29.03.2013 Views

UBUs - Cndp

UBUs - Cndp

UBUs - Cndp

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

DOSSIER REALISE PAR Fatima BELAID-TADJINE<br />

<strong>UBUs</strong><br />

Contribution à la dédramatisation de la patrie<br />

d’ALFRED JARRY<br />

traduction et dramaturgie LUÍSA COSTA GOMES<br />

mise en scène RICARDO PAIS


...contribution à une dédramatisation d’<strong>UBUs</strong><br />

De sa compréhension personnelle d’Ubu, ce personnage si délicat à cerner, qui a<br />

fini par exercer son ascendant sur la pièce qui lui a donné vie et même sur celui qui<br />

en fut l’auteur, au territoire complexe de connaissances et de sensibilités qui<br />

donnent corps, sur le plateau, à cette « vague épopée », Ricardo Pais refait avec<br />

nous, en moins de trois mille cinq cents mots, le voyage qui a porté cet <strong>UBUs</strong> sur la<br />

scène réinventée du théâtre Carlos Alberto.<br />

JOSE LUIS FERREIRA Y a-t-il analogie entre le Père Ubu et la figure retenue pour les<br />

visuels de promotion du spectacle – une habitante du Minho aux allures de<br />

terroriste – avec un sens de l’humour indéniablement portugais ? Du reste, quelle<br />

est la patrie que ce spectacle contribue à dédramatiser ?<br />

RICARDO PAIS Cette figure ne représente absolument pas Ubu. Ubu est un personnage<br />

beaucoup plus grotesque, si possible beaucoup plus amusant ! On doit cette affiche à<br />

l’audace du fantastique João Faria. Il me semble qu’il ne pouvait pas en être<br />

autrement : tout le travail visant à faire la promotion du spectacle se devait d’attirer<br />

l’attention, bruyamment, à travers quelque plaisanterie sur notre héritage, y compris<br />

en pratiquant l’agit-prop !!! Ce n’est pas un hasard si le garçon est vêtu d’une jupe du<br />

Minho, qu’il brandit une mitraillette, qu’il porte des sabots d’on ne sait où, des<br />

chaussettes de la Serra da Estrela… Mais, très franchement, l’objectif n’était pas de<br />

caricaturer qui que ce soit. Quant à l’idée de « patrie », elle apparaît ici comme une<br />

simple provocation : on notera que le mot est écrit en lettres minuscules. Elle<br />

renvoie à la Pologne du texte qui, pour l’auteur lui-même, est synonyme de « nulle<br />

part ».<br />

Le seul lien possible entre ces deux personnages que je puisse trouver est évoqué<br />

dans l’un des nombreux textes de Jarry que j’ai lus au cours de ces derniers mois – à<br />

présent, je suis convaincu que l’on a à faire à un grand auteur, à une grande œuvre,<br />

d’autant plus qu’elle a été écrite pendant une période très brève. Comme vous le<br />

savez, lorsque je travaille sur certains textes, j’ai pour habitude de lire avec


parcimonie sur leurs auteurs. Je lis des choses sur ce que l’on dit d’eux mais j’essaie<br />

de fuir, autant que possible, les idées toutes faites sur l’œuvre. Cependant, j’étais en<br />

train de lire ce texte quand j’ai trouvé une curieuse indication concernant Ubu, le<br />

renvoyant à une ambiance de foire. Or, depuis le début, je pensais précisément que<br />

l’une des façons possibles de porter cet Ubu à la scène consistait à faire de cette<br />

représentation la représentation d’une foire. L’imaginaire qui est ici développé peut<br />

de toute évidence faire écho à la foire populaire (plus ou moins rurale), au théâtre de<br />

fantoches en extérieur.


Qui est donc Ubu ?<br />

On ne peut pas voir Ubu comme on voit Hamlet, pour nous en tenir à deux<br />

personnages sur lesquels nous avons travaillé récemment et qui, d’une certaine<br />

manière, sont plus grands que les pièces dans lesquelles ils s’inscrivent.<br />

Ubu, c’est l’irrationalité pure… Il incarne, comme l’a dit Fernando Cabral Martins, le<br />

type du personnage terrorisant du théâtre de marionnettes. Ce qui est inquiétant,<br />

habituellement, dans les formes de théâtre stabilisées, renvoyant à des traditions de<br />

représentation très codifiées (on peut penser à la commedia dell’arte, aux<br />

marionnettes japonaises…), c’est, entre autres, la sensation que ces personnages<br />

sont immuables : celui qui est mauvais le restera jusqu’à la fin et il en ira de même<br />

pour le bon. Rien ni personne ne change au fil de l’œuvre. Nous pourrions dire que<br />

nous sommes là face à une absence totale de prétention du théâtre à jouer un rôle<br />

régénérateur…


Ubu est une véritable mine. Il a d’ailleurs largement dépassé les prétentions initiales<br />

de son créateur. Il a même pris le dessus sur l’auteur : Alfred Jarry finira par signer<br />

du nom d’Ubu ! Ses interventions, que je qualifierais de politico-culturelles – dans<br />

les Almanachs du Père Ubu, par exemple –, eurent un écho absolument<br />

extraordinaire dans l’univers culturel européen et même au-delà. Ubu est un<br />

personnage qui a été peint par Picasso, par Magritte… Les plus grands artistes ont<br />

conçu des décors pour Ubu. Pendant notre travail, nous avons consulté un livre<br />

impressionnant, intitulé Les Portraits d’Ubu, qui retrace toute l’histoire de la fortune<br />

graphique et visuelle du personnage, laquelle est à la hauteur, dirons-nous, de sa<br />

fortune littéraire et théâtrale.


