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Remarques sur le projet essentialiste de Brian Ellis en Philosophie de la Nature | Philippe Gagnon<br />

72<br />

MARZO<br />

2012<br />

exactement la pente qu’à suivie Hume, celle de la désolidarisation des phénomènes. C’est ici que le bât blesse,<br />

puisqu’il s’agit d’un présupposé objectiviste, à l’effet que les choses se tiennent en isolation autarcique. Une telle<br />

chose n’aurait de sens que dans le cadre d’une interprétation aristotélicienne de la substance comme υποκειμενον<br />

ou subjectum en latin. Or, si Ellis ne l’a pas refusée, il a interdit le chemin qui en suivrait le déploiement jusqu’aux<br />

manifestations les plus élevées de l’indépendance qui permet l’identification d’une chose comme substance. Dans<br />

le Tractatus, Wittgenstein s’en est sorti en faisant du monde non un monde de choses, ou encore moins de<br />

substances, mais d’états de chose en dépendance d’un règne de formes logiques arbitrant le compossible et<br />

l’incompossible. Il y a là un refus d’identifier monde et substance du monde, sans qu’il s’agisse de nier qu’il y ait<br />

une substance du monde ; seulement, celle-ci est située en opposition diamétrale à ce qu’il en est chez Ellis.<br />

Descartes n’avait pas notre connaissance de la constitution moléculaire de la matière, et il a proposé dans la<br />

seconde des Meditationes de Prima Philosophia de penser à un morceau de cire pour tenter de nous éveiller à la<br />

difficulté de circonscrire cet éventuel tissu de rapports matériels qui constitue un substrat. Son exemple aujourd’hui<br />

doit être repensé, et c’est ce que proposa Bergson dans le cadre des débats qui allaient conduire à l’adoption de la<br />

théorie atomique, en passe d’être confirmée un peu plus tard par Perrin. Il est remarquable que, à la différence de<br />

Descartes, l’exemple de Bergson soit spécifiquement centré autour du temps que prendre un cube de sucre pour<br />

fondre dans un verre d’eau 44 . Nous comprenons que la nature des choses nous est difficile à concevoir, allons-nous<br />

la loger dans la réalité moléculaire ? Celle-ci est loin d’être clarifiée : nous possédons des nombres quantiques sûrs<br />

pour les atomes d’hydrogène mais pas tellement plus. Nous expliquons obscurum per obscurius en tentant de nous<br />

élever au-dessus. Quiconque tenterait de solutionner l’équation de Schrödinger pour les molécules les plus simples<br />

comprendrait immédiatement. Elle ne peut être solutionnée exactement que pour l’atome d’hydrogène, ou pour un<br />

atome qui n’a qu’un électron, complétant le tout grâce à une variété de méthodes d’approximation existantes qui<br />

permettent de trouver des solutions pour des systèmes plus complexes. Parler de ce qui demande des jours de calcul<br />

à un ordinateur de très grande puissance comme s’il s’agissait d’une chose présente devant nous est plutôt...<br />

détonnant. On doit en tirer que l’explication ultime devrait être (notez le déontique) exprimée en termes d’atomes,<br />

ou de petites particules, mais même cela n’est pas clair. On ne gagne pas en clarté lorsqu’on voit Ellis déclarer,<br />

nous l’avons déjà dit, que la distinction entre continu et discret est inimportante.<br />

Il restera à se demander ce que peut signifier cette indépendance des objets les uns par rapport aux autres dans<br />

le cadre d’une physique qui n’a pu progresser qu’en envisageant l’univers extérieur comme un système propageant<br />

des interactions non nulles dans l’épaisseur de son étendue. Déjà Faraday, souscrivant à une tradition priorisant la<br />

force et la causalité active 45 , que Ellis dit vouloir défendre lui aussi, passait le plus clair de son temps à se demander<br />

si, par exemple, la terre subissant l’effet de la gravitation en présence d’un objet massif comme le soleil, ne devait<br />

pas elle aussi être considérée comme l’affectant en retour 46 . De même, Mach s’interrogea sur la présence des étoiles<br />

fixes qui se doivent d’avoir un rôle causal à jouer dans le mouvement de rotation de l’eau dans la chaudière de<br />

44 Voir le commentaire de G. CHAZAL, Formes, figures, réalité, Seyssel, Champ Vallon, 1997, p. 24-25.<br />

45 Cf. P. M. HARMAN, Metaphysics and Natural Philosophy: The Problem of Substance in Classical Physics, Sussex/New Jersey, Harvester<br />

Press/Barnes & Noble, 1982, p. 82.<br />

46 « On Some Points of Magnetic Philosophy » in Experimental Researches in Electricity, vol. 3, Londres, Quaritch, 1855, p. 570-574.

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