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la harpe. cours de littérature - Notes du mont Royal

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48<br />

les mots petites! entrer dam tous les sujets f et Fou<br />

taie <strong>de</strong> timidité pusil<strong>la</strong>nime ceux qui n'osent pas<br />

être insensés; et comme ces systèmes sont fort commo<strong>de</strong>s<br />

f atten<strong>du</strong> qu'ils tranchent toutes les difficultés!<br />

en petit imaginer combles <strong>de</strong> gens sent intéressés<br />

à les adopter. Au reste, ce scrupule sur le choix<br />

<strong>de</strong>s mots propres à tel ou tel genre d'écrire n'est pas<br />

ine superstition <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngue; c'était une religion<br />

<strong>de</strong>s <strong>la</strong>ngues anciennes, quoiqu'elles fussent bien<br />

plus hardies que <strong>la</strong> nôtre : tous les critiques sont<br />

d'accord là-<strong>de</strong>ssus. Longin en cite beaucoup d'exemples;<br />

il va jusqu'à reprocher à Hérodote <strong>de</strong>s expressions<br />

qu'il trouve au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong> l'histoire<br />

: qu'on juge s'il <strong>de</strong>vait être moins sévère en<br />

poésie.<br />

Si chaque <strong>la</strong>ngue a <strong>de</strong>s termes bas , si ce qui s'appelle<br />

ainsi dans l'une ne l'est pas dans l'autre, il en<br />

résulte une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s difficultés que le tra<strong>du</strong>cteur<br />

ait à vaincre, et en <strong>de</strong>s plus grands mérites<br />

qu'il puisse avoir quand il Fa sur<strong>mont</strong>ée. On sait<br />

que le talent y parvient en sachant relever et ennoblir<br />

ces sortes <strong>de</strong> mots par le voisinage dont il les<br />

entoure; mais cet art a ses bornes comme tout autre<br />

, et c'est môme parce qu'il en a que c'est un art :<br />

si ce<strong>la</strong> se pouvait toujours 9 il n'y aurait plus <strong>de</strong><br />

mérite à y réussir quelquefois. C'est une réflexion<br />

qu'on n'a pas faite. 11 y en a une autre non moins<br />

importante s c'est que, dans tous les exemples qu'on<br />

peut citer, on trouvera toujours que <strong>la</strong> première<br />

excuse <strong>du</strong> mot qu'on a su ennoblir vient d'un rapport<br />

réel avec les idées primitives <strong>du</strong> sujet, et avec<br />

tout ce qui a précédé. On a félicité Racine d'avoir<br />

<strong>la</strong>it entrer le mot <strong>de</strong> chiens dans une tragédie.<br />

LM ekmm à qui son bras a livré Jézabd.<br />

Mais où se trouve ce mot ? Dans une pièce tirée<br />

<strong>de</strong>s livres saints, dans une pièce où nous sommes<br />

accoutumés dès les premiers vers au <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> FÉcritère,<br />

où tout nous rappelle les premières choses<br />

que nous avons apprises dans notre enfance ; et dès<br />

lors l'histoire dé Jézabcl dévorée par <strong>de</strong>s chiens est<br />

présente à notre esprit, et relevée par l'idée reli-<br />

' gieuse d'une vengeance céleste. Ainsi l'imagination<br />

a préparé l'oreille à ce mot et prévenu <strong>la</strong> disparate.<br />

De même dans ces vers que j'ai marqués ailleurs 9<br />

Quelquefolâ à l'autel<br />

Je présente an grand prêtre et l'encens et te tel*<br />

non-seulement le mot à'encens, qui offre l'idée<br />

d'une cérémonie sacrée, amène et fait passer avec<br />

lui le mot <strong>de</strong> sel; mais <strong>la</strong> scène est dans le temple<br />

<strong>de</strong>s Juifs, et l'on est accoutumé d'avance au <strong>la</strong>ngage<br />