L’appréhension de l’univers d’Ubu intervient après le travail sur Figurantes, un<br />

texte construit, causal, générateur d’un chaos apparent mais avec malgré tout des<br />

personnages relativement bien définis, les traces apparentes d’une psychologie…<br />

Quelles possibilités nouvelles, quels axes de travail nouveaux autorise cette fois<br />

cette matière, si foncièrement différente ?<br />

De fait, il s’agit d’une expérience radicale sur le langage. Celui qui est réellement<br />

impliqué dans cette expérience, c’est João Reis. Personne dans la pièce ne parle<br />

proprement comme Père Ubu. Le langage de Mère Ubu, celui des autres<br />

personnages, ou même celui qui est utilisé dans les chansons, ne sont pas<br />

assimilables au sien. Ils sont Jarry dans sa manière la plus synthétique. D’où ce que<br />

je disais précédemment : Ubu est un personnage dont la rhétorique va au-delà de la<br />

nécessité d’une inscription dans l’œuvre. Ce qui ne veut pas dire, remarquez bien,<br />

qu’il ne soit pas parfaitement intégré dans le texte. La clé principale pour ce travail,<br />

c’est que João parvienne à être dans le ton. Et rien, en l’occurrence, n’est fait pour<br />

lui faciliter la tâche… Contrairement à ce que l’on dit, João Reis est un acteur de<br />

composition et non pas un jeune premier. Il peut l’être tout aussi bien, mais il est<br />

réellement, avant tout, un grand acteur de composition. Il est fantastique de voir avec<br />

quelle liberté il intègre tout ce qui vient de l’extérieur dans son propre corps. Ce qui<br />

était particulièrement visible dans As Lições, dont ce spectacle a hérité beaucoup,<br />

c’est évident…


Par ailleurs, si l’on examine la construction de l’œuvre, cette espèce de vague<br />

épopée – la conspiration, la mort de Venceslas, la domination et l’exploitation de la<br />

Pologne, la guerre et finalement la fuite définitive vers la France – rien, dans toute<br />

cette matière, n’est vraiment établi au plan dramaturgique. Quelles que soient les<br />

versions, la plus longue, la plus courte, montée ou non montée, il est difficile de<br />

trouver une matière très consistante. Il y a une scène de guerre, par exemple, mais<br />

l’auteur voulait que la guerre soit représentée comme dans un théâtre de papier,<br />

avec des indications sur une pancarte. Il y tenait beaucoup. Il était si<br />

fondamentalement anti-aristotélicien – autant, si ce n’est plus, que Brecht – que<br />

pour lui l’essence du théâtre exigeait que l’on refuse toute possibilité de mimésis.<br />

Maintenant, quand nous avons des corps sur scène, avec la liberté qu’ils ont eux-<br />

mêmes acquise et avec l’éventail illimité de possibilités qu’ils nous offrent,<br />

d’innombrables jeux peuvent être imaginés à partir du texte.


C’est pourquoi j’ai été si heureux de travailler avec toute cette équipe. C’est un acte<br />

de foi et de tendresse à l’égard d’un groupe de personnes qui nous ont accompagnés<br />

ces dernières années et que je voulais avoir à mes côtés pour monter le dernier<br />

spectacle de mon mandat. Or, il est extrêmement problématique d’exploiter tout ce<br />

que cette matière et cette troupe suscite sans recourir à une multiplicité de<br />

techniques. C’est cela qui a rendu ce projet très difficile. Sa nature ludique imposait<br />

d’elle-même de nombreuses collaborations. D’abord, j’ai pensé qu’il fallait utiliser<br />

les danses traditionnelles portugaises. Il a été très compliqué d’avoir avec nous<br />

Margarida Moura car elle avait peu de temps à nous consacrer. Ensuite, on ne<br />

pouvait faire autrement que d’aborder la rixe, les luttes : il y a même des scènes<br />

emblématiques, comme le massacre des nobles… Sérgio Godinho a manqué de<br />

temps pour composer ses chansons parce que je les lui ai demandées très tard…<br />

Miquel Bernat et Luís de Matos, dont les collaborations sont précieuses, étaient<br />

également très occupés. Il a toujours été très difficile de réunir tout le monde. Pour<br />

ce genre de spectacles, j’aimerais bien que tout soit pré-produit !


