaison maritime entre Dakar et Casablanca a beaucoup aidé au décollage de ces échanges commerciaux au féminin, en permettant le transport de quantités considérables de marchandise dans des conditions de voyage favorables aux commerçantes, qui se sont définitivement imposées dans le commerce « à la valise » 12 . Depuis, le transport aérien c’est substitué au maritime, et 11. A. Pian, 2007, p. 67. 12. M. Peraldi (dir.), 2002.

07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 13 LES DOMESTIQUES SÉNÉGALAISES AU MAROC 13 le prix élevé du billet d’avion a ralenti les échanges. Au prix du billet s’ajoute la limite de poids des bagages dans le transport aérien, problème récurrent des « valiseurs » dans le monde entier. Les commerçantes sénégalaises ont trouvé un arrangement avec leurs compatriotes qui cherchent à rejoindre clandestinement l’Europe en passant par le Maroc : alors que les contrôles à l’aéroport de Casablanca se faisaient plus sévères à l’égard des jeunes Sénégalais avec un passeport vierge, commerçantes et potentiels migrants se sont organisés pour voyager ensemble, les premières protégeant les deuxièmes en les faisant passer pour des neveux venus les aider, les deuxièmes prenant la charge du bagage supplémentaire 13 . La demande croissante de domestiques sénégalaises au Maroc a ouvert pour ces commerçantes un nouveau marché lucratif. Bien sûr, les commerçantes utilisent, elles aussi, les services des camionnettes qui sillonnent la nouvelle route transaharienne déjà évoquée. La mobilité transnationale de ces commerçantes entraîne la constitution de réseaux de connaissances qui ont une influence directe sur la mobilité des femmes candidates au travail domestique, même s’il n’y a pas la volonté de capitaliser la médiation. Marie en témoigne, à partir de son expérience de cinq ans chez Fatima, une commerçante au Sénégal, qui s’absentait pour des longues périodes à cause de ses commerces. La relation entre les deux femmes était de confiance et de proximité familiale, malgré son caractère paternaliste : « Cette femme était très gentille, elle me traitait comme sa petite sœur... ». La commerçante se souciait beaucoup du futur de Marie parce qu’elle ne pouvait pas lui payer un bon salaire. Lors d’un voyage de travail au Maroc, Fatima rencontre des amies marocaines qui expriment le désir d’employer une domestique sénégalaise. Le salaire promis par la nouvelle employeuse est très supérieur à celui qu’elle donne à Marie, elle la décide donc à partir au Maroc. « Quand je suis arrivée à l’aéroport […] nous avons pris la voiture et nous sommes partis chez la Marocaine. Elle s’appelle Leila et Hassan son mari. On a rigolé, on a discuté, on a fait tout, Fatima, Sénégalaise, disait : “voilà Marie, elle est très gentille, elle a toujours été avec mes enfants, elle est restée chez moi pendant cinq ans, elle est comme ma sœur et ça et ça”... » À partir de ce moment, l’histoire de Marie se confond avec les autres récits recueillis : passeports confisqués, séquestration, conditions extrêmement dures de travail, mauvais traitements, etc. Jusqu’au nonpaiement total ou partiel du salaire. Ce récit montre que, malgré les bonnes intentions et les liens « d’amitié » affichés, le risque est grand pour la 13. A. Pian, 2007, p. 84.

07_LANZA-2.qxd 27/04/2011 21:43 Page 13<br />

LES DOMESTIQUES SÉNÉGALAISES AU MAROC 13<br />

le prix élevé du billet d’avion a ralenti les échanges. Au prix du billet<br />

s’ajoute la limite de poids des bagages dans le transport aérien, problème<br />

récurrent des « valiseurs » dans le monde entier. <strong>Les</strong> commerçantes<br />

<strong>sénégalaises</strong> ont trouvé un arrangement avec leurs compatriotes qui<br />

cherchent à rejoindre clandestinement l’Europe en passant par le <strong>Maroc</strong> :<br />

alors que les contrôles à l’aéroport de Casablanca se faisaient plus sévères<br />

à l’égard des jeunes Sénégalais avec un passeport vierge, commerçantes et<br />

potentiels migrants se sont organisés pour voyager ensemble, les premières<br />

protégeant les deuxièmes en les faisant passer pour des neveux venus les<br />

aider, les deuxièmes prenant la charge du bagage supplémentaire 13 .<br />

La demande croissante de <strong>domestiques</strong> <strong>sénégalaises</strong> <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> a ouvert<br />

pour ces commerçantes un nouve<strong>au</strong> marché lucratif. Bien sûr, les<br />

commerçantes utilisent, elles <strong>au</strong>ssi, les services des camionnettes qui<br />

sillonnent la nouvelle route transaharienne déjà évoquée.<br />

La mobilité transnationale de ces commerçantes entraîne la constitution<br />

de rése<strong>au</strong>x de connaissances qui ont une influence directe sur la mobilité<br />

des femmes candidates <strong>au</strong> <strong>travail</strong> domestique, même s’il n’y a pas la<br />

volonté de capitaliser la médiation. Marie en témoigne, à partir de son<br />

expérience de cinq ans chez Fatima, une commerçante <strong>au</strong> Sénégal, qui<br />

s’absentait pour des longues périodes à c<strong>au</strong>se de ses commerces. La relation<br />

<strong>entre</strong> les deux femmes était de confiance et de proximité familiale, malgré<br />

son caractère paternaliste : « Cette femme était très gentille, elle me traitait<br />

comme sa petite sœur... ». La commerçante se souciait be<strong>au</strong>coup du futur<br />

de Marie parce qu’elle ne pouvait pas lui payer un bon salaire.<br />

Lors d’un voyage de <strong>travail</strong> <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>, Fatima rencontre des amies<br />

marocaines qui expriment le désir d’employer une domestique sénégalaise.<br />

Le salaire promis par la nouvelle employeuse est très supérieur à celui qu’elle<br />

donne à Marie, elle la décide donc à partir <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>.<br />

« Quand je suis arrivée à l’aéroport […] nous avons pris la voiture et nous<br />

sommes partis chez la <strong>Maroc</strong>aine. Elle s’appelle Leila et Hassan son mari. On a<br />

rigolé, on a discuté, on a fait tout, Fatima, Sénégalaise, disait : “voilà Marie, elle est<br />

très gentille, elle a toujours été avec mes enfants, elle est restée chez moi pendant<br />

cinq ans, elle est comme ma sœur et ça et ça”... »<br />

À partir de ce moment, l’histoire de Marie se confond avec les <strong>au</strong>tres<br />

récits recueillis : passeports confisqués, séquestration, conditions<br />

extrêmement dures de <strong>travail</strong>, m<strong>au</strong>vais traitements, etc. Jusqu’<strong>au</strong> nonpaiement<br />

total ou partiel du salaire. Ce récit montre que, malgré les bonnes<br />

intentions et les liens « d’amitié » affichés, le risque est grand pour la<br />

13. A. Pian, 2007, p. 84.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!