<strong>de</strong>s Lévites. Cest cette analogie secrète qui con<strong>du</strong>it<br />

toujours te grand écrivain ; en sorte que ce qui nous<br />

COURS DE LETTtBATUBE.<br />

paraît une hardiesse <strong>de</strong> son génie n'est que le coup<br />

d'oeil <strong>de</strong> sa raison.<br />

Je croirais avoir omis une <strong>de</strong>s parties les plus importantes<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> matière que je traite, ni je ne Unissais<br />

par examiner cette autre question souvent<br />

agitée, s'il convient <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire les poètes en vers.<br />

J'a¥©ue que j'ai tenu jusqu'ici pour l'affirmative; et<br />

les raisons qu'on y a opposées ne m'ont pas fait changer<br />

d'avis. Je persiste à penser qu'on fait <strong>de</strong>scendre<br />

un poète <strong>de</strong> toute sa hauteur en l'abaissant au <strong>la</strong>ngage<br />

vulgaire. La meilleure prose ne peut le dédommager<br />

<strong>de</strong> cette perte <strong>la</strong> plus douloureuse pour loi,<br />

<strong>la</strong> plus inappréciable, celle <strong>de</strong> l'harmonie. Si vous<br />

vous connaissez en vers, ne sentez-vous pas qu'ils<br />

sont faits pour parlée à vos organes ? Ne sentez-vous<br />

pas quel inexprimable charme résulte <strong>de</strong> cet heureux<br />

arrangement <strong>de</strong> mots, <strong>de</strong> ce con<strong>cours</strong> <strong>de</strong> sons<br />

mesurés, tour à tour lents ou rapi<strong>de</strong>s, prolongés<br />

avec mollesse ou brisés avec éc<strong>la</strong>t; <strong>de</strong> ces pério<strong>de</strong>s<br />

harmonieuses qui s'arrondissent dans l'oreille ; <strong>de</strong><br />

cette combinaison savante <strong>du</strong> mouvement et <strong>du</strong><br />

rhythme avec le sentiment et <strong>la</strong> pensée? Et n'éprouvez-vous<br />

pas que cet accord continuel, qui, malgré<br />

les difficultés <strong>de</strong> l'art, ne trompe jamais ni votre<br />

oreille ni votre âmet est précisément <strong>la</strong> cause <strong>du</strong><br />

p<strong>la</strong>isir que vous procurent <strong>de</strong> beaux vers? C'est là<br />

vraiment <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue <strong>du</strong> poëte. Elle s'applique à <strong>de</strong>s.<br />

objets plus ou moins grands ; il y joint plus ou<br />

moins d'idées; il conçoit un sujet plus ou moins fortement<br />

, et ses choix sont plus ou moins heureux :<br />

c'est ainsi que s'établissent les rangs et <strong>la</strong> prééminence.<br />

Mais il faut avant tout qu'il sache manier<br />

son instrument t car le vers en est un. Quelque chose<br />

que dise son vers, si l'auteur y parait contraint et<br />

gêné, si <strong>la</strong> mesure qui est faite pour ajouter à <strong>la</strong> pensée<br />

lui ère quelque chose, si te rhythme blesse l'oreille<br />

qu'il doit enchanter, ce n'est plus un poète :<br />

qu'il parle, et qu'il ne chante pas ; qu'il <strong>la</strong>isse là son<br />

instrument qui le gêne et lui pèse : il souffre en<br />

s'efforçaiit <strong>de</strong> le manier; et je souffre <strong>de</strong> l'en voir<br />

accablé comme un homme ordinaire le serait <strong>de</strong> l'armure<br />

d'un géant.<br />

11 est donc évi<strong>de</strong>nt qu'une tra<strong>du</strong>ction en prose<br />

commence par anéantir l'art <strong>du</strong> poète, et lui dter<br />

sa <strong>la</strong>ngue naturelle. Vous n'enten<strong>de</strong>z plus le chant<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sirène; vous lisez les pensées d'un écrivain. On<br />

vous <strong>mont</strong>re son esprit, et non pas son talent. Vous<br />

ne pouvez pas savoir pourquoi il charmait ses contemporains<br />

, et souvent, vous le trouvez médiocre<br />

là où on le trouvait admirable, et peut-être f admirez-vous<br />

quelquefois là où on le trouvait médiocre.<br />

Combien d'autres désavantages n'a-t-il pas encore<br />

à essuyer dans les mains <strong>du</strong> prosateur qui le dépouille

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