Comment parvenez-vous à transformer cet ensemble de techniques en une<br />

poétique singulière ?<br />

J’ai toujours trouvé absolument passionnant de solliciter des contributions pour<br />

monter un spectacle. Sincèrement… Sans aucune espèce d’obsession<br />

démocratique… Chaque fois que je demande à quelqu’un de m’apporter quelque<br />

chose, c’est une façon de procéder à une réinterprétation de ce que je veux (ou,<br />

parfois, de ce que je ne suis pas sûr de vouloir) – de ce que je désire véritablement !<br />

S’il s’agit d’une personne avec qui je travaille depuis très longtemps – c’est le cas de<br />

Miguel Andrade Gomes, avec qui j’ai fait le premier Hamlet, Um Hamlet a mais, puis<br />

Sondai-me ! Sondheim et à présent <strong>UBUs</strong> – je n’ai même pas besoin d’expliquer ce<br />

qui va se passer.<br />

Quand Miguel m’apporte quelque chose – c’est un spécialiste de tout ce qui concerne<br />

les manœuvres militaires, les arts martiaux, le maniement des armes et des épées –<br />

cela finit toujours par m’aider énormément à donner une autre dimension aux<br />

situations scéniques. Autrement dit, lorsque je reçois une chanson comme celles de<br />

Sérgio Godinho, je n’ai pas à dire si j’aime ou non. C’est la chanson que cette<br />

personne m’a confiée et avec laquelle, d’une certaine manière, elle a tenté de<br />

répondre à ce que j’attendais de ce moment-là. Si ce que j’attendais de ce moment-<br />

là ne coïncide pas immédiatement avec cette chanson, c’est moi qui suis dans<br />

l’erreur. Je dois donc laisser cette chanson grandir, évoluer avec moi. Je peux<br />

travailler sur elle, la revisiter, jusqu’à sentir qu’elle est devenue nôtre, mienne. C’est<br />

la meilleure contribution que je puisse apporter à une espèce de poétisation du<br />

discours, des discours pour la scène !


Mon travail, au bout du compte, prend forme d’une manière très artisanale. Je l’ai<br />

toujours dit mais les gens ne veulent pas le croire ! Je peux avoir largement planifié<br />

les choses, énormément travaillé les idées que j’ai avant de commencer les<br />

répétitions. Néanmoins, la plupart du temps – et <strong>UBUs</strong> est un exemple<br />

symptomatique, à cet égard – je laisse les spectacles fonctionner, je les laisse se<br />

créer. Je suis sûr de moi en termes de procédé et de méthode mais toujours très<br />

angoissé pour ce qui est du résultat. Évidemment, j’exerce un grand contrôle sur la<br />

capacité qui est la leur à me traduire. Et j’ai une conscience aiguë du sens que je dois<br />

faire advenir. Parfois en l’explicitant, d’autres fois non…<br />

Il s’agit, en quelque sorte, d’un projet qui ne pouvait être monté qu’aujourd’hui,<br />

avec ces acteurs, avec ces collaborateurs, après avoir accompli le parcours qui<br />

vous a conduit jusqu’ici…<br />

Non… J’aurais dû faire cet Ubu il y a vingt ans. Je pense qu’il aurait eu une autre<br />

dynamique si je l’avais monté dès la première lecture, lorsque j’étais à l’école en<br />

Angleterre. J’aurais dû le faire immédiatement, parce que j’avais alors d’autres<br />

prétentions. Je me projetais en Ubu, je pressentais que je pouvais être aussi


intéressant que Jarry lui-même ! Aujourd’hui, je n’ai plus cette arrogance. Et cela<br />

constitue un handicap…<br />

Le processus qui a conduit à ce texte a été relativement long, depuis la commande<br />

initiale à Luísa Costa Gomes de la traduction de toute, ou presque toute, la<br />

« geste » d’Ubu jusqu’au travail final sur la version montée pour la scène. Qu’avez-<br />

vous trouvé dans cette matière nouvelle que vous ne pouviez trouver dans Ubu Roi<br />

ou dans Ubu enchaîné en tant que pièces distinctes ?<br />

Ubu enchaîné a une existence complètement autonome. Je regrette énormément de<br />

ne pouvoir la monter… Fernando Cabral Martins n’est pas d’accord avec l’idée<br />

qu’Ubu enchaîné est meilleur qu’Ubu Roi. Il pense que le premier Ubu est<br />

véritablement la pièce avant-gardiste. Y compris du fait qu’il s’agit d’une pièce<br />

réécrite… Personnellement, je pense qu’Ubu enchaîné est une pièce d’une grande<br />

maturité. Notez bien qu’Ubu avait déjà parcouru un immense chemin, avec les<br />

