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Remarques sur le projet essentialiste de Brian Ellis en Philosophie de la Nature | Philippe Gagnon<br />
nouvelle tendance. Dans son livre The Philosophy of Nature: A Guide to the New Essentialism 3 , Ellis commence<br />
son introduction en nommant un certain nombre de philosophes qu’il considère avoir été ses devanