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18 « Ce matin là, vers la fi n de janvier, l’abbé Pierre Froment, qui avait une messe à dire au Sacré-Cœur de Montmartre, se trouvait dès huit heure sur la butte, devant la basilique. Et, avant d’entrer, un instant il regarda Paris, dont la mer immense se déroulait à ses pieds. C’était, après deux mois de froid terrible, de neige et de glace, un Paris noyé sous un dégel morne et frissonnant. Du vaste ciel couleur de plomb, tombait le deuil d’une brume épaisse. Tout l’est de la ville, les quartiers de misère et de travail, semblaient submergés dans des fumées roussâtres, où l’on devinait le souffl e des chantiers et des usines ; tandis que, vers l’ouest, vers les quartiers de richesse et de jouissance, la débâcle du brouillard s’éclairait, n’était plus qu’un voile fi n, immobile de vapeur. On devinait à peine la ligne ronde de l’horizon, le champ sans borne des maisons apparaissait tel un chaos de pierres, semé de marres stagnantes, qui emplissaient les creux d’une buée pale, et sur lesquelles se détachaient les crêtes des édifi ces et des rues hautes, d’un noir de suie. Un Paris de mystère, voilé de nuées, comme enseveli sous la cendre de quelques désastres, disparu à demi déjà dans la souffrance et dans la honte de ce que son immensité cachait ». Emile Zola, Paris « A Eudoxie, qui s’étend vers le haut et le bas, avec des ruelles tortueuses, des escaliers, des passages, des masures, on conserve un tapis dans lequel tu peux contempler la véritable forme de la ville. A première vue, rien ne parait moins ressembler à Eudoxie que le dessin du tapis, fait de fi gures symétriques qui répètent leurs motifs le long des lignes droites ou circulaires, tressé à coup d’aiguilles en couleurs éclatantes, dont tu peux suivre la trame alternée tout le long de l’ouvrage. Mais si tu t’arrêtes pour observer attentivement, tu te persuade qu’à chaque point du tapis correspond un point de la ville et que tout ce que contient la ville est compris dans le dessin, les choses étant placées selon leurs rapports véritables, lesquels échappent à ton œil distrait par le va-et-vient, le grouillement, la cohue. Toute la confusion d’Eudoxie, le braiment des mulets, les taches de noir de fumée, l’odeur de poisson, c’est ce qui t’apparaît dans la vision partielle que tu en retiens ; mais le tapis démontre qu’il existe un point à partir duquel la ville laisse voir ses proportions véritables, le schéma géométrique implicite à chacun de ses moindres détails ». Italo Calvino, Les villes invisibles « Une ville : de la pierre, du béton, de l’asphalte. Des inconnus, des monuments, des institutions. Mégalopoles. Villes tentaculaires. Artères. Foules. Fourmilières? Qu’est ce que le coeur d’une ville? L’âme d’une ville? Pourquoi dit-on qu’une ville est belle ou qu’une ville est laide? Qu’y a-t-il de beau et qu’y a-t-il de laid dans une ville? Comment connaît-on une ville? Comment connaîton sa ville? Méthode: il faudrait, ou bien renoncer à parler de la ville, à parler sur la ville, ou bien s’obliger à en parler le plus simplement du monde, en parler évidemment, familièrement. Chasser toute idée préconçue. Cesser de penser en termes tout préparés, oublier ce qu’ont dit les urbanistes et les sociologues. Il y a quelque chose d’effrayant dans l’idée même de la ville ; on a l’impression que l’on ne pourra que s’accrocher à des images tragiques ou désespérées : Metropolis, l’univers minéral, le monde pétrifi é, que l’on ne pourra qu’accumuler sans trêve des questions sans réponses. Nous ne pourrons jamais expliquer ou justifi er la ville. La ville est là. Elle est notre espace et nous n’en avons pas d’autre. Nous sommes nés dans des villes. Nous avons grandi dans des villes. C’est dans des villes que nous respirons. Quand nous prenons le train, c’est pour aller d’une ville à une autre ville. Il n’y a rien d’inhumain dans une ville, sinon notre propre humanité ». Georges Perec, Espèce d’espaces « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours très généralement articulés autours de quelques axes directeurs Si on laisse de côté les déplacements liés au rythme du travail, les mouvements d’aller et de retour qui mènent de la périphérie au centre, puis du centre à la périphérie, il est clair que le fi l d’Ariane, idéalement déroulé derrière lui par le vrai citadin, prend dans ses circonvolutions le caractère d’un pelotonnement irrégulier. Tout un complexe central de rues et de places s’y trouve pris dans un réseau d’allées et venues aux mailles serrées ; les pérégrinations excentriques, les pointes poussées hors de ce périmètre familièrement hanté sont relativement peu fréquentes. Il n’existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville dont nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit en nous, à l’appel de son nom, du sédiment déposé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens ». Julien Gracq, La forme d’une ville