Almanachs et tout le reste… Il faisait plein usage de sa capacité à conceptualiser. Ce<br />

n’est pas un hasard si Ubu enchaîné porte vraiment sur les grands concepts de<br />

liberté et de soumission. Ce sont des thèmes récurrents mais qui atteignent ici une<br />

autre densité dramaturgique.<br />

S’agissant de ce projet, j’ai pensé qu’il fallait commencer par trouver une approche<br />

pertinente de la tradition ubuesque. Était à notre disposition, depuis les années<br />

soixante, la traduction particulièrement imaginative d’Alexandre O’Neill. Par la force<br />

des choses, il s’agit d’une traduction très réductrice, peu fidèle à l’original – en<br />

premier lieu, de par les besoins d’adaptation, mais également pour contourner la<br />

censure – et qui n’est pas explicitée par le biais de notes ou de textes parallèles… Il<br />

m’a semblé que Luísa Costa Gomes devait tout traduire.<br />

Au début, je voulais faire ce que j’appellerais un « festin ubuesque », une espèce de<br />

grand cabaret Ubu. Nous avons fini par penser, après trois versions, qu’il nous fallait<br />

explorer la première pièce, Ubu Roi, pour nous tenir à un texte, un personnage, une<br />

mythologie, sur la base de ce qui constitue leur origine même. Nous avons intégré<br />

des éléments provenant d’autres Ubu(s), en particulier les chansons, qui facilitent<br />

une vision plus panoramique (plus épique ?) des Ubu(s). Nous sommes parvenus à<br />

cet autre « festin ubuesque », servi à la manière d’un théâtre national – avec le souci


d’apporter un éclairage sur la place exacte d’un texte de premier ordre, sur un<br />

personnage à l’intérieur de l’œuvre d’un auteur et sur l’auteur lui-même.<br />

Sérgio Godinho est un grand maître de la langue portugaise. Il fait merveille avec<br />

une langue considérée comme se prêtant mal au chant. Cette rencontre entre cet<br />

usage singulier que Sérgio Godinho fait de notre langue et celle de Jarry, passée<br />

au filtre de Luísa Costa Gomes, a tout pour être explosive…<br />

J’en suis très heureux. J’ai eu l’idée de faire appel à lui alors que nous étions dans la<br />

dernière ligne droite, vraiment au dernier moment. Nous avons une histoire<br />

commune, qui remonte au premier Mandrágora et à Matinée Mágica, pour lesquels il<br />

était acteur, à Escritor de Canções, que j’ai mis en scène, etc.<br />

Jarry est beaucoup plus dangereux et fangeux qu’il n’y paraît. On pourrait croire qu’il<br />

n’est qu’amusant, facétieux, absurde, mais il est bien plus que cela. Il est très<br />

difficile de pénétrer dans cet univers qui provoque en nous des effets très étranges.<br />

Moi-même, jamais je n’aurais réussi à écrire un texte comme celui que j’ai rédigé<br />

pour l’invitation s’il ne s’était agi de Jarry. Et ce n’est pas du mimétisme ou de la<br />

prétention. C’est venu naturellement ! Et au bout du compte, la langue, ici, c’est du<br />

Jarry Costa Gomes…<br />

On sait aussi que vous accordez une attention particulière au son, que le traitement<br />

que vous en faites est extrêmement sophistiqué. Ne serait-ce que par l’existence<br />

d’un tronc commun dans leur matière textuelle, ce spectacle se rapproche de As<br />

Lições, qui était une véritable orgie de mots et de sons très travaillés.<br />

Pas tant que cela. En premier lieu, pour des raisons qui concernent le mode de<br />

production, de plus en plus déterminant pour nous. Dans As Lições, Vítor Rua a suivi<br />

l’intégralité du processus de création sur le papier. Toute la conception musicale et<br />

sonore s’est faite sur le papier pour ensuite, directement ou indirectement, être<br />

portée sur scène. Ici, la partie sonore n’était pas complètement arrêtée lorsque nous<br />

avons commencé le travail sur scène, comme cela avait été le cas pour As Lições. Et


c’est cette liberté possible qui fait jouer un rôle particulier au son, qui dans ce<br />

spectacle était traité de manière tonitruante, insolente…<br />

D’ailleurs, la question du son ne me paraît pas devoir être abordée spectacle par<br />

spectacle. Elle les concerne tous, mais d’une manière différente à chaque fois. Le<br />

texte, ce qui nous est donné à entendre, est l’élément le plus important dans une<br />

création, cela ne fait aucun doute. C’est à l’aune de sa relation au texte que l’on juge<br />

l’acteur, en fonction de la manière dont le texte passe à travers lui, ou dont lui-même<br />

le construit, à l’intérieur de ce qui constitue la partie sonore du spectacle. Ce qui<br />

importe, c’est la façon dont le texte nous parvient à travers l’acteur.<br />

Imaginez-vous la bande sonore de vos spectacles avant de commencer à<br />

travailler ?<br />

Pour le début d’Hamlet, je n’avais pas d’idée précise, alors que c’était le cas pour Um<br />

Hamlet a mais. S’agissant d’<strong>UBUs</strong>, j’avais une idée générale de départ qu’il s’est<br />

avéré difficile de mettre en œuvre : faire presque tout passer par des microphones<br />

« moins fidèles » – moins fidèles, je ne sais pas, mais peut-être moins exacts – avec<br />

des haut-parleurs de mauvaise qualité. Heureusement, nous avions déjà travaillé<br />

cette idée et Francisco savait déjà comment obtenir très subtilement ce type de son<br />

avec les appareils fantastiques dont nous disposons dans notre salle. C’est Francisco<br />

Leal qui assure le design sonore.<br />

Si l’on observe le décor de ce spectacle, on trouve peu d’éléments unificateurs : la<br />

charrette, cet objet aux innombrables fonctions, qui rappelle le théâtre ambulant ;<br />

un autre objet difficile à identifier ; deux poteaux… L’organisation et la<br />

réorganisation incessantes de l’espace se font à travers une multitude d’objets<br />

disposés sur la scène…


Il s’agit de votre quatrième création avec Pedro Tudela et j’ai le sentiment que<br />

l’espace dans vos spectacles est d’une certaine manière en train de gagner en<br />

organicité ce qu’il est peut-être en train de perdre en formalisme architectural…<br />

Dans la mesure où vous êtes un metteur en scène connu pour organiser une<br />

grande partie de votre travail en fonction de l’espace, cette évolution signifie-t-elle<br />

que vous abordez une nouvelle étape de votre parcours ou renvoie-t-elle à une<br />

influence extérieure ?<br />

Si vous analysez certaines des scénographies que João Mendes Ribeiro a signées à<br />

mes côtés, notamment celle d’Arranha Céus, vous trouverez déjà une énorme<br />

différence : le concept d’espace y est plus performatif, plus libéré, moins rigide.<br />

L’utilisation de la perspective et du cadrage revêt un sens autre.<br />

Je l’ai déjà dit, je suis très sensible à ce que les gens sont. Je connais très bien Pedro<br />

Tudela, je suis son travail depuis de longues années et j’aime tout particulièrement<br />

ses installations. Il est naturel que le talent de Pedro pour l’installation soit privilégié<br />

dans ce travail collectif. Évidemment, je ne communique pas avec Pedro de la même


manière qu’avec António Lagarto. António, même s’il peut être lui aussi très<br />

performatif, est fondamentalement un scénographe, quelqu’un qui colle à l’avant-<br />

scène et crée l’illusion au-delà de celle-ci. L’expérience acquise par Pedro est<br />

différente. Qui plus est, nous parlons ici de l’espace du TeCA, complètement ouvert,<br />

avec les acteurs vus d’en haut, acculés contre une gigantesque surface verte. Ce qui,<br />

soit dit en passant, constitue une différence fondamentale avec ce qui se passait<br />

pour Figurantes.<br />

J’ajoute que c’est moi qui ai eu l’idée des cuvettes de WC, comme le fait qu’elles<br />

soient montées sur roues. J’avais aussi eu l’idée de quatre poteaux supportant<br />

quatre haut-parleurs et c’est Pedro qui a eu cette idée merveilleuse d’un poteau<br />

sortant de terre et d’un autre suspendu… C’est infiniment plus intéressant. Et, dans<br />

le fond, cette option crée autant qu’une autre un sentiment de confusion en termes<br />

d’organisation ou de systématisation de signes. D’une certaine façon, dans ma tête,<br />

j’étais déjà dans la sphère où évolue Pedro…<br />

Avec les membres de cette équipe, j’ai une attitude constante : je ne me place jamais<br />

dans la position de celui qui sait plus que les autres. Bien au contraire… Ne serait-ce<br />

que pour être gagné par contagion par la liberté de leurs idées. Avec Pedro Tudela,<br />

nous nous asseyons, nous commençons à parler et ensuite nous attendons de voir ce<br />

qu’il advient. C’est un autre niveau de relations informelles, peut-être parce que


Pedro a un style plus léger, moins délibérément scénographique. Mais pas moins<br />

théâtral. Pedro aime énormément le théâtre, même s’il ne veut pas appartenir au<br />

théâtre. Il visite le monde du théâtre à travers son travail.<br />

C’est donc cette différence de méthode qui introduit ici d’autres différences dans<br />

votre travail…<br />

Si l’on regarde des projets anciens, comme les Concerts comiques, avec Zíngaro et<br />

Nuno Carinhas, ou ceux que j’ai menés à Londres, on constate qu’il s’agit<br />

d’expériences tout à fait comparables aux mises en scène actuelles, pour ce qui<br />

concerne l’organisation des signes. Il ne leur manquait qu’une structure textuelle,<br />

une pièce à laquelle elles auraient pu s’ancrer. Si l’on peut parler d’une « différence<br />

