la harpe. cours de littérature - Notes du mont Royal
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72 COUES DE LITTÉEATURÈ.<br />
avec un talent porté à l'élévation* l'auteur a semé<br />
son ouvrage <strong>de</strong> traits <strong>de</strong> forée et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui<br />
font sauvé <strong>de</strong> l'oubli.<br />
Bans le <strong>de</strong>rnier siècle, us esprit encore plus<br />
boursouié que le sien fa paraphrasé en vers français.<br />
Si <strong>la</strong> version <strong>de</strong> Brébeuf donna d'abord quelque<br />
vogue à Lucain malgré Boileau, c'est qu'alors<br />
on aimait autant les vers qu'on en est aujourd'hui<br />
rassasié, et que, le bon goût ne faisant que <strong>de</strong><br />
naître, <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>mation espagnole était encore à <strong>la</strong><br />
mo<strong>de</strong>. Mais bientôt les progrès <strong>de</strong>s lettres et l'ascendant<br />
<strong>de</strong>s bons modèles firent tomber <strong>la</strong> Pharsak<br />
aux provinces si chère, comme a dit Despréaux;<br />
et malgré <strong>la</strong> prédilection <strong>de</strong> Corneille et<br />
quelques vers heureui <strong>de</strong> Brébeuf, Lucain fat relégué<br />
dans <strong>la</strong> bibliothèque <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> lettres. De<br />
nos jours, <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction élégante et abrégée qu'en<br />
a donnée M. Mar<strong>mont</strong>el Ta fait connaître un peu<br />
davantage, mais n'a pu le faire goûter, tandis que<br />
tout le mon<strong>de</strong> lit le Tasse dans les versions en prose<br />
les plus médiocres. Quelle en pourrait être <strong>la</strong> raison,<br />
si ce n'est que le Tasse attache et intéresse,<br />
et que Lucain fatigue et ennuie? Bans l'original,<br />
il n 9 est guère lu que <strong>de</strong>s littérateurs, pour qui<br />
même il est très-pénible à lire.<br />
Cependant il a traité un grand sujet : <strong>de</strong> temps<br />
en temps il étincelle <strong>de</strong> beautés fortes et originales ;<br />
il s'est même élevé jusqu'au sublime. Pourquoi<br />
donc, tandis qu'on relit sans cesse Virgile, les plus<br />
<strong>la</strong>borieux <strong>la</strong>tinistes ne peuvent-ils, sans beaucoup<br />
d'efforts et <strong>de</strong> fatigue, lira <strong>de</strong> suite un chant <strong>de</strong> Lucain?<br />
Quel sujet <strong>de</strong> réieiions pour les jeunes écrivains,<br />
toujours si facilement <strong>du</strong>pes <strong>de</strong> tout ce qui<br />
a un air <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, et qui s'imaginent avoir tout<br />
fait avec un peu d'effervescence dans <strong>la</strong> tête et quelques<br />
morceaux bril<strong>la</strong>nts! Quel exemple peut mieux<br />
leur dé<strong>mont</strong>rer qu'avec beaucoup d'esprit, et même<br />
<strong>de</strong> talent, on peut manquer <strong>de</strong> cet art d'écrire, qui<br />
est le fruit d'un goût naturel ; perfectionné par le<br />
travail et par le temps, et qui est indispensablement<br />
nécessaire pour être lu? En effet, pourquoi<br />
Lucain J'est-il si peu, malgré le mérite qu'on lui<br />
reconnnalt en quelques parties ? C'est que son imagination,<br />
qui cherche toujours le grand, se méprend<br />
souvent dans le choix, et n'a point d'ailleurs<br />
cette flexibilité qui varie les formes <strong>du</strong> style, le ton<br />
et les mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase, et <strong>la</strong> couleur <strong>de</strong>s<br />
objets; c'est qu'il manque <strong>de</strong> ce jugement sain qui<br />
écarte l'exagération dans les peintures, l'enflure<br />
dans les idées, <strong>la</strong> fausseté dans tes rapports, le mauvais<br />
choix, <strong>la</strong> longueur et <strong>la</strong> superiuité dans les détails;<br />
c'est que, jetant .tous ses vers dans le même<br />
fnoule, et tes faisant tous ronfler sur le .même ton.<br />
il est également monotone pour l'esprit et pour<br />
l'oreille. 11 en résulte que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ses beautés<br />
sont comme étouffées parmi tant <strong>de</strong> défauts, et<br />