3. LA VILLE, LES DENSITÉS ET LE LOGEMENT Ce chapitre veut aborder la densité - terme applicable à de nombreux domaine - dans le contexte spécifi que des villes et du logement collectif. En donner une défi nition est un exercice diffi cile et périlleux. Comme ce chapitre l’expliquera, il existe une multitude de défi nitions possibles. La densité n’est, d’une part, pas ressentie de manière identique par tous et, d’autre part, la quantifi cation est différente selon le territoire auquel on l’applique, ce qui rend sa défi nition d’autant plus ardue. Il faut tout de même mettre en avant le fait qu’il est possible de distinguer deux approches de la notion. La première fait appel aux sentiments, aux sensations et à la perception propres à l’individu ainsi qu’à son expérience de l’espace et la seconde ne s’intéresse qu’à des notions quantitatives, utilisées principalement par les administrations et les règlements. Cette double approche sera reprise dans les chapitres suivants, mais une priorité sera donnée à la question de la perception. Il faudra notamment se poser les questions suivantes : quels sont les facteurs qui, pour une même densité effective, font varier la densité perçue ? Quelle est la part de perception personnelle ? Existe-t-il une densité idéale ? Quelle infl uence la densité peut-elle avoir sur la population et la perception de la ville ? Les règlements peuvent-ils aider à la conception du projet et à la détermination d’une forme urbaine ? Perception de la ville La problématique de la densité apparaît lorsque la question de la perception de la ville est abordée. En effet, avec l’éclatement des villes et la dissolution du tissu, la densité, qui a toujours caractérisé la ville jusqu’au XIX e siècle, a disparu et rend aujourd’hui la perception particulièrement diffi cile pour ceux qui pratiquent l’espace urbain. Depuis la révolution industrielle, la ville est passée d’un lieu circonscrit, permettant la déambulation, les parcours et les rencontres, à une logique de fl ux, qui ont progressivement pris la place des lieux. Tout d’abord, l’intensifi cation et la facilité des échanges et des déplacements a induit un éloignement des activités. L’accélération des échanges et la diminution du temps disponible a prétérité la fréquentation des lieux. L’expérience de la ville a progressivement disparu, en même temps qu’elle s’est étalée et que ses spécifi cités se sont dissociées les unes des autres. Ces changements ne permettent plus aucune proximité entre les activités et les utilisateurs. Les notions de parcours et de rencontre se trouvent limitées par cette organisation, ce qui n’est pas sans poser certains problèmes d’ordre social. La pratique de la ville par ses utilisateurs a changé. Elle ne correspond plus aux caractères décrits ci-dessus. Le centre ville est devenu un lieu de souvenir de la ville disparue. Il ne sert plus que de témoin d’un mode de fonctionnement qui s’est perdu dans une ville des réseaux et des fl ux. La culture urbaine a besoin de proximité et de discontinuité pour son essor. La notion de la ville perçue par son utilisateur tend à s’effacer au profi t de la ville générique ou d’un urbain généralisé qui fait perdre à l’homme toute idée de ce qu’est la ville de proximité. Il convient donc d’aborder, dans cette partie du travail, la perception de l’urbain et des densités à travers différents auteurs, architectes ou urbanistes, qui ont porté leurs regards sur la ville et qui ont mis en avant les éléments, les formes, les lieux et les sensations qui font la ville ainsi que ceux qui la défont. 19

3. LA VILLE, LES DENSITÉS ET LE LOGEMENT<br />

Ce chapitre veut aborder la d<strong>en</strong>sité - terme applicable à de nombreux domaine -<br />

dans le contexte spécifi que des villes et du logem<strong>en</strong>t collectif. En donner une défi nition<br />

est un exercice diffi cile et périlleux. Comme ce chapitre l’expliquera, il existe une<br />

multitude de défi nitions possibles. La d<strong>en</strong>sité n’est, d’une part, pas ress<strong>en</strong>tie de<br />

manière id<strong>en</strong>tique par tous et, d’autre part, la quantifi cation est différ<strong>en</strong>te selon le<br />

territoire auquel on l’applique, ce qui r<strong>en</strong>d sa défi nition d’autant plus ardue. Il faut<br />

tout de même mettre <strong>en</strong> avant le fait qu’il est possible de distinguer deux approches<br />

de la notion. La première fait appel aux s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, aux s<strong>en</strong>sations et à la perception<br />

propres à l’individu ainsi qu’à son expéri<strong>en</strong>ce de l’espace et la seconde ne s’intéresse<br />

qu’à des notions quantitatives, utilisées principalem<strong>en</strong>t par les administrations et les<br />

règlem<strong>en</strong>ts. Cette double approche sera reprise dans les chapitres suivants, mais<br />

une priorité sera donnée à la question de la perception. Il faudra notamm<strong>en</strong>t se poser<br />

les questions suivantes : quels sont les facteurs qui, pour une même d<strong>en</strong>sité effective,<br />

font varier la d<strong>en</strong>sité perçue ? Quelle est la part de perception personnelle ? Existe-t-il<br />

une d<strong>en</strong>sité idéale ? Quelle infl u<strong>en</strong>ce la d<strong>en</strong>sité peut-elle avoir sur la population et la<br />

perception de la ville ? Les règlem<strong>en</strong>ts peuv<strong>en</strong>t-ils aider à la conception du projet et à<br />

la détermination d’une forme urbaine ?<br />

Perception de la ville<br />

La problématique de la d<strong>en</strong>sité apparaît lorsque la question de la perception de<br />

la ville est abordée. En effet, avec l’éclatem<strong>en</strong>t des villes et la dissolution du tissu,<br />

la d<strong>en</strong>sité, qui a toujours caractérisé la ville jusqu’au XIX e siècle, a disparu et r<strong>en</strong>d<br />

aujourd’hui la perception particulièrem<strong>en</strong>t diffi cile pour ceux qui pratiqu<strong>en</strong>t l’espace<br />

urbain. Depuis la révolution industrielle, la ville est passée d’un lieu circonscrit,<br />

permettant la déambulation, les parcours et les r<strong>en</strong>contres, à une logique de fl ux, qui<br />

ont progressivem<strong>en</strong>t pris la place des lieux. Tout d’abord, l’int<strong>en</strong>sifi cation et la facilité<br />

des échanges et des déplacem<strong>en</strong>ts a induit un éloignem<strong>en</strong>t des activités. L’accélération<br />

des échanges et la diminution du temps disponible a prétérité la fréqu<strong>en</strong>tation des lieux.<br />

L’expéri<strong>en</strong>ce de la ville a progressivem<strong>en</strong>t disparu, <strong>en</strong> même temps qu’elle s’est étalée<br />

et que ses spécifi cités se sont dissociées les unes des autres. Ces changem<strong>en</strong>ts ne<br />

permett<strong>en</strong>t plus aucune proximité <strong>en</strong>tre les activités et les utilisateurs. Les notions de<br />

parcours et de r<strong>en</strong>contre se trouv<strong>en</strong>t limitées par cette organisation, ce qui n’est pas<br />

sans poser certains problèmes d’ordre social. La pratique de la ville par ses utilisateurs<br />

a changé. Elle ne correspond plus aux caractères décrits ci-dessus. Le c<strong>en</strong>tre ville est<br />

dev<strong>en</strong>u un lieu de souv<strong>en</strong>ir de la ville disparue. Il ne sert plus que de témoin d’un mode<br />

de fonctionnem<strong>en</strong>t qui s’est perdu dans une ville des réseaux et des fl ux. La culture<br />

urbaine a besoin de proximité et de discontinuité pour son essor. La notion de la ville<br />

perçue par son utilisateur t<strong>en</strong>d à s’effacer au profi t de la ville générique ou d’un urbain<br />

généralisé qui fait perdre à l’homme toute idée de ce qu’est la ville de proximité.<br />

Il convi<strong>en</strong>t donc d’aborder, dans cette partie du travail, la perception de l’urbain et<br />

des d<strong>en</strong>sités à travers différ<strong>en</strong>ts auteurs, architectes ou urbanistes, qui ont porté leurs<br />

regards sur la ville et qui ont mis <strong>en</strong> avant les élém<strong>en</strong>ts, les formes, les lieux et les<br />

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