Ricardo Pais », c’est dans ma relation au théâtre qu’elle réside. Tout le processus de<br />

travail est un processus de lutte contre moi-même, à travers la régénération de<br />

l’idée que je me fais du théâtre. Je pense notamment à un théâtre qui, par exemple,<br />

passerait outre son immense aversion pour la voracité des autres arts. Du reste, les<br />

choses évidentes m’intéressent de moins en moins, y compris le caractère<br />

présentable de la scénographie. Je ne ressens aucunement le besoin d’être<br />

aggiornato, de travailler avec l’artiste à la mode. Ma relation avec les plasticiens est<br />

absolument organique.<br />

Quand on parle de formalisme au sujet de mon travail, on parle de rigidité, d’une<br />

certaine immobilité, d’un univers où tout est très ordonné, de cette impression qu’il<br />

ne tombe pas une épingle sur scène sans que cela ait été programmé, que le son<br />

émis est amplifié. Pour ma part, je ne pense pas du tout que ce soit du formalisme,<br />

dans la mesure où il n’y a pas imposition de règles discursives ou d’énonciation. Cela<br />

crée effectivement comme un espace à soi, pour pouvoir vivre et respirer. Mais peut-<br />

être ce spectacle va-t-il un peu au-delà… J’avais imaginé que ce spectacle pourrait<br />

être infiniment plus libre en termes de mouvement. Chaque jour, j’essaie de me<br />

convaincre de ne pas donner autant d’indications, parce que je pense que je ne<br />

devrais pas tant chorégraphier. Lorsque je deviens très précis pour telle ou telle<br />

indication, je me vois tel qu’en moi-même. Or, tout nouveau spectacle devrait nous<br />

aider à faire disparaître notre propre image. Parfois, nous changeons parce que nous<br />

ne pouvons plus nous regarder dans la glace !<br />

José Luís Ferreira


Notre-Dame de l’Agonie<br />

Tremblez ! Ubu Roi est parmi nous. Diaboliquement livré à lui-même, stimulé dans<br />

ce qu’il a de pire par sa compagne, Mère Ubu, accompagné de sa redoutable armée<br />

de Palotins, le voilà qui vient nous soutirer nos phynances (toutes nos phynances, car<br />

Ubu est porté à l’excès, adepte du tout ou rien, ou du rien…) et pour nous octroyer la<br />

grâce d’une sainte destinée, au moyen : soit de la pôche, sorte de gibecière<br />

alchimique dans laquelle il est possible d’enfourner tout ce qui, dans la vie, peut faire<br />

obstacle ; soit de l’extraordinaire bâton à physique, baguette à vocation magique<br />

capable de faire plier la plus inflexible des volontés. Sans oublier, évidemment, le<br />

célébrissime croc à merdre, ce petit mot à l’origine de l’un des plus grands tumultes<br />

de l’histoire du théâtre français.<br />

Tremblez, donc, car au cours de l’une de ses aventures au milieu de nulle part, Ubu<br />

Roi a trébuché sur sa géographie et a atterri dans le Minho. Dans le Minho, comme<br />

chacun sait, les paysages sont plus verts. Dans le Minho, surtout le dimanche,<br />

surtout l’été, des dizaines, des milliers de haut-parleurs débitent des chansons<br />

licencieuses qui le disputent aux promesses sincères de consommation rédemptrice.<br />

Dans le Minho, comme chacun sait, un champ de foire et un prétexte divin suffisent à<br />

libérer les pulsions païennes les plus incontrôlables. C’est, nous le voyons, sous le<br />

signe d’une mélancolique « parodie bouffonne » de ce pays que nous avons hérité de<br />

Salazar et d’António Ferro qu’Ubu est porté à la scène, agrandie jusqu’à la<br />

distorsion, du théâtre Carlos Alberto. Quelque part entre le paysage ruralisant et la<br />

gazon (artificiel) de nos rêves (et de nos desseins), le décor conçu par Pedro Tudela<br />

est le lieu « virtuel » qui accueille une étrange fête populaire du théâtre. Une demi-<br />

douzaine d’objets sont disposés dans cet espace. Certains sont répétés jusqu’à<br />

épuisement (jusqu’à la nausée) : les trônes, comme il est encore d’usage de les<br />

appeler dans certaines parties de ce pays, munis de roues. Des cuvettes de WC,<br />

parfaitement. Mais virtuelles, elles aussi, qu’aucun système ne retient, machines<br />

gastronomiques, politiques, lieux de soulagement et d’affliction. Aussi singuliers, si<br />

ce n’est plus, véritables repères topologiques qui participent de la reconfiguration<br />

permanente de la géographie ubuesque et qui se livrent eux-mêmes à une<br />

reconfiguration fonctionnelle incessante et suprêmement pataphysique : les grands


objets. Il s’agit d’abord de la charrette, qui pourrait tout aussi bien être un attelage<br />

agricole, un échafaud ou une scène itinérante, dont on peut mesurer le potentiel<br />

magique avec la stupéfiante miniaturisation d’António Durães dans la scène de<br />

l’assassinat de Venceslas, mais qui est définitivement « le centre scatologique et<br />

sexuel de ce spectacle, en conférant des dimensions monumentales tout à la fois aux<br />

orifices anal et urétral ». Il y a ensuite le moulin torturé, qui suggère qu’Ubu serait<br />

l’anti-Quichotte ; la valise de la Conscience, pleine d’erreurs et de toiles d’araignée ;<br />

sans oublier l’ensemble de percussions, en soi propice à un autre voyage, à un<br />

déplacement incessant entre la subtilité et la musicalité du marimba et l’invasion<br />

virile des joueurs de tambours.<br />

Le langage, délibérément scatologique, d’une cruauté infantile presque pure,<br />

décapite toute prétention à la vraisemblance. Jarry refuse de manière définitive<br />

(même si d’autres, par la suite, s’inscriront dans une démarche comparable, ses<br />

derniers épigones étant les tenants de ce que certains appellent le Nouveau Théâtre<br />

européen) que le théâtre soit un « dispositif de représentation, de reproduction de la<br />

réalité ». Il nous dit ouvertement que le réalisme n’est rien d’autre qu’une « super-<br />

fiction, une tromperie ». Invoquant des domaines de l’histoire du théâtre<br />

unanimement considérés comme nobles (il suffit de relever les différentes matrices<br />

shakespeariennes présentes ici, entre la faute de Macbeth et une sorte d’Hamlet<br />

inversé), Jarry élabore, avec Ubu, un « condensé des cauchemars de la culture<br />

française ». Un condensé en spirale, démentiel, qui fait voyager le spectateur sur<br />

« un projectile qui le transporte dans un monde impossible, parallèle, éclatant,<br />

brutal ».<br />

Ainsi en va-t-il ici. Ricardo Pais est le maestro de cette « étrange fête populaire du<br />

théâtre ». S’il cherche une voie différente dans le refus d’une instrumentalisation<br />

politique primaire de la (des) pièce(s), en instaurant un univers troublé qui renvoie<br />

résolument à la question du pouvoir au plus profond de chacun de nous (dans le<br />

tréfonds de nos viscères), il assume également les responsabilités que le(s) texte(s)<br />

implique(nt) à l’égard de l’idée même de théâtre. On pourrait presque dire que les<br />

acteurs que nous rencontrons sur cette place, dans cette foire abstraite, sont ceux<br />

de la compagnie qu’Hamlet reçoit si bien à Elseneur. Et que ce spectacle est celui<br />

que sa naturelle inclination populaire amènerait à faire jouer dans n’importe quel


terrain vague au pied des murailles du château. Si seulement Hamlet n’avait pas,<br />

dans son dessein hésitant, apposé accidentellement le masque odieux de l’utilité au<br />

théâtre… Le montage du texte et la dramaturgie de ce spectacle sont exemplaires<br />

dans leur fonctionnement théâtral. Face à une matière si mouvante (les versions<br />

d’Ubu Roi sont innombrables et à géométrie variable ; l’une d’elle, au moins,<br />

intégrait des chansons figurant initialement dans d’autres pièces d’Ubu), Ricardo<br />

Pais et Luísa Costa Gomes ont choisi de monter une sorte de « spectacle de<br />

variétés », ponctué par les chansons composées par Sérgio Godinho, proposant au<br />

spectateur « un lieu enchanté par la musique, par le son, par la poésie satirique et<br />

burlesque, par la parole inventée », « un espace aux multiples métamorphoses » qui,<br />

au lieu de « proposer une convention, [libère] une intensité ».<br />

C’est dans cet univers de faux-semblants que l’on trouve une partie considérable de<br />

la « compagnie du São João » (João Reis à la tête d’une « nombreuse troupe »), les<br />

chansons de Sérgio Godinho déjà évoquées, les danses traditionnelles travaillées et<br />

adaptées par Margarida Moura, les combats et l’appareil militaire conçus par Miguel<br />

Andrade Gomes, les costumes de Bernardo Monteiro (qui introduisent une distinction<br />

remarquablement efficace entre les « personnages » et les « figurants » de la<br />

portugalité débordante et occulte que ce spectacle donne à voir), les lumières de<br />

Nuno Meira, quelques artifices magiques de Luís de Matos, le design sonore de<br />

Francisco Leal, le travail vocal et d’élocution de João Henriques et, sans conteste,<br />

l’esprit indomptable de Père Ubu !<br />

Si le public symboliste du Théâtre de l’Œuvre, où eut lieu la première représentation<br />

publique d’Ubu Roi, réagit mal, très mal, au premier mot sonore du texte (je ne le<br />

dirai pas, venez voir la pièce !), c’est parce qu’il comprit immédiatement ce que l’on<br />

était en train de lui voler : une idée du théâtre comme sanctuaire des belles lettres,<br />

comme autel de l’élévation morale (certains diraient de renforcement des<br />

conventions du moment). Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, il n’est plus de<br />

merdre qui nous ébranle. Nous savons depuis longtemps que l’éthique humaine ne<br />

dépend pas linéairement de l’opposition entre ascension et chute, qu’entre l’âme et<br />

les viscères il y a tout un système d’humeurs qui fait de nous les bourreaux et les<br />

victimes de toute possibilité d’idéalisation.<br />

« Si mon sang ne me trompe pas, nous irons à Viana… »