que souvent le lecteur impatienté se refuse à <strong>la</strong><br />
peine <strong>de</strong> les chercher et à l'ennui <strong>de</strong> les attendre.<br />
Tâchons <strong>de</strong> rendre cette, vérité sensible : voyons<br />
dans un morceau fidèlement ren<strong>du</strong>, comment Lucain<br />
décrit et raconte. On sent bien que je vais<br />
tra<strong>du</strong>ire en prose : je ne pourrais autrement remplir<br />
mon <strong>de</strong>ssein ; car il n'y a que Brébeuf qui puisse<br />
prendre sur lui <strong>de</strong> versifier tant <strong>de</strong> fatras, et même<br />
souvent <strong>de</strong> charger l'enflure et d'allonger les longueurs<br />
<strong>de</strong> Lucain. Mais on verra aisément, dans<br />
cette tra<strong>du</strong>ction exacte, ce qu'il faudrait retrancher<br />
ou conserver en tra<strong>du</strong>isant en vers.<br />
Je choisis le moment où César, vou<strong>la</strong>nt passer<br />
d'Épire en Italie'sur une barque, est assailli pr<br />
une tempête, et prononce ce mot fameux adressé<br />
au pilote qui tremb<strong>la</strong>it : Que craim-iu? Tu portes<br />
César et sa fortune. Voyons comment le poète<br />
a traité ce trait d'histoire assez frappant, et quel<br />
parti il m a tiré.<br />
« Là mît avait suspends les a<strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, et<br />
amené les instants <strong>de</strong> repos pour ces malheureux soldats,<br />
qui <strong>du</strong> motus, dans leur humble fortune , ont os sommeil<br />
profond. Tout le camp élut trawpilte, et <strong>la</strong> sentinelle venait<br />
d'être relevée à Is troisième saille. César s'avance d'un<br />
pas inquiet dans le vaste sieace <strong>de</strong> <strong>la</strong> aaîi : plein <strong>de</strong> ses<br />
projets téméraires v dignes à peine <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> ses soldats,<br />
Il marche sans suite : sa fortune seule est avec lui. U franchit<br />
les tentes <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s endormies t et tout bas II se p<strong>la</strong>int<br />
<strong>de</strong> leur échapper si aisément II parcourt Se rivage, et<br />
trouve mie barque attachée par un câble à un rocher miné<br />
par le temps. Il aperçoit <strong>la</strong> <strong>de</strong>meure tranquille <strong>du</strong> pilote,<br />
qui n'était pas éloignée : c'était une cabane formée d'un<br />
tissu <strong>de</strong> joncs et <strong>de</strong> roseaux f et que <strong>la</strong> barque renversée<br />
défendait <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. César frappe à coups redoublés<br />
, et ébranle <strong>la</strong> cabane. Aœ jetas se lève <strong>de</strong> son lit, qui<br />
n'était qu'en amas d'herbes. Quel est le malheureux t ditil,<br />
que le naufrage a jeté près <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>meure? Quel est<br />
celui que <strong>la</strong> fortune oblige d'y chercher <strong>du</strong> se<strong>cours</strong>? £n<br />
disant ces mots, il se hâte <strong>de</strong> rallumer quelques étincelles<br />
<strong>de</strong> feu, et se prépare à ouvrir sans rien craindre. 11 sait<br />
que les cabanes ne sont pas <strong>la</strong> proie <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. O précieux<br />
avantage d'une pauvreté paisible! 0 toit simple et<br />
champêtre ! ê présent <strong>de</strong>s dieux Jusqu'Ici méconnu ! Quels<br />
murs, quels temples n'auraient pas tremblé, frappés par ta<br />
mais <strong>de</strong> César? La porte- s'ouvre. Attends-toi, dit-il, à<br />
<strong>de</strong>s récompenses que tu n'oserais espérer. Ta peux prétendre<br />
à tout, si tu veux m'obéir et me transporter en Italie.<br />
Tu se seras pas obligé <strong>de</strong> nourrir ta vieillesse <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it<br />
<strong>de</strong> ta barque et <strong>du</strong> travail <strong>de</strong> tes mains, aie te refuse<br />
pas aux dieux qui veulent te prodiguer les richesses. Ainsi<br />
par<strong>la</strong>it César : couvert <strong>de</strong> l'habit d'un soldat, il ne pouvait<br />
perdre le ton d'un mattre. Amyc<strong>la</strong>s lui répond : Beaucoup<br />
<strong>de</strong> raisons m'empéeheraieiit <strong>de</strong> me ceaiar cette nuit à <strong>la</strong>