Nota bene : La profusion de guillemets, qui indiquent des citations, dans le texte ci-<br />

dessus se veut un double hommage à la possibilité d’élaboration collective d’un texte<br />

et aux excellentes réflexions qui accompagnent le spectacle. Les extraits cités ont<br />

pour auteurs Ricardo Pais, Luísa Costa Gomes, António M. Feijó et Fernando Cabral<br />

Martins. On les trouvera dans le Manuel de lecture d’<strong>UBUs</strong>.<br />

Dans le vortex Ubu<br />

José Luís Ferreira<br />

« Sans surprise, le noyau expressif du spectacle est constitué par un ensemble de<br />

quatorze interprètes qui disent, jouent, chantent, dansent, luttent et assurent une<br />

interaction exigeante avec la valence complexe de dispositifs et de signes scéniques<br />

constamment renouvelés. João Reis prête corps et voix à un inoubliable Père Ubu,<br />

dans un travail où la virtuosité vocale (déjà splendidement confirmée dans As Lições)<br />

se marie ici à une capacité nouvelle de relation interprétative avec son personnage :<br />

on assiste, au cours de presque deux heures de présence sur scène, à une<br />

distanciation progressive quasi ironique de l’interprète par rapport au protagoniste<br />

de cette fiction, ce qu’illustrent la façon dont le « personnage », à un moment donné,<br />

assure le commandement des actions des autres interprètes (c’est particulièrement<br />

visible lors de l’exécution d’un morceau instrumental) mais aussi une attitude<br />

physique, vocale et faciale plus ample. Emília Silvestre, Micaela Cardoso et Lígia<br />

Roque assurent de manière exemplaire l’homogénéité expressive de leurs<br />

interventions en tant que Mères Ubus. Curieusement, ce qui pourrait apparaître<br />

comme une simple « idée amusante » – démultiplier le personnage de Mère Ubu en<br />

la faisant représenter par trois actrices – finit non seulement par contribuer à la<br />

clarification narrative de la fiction, dans la mesure où leur succession correspond<br />

aux trois grandes étapes du parcours d’Ubu (l’usurpation du trône de Pologne, le<br />

régime de terreur et, finalement, la guerre), mais sert également la nature<br />

parodique du texte de Jarry lui-même. Rappelons que sont également au nombre de<br />

trois les sorcières qui exacerbent l’ambition de Macbeth, protagoniste shakespearien


d’une autre histoire de terreur et de tyrannie qui fut utilisée de manière revendiquée<br />

comme matière intertextuelle par l’auteur de la pièce et que le metteur en scène<br />

exploite ici de façon figurative dès les premiers moments du spectacle : pendant le<br />

premier dialogue du couple Ubu – « Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il<br />

faudrait assassiner » –, dans le fond, sur la charrette, se trouvent les autres Mères<br />

Ubus, munies de leurs burlesques éventails à cisailles, éclairées comme des<br />

spectres à travers le trou qui se révélera être la ressource scénique la plus exploitée<br />

de tout le spectacle.<br />

Tous les autres interprètes mériteraient d’être salués, pour leurs performances<br />

corporelles multiples et variées – lesquelles illustrent les efforts accomplis par ce<br />

théâtre en matière de formation. Je me limiterai toutefois à souligner les prestations<br />

de Joana Manuel, tout particulièrement lors de l’intervention musicale de la reine<br />

Rosemonde, veuve de Venceslas assassiné, d’António Durães, dans le rôle de ce<br />

même pathétique Venceslas, et de Paulo Freixinho, dans celui de l’énergique autant<br />

que volatile capitaine Bordure. »<br />

[…]<br />

« Comme on l’aura compris, on a à faire ici à ce qu’il y a peut-être de plus séduisant<br />

dans les procédés scéniques de Ricardo Pais : le plateau s’ouvre généreusement aux<br />

contributions des autres arts et langages, ce qui favorise une sorte de vertige ou de<br />

"voracité" associant une légèreté recherchée à une rigueur, un sérieux qui n’en sont<br />

pas moins obsessifs. Plus qu’une suite d’idées amusantes ou de trouvailles, qui<br />

serait au service d’un quelconque exercice de style complaisant, encore que<br />

professionnel, cette stratégie scénique à haut risque favorise, notamment dans le<br />

cas présent, une espèce de corporisation des défis et des invites susceptibles d’être<br />

identifiés dans le projet dramaturgique de Jarry : une sorte de régénération de<br />

l’utopie d’un théâtre qui appréhende la création comme un processus dans lequel<br />

fusionnent la dérision la plus audacieuse et la volonté de communiquer la plus<br />

impérieuse. »<br />

Paulo Eduardo Carvalho<br />

In Sinais de Cena, nº 2 (revue de l’Association portugaise des critiques de théâtre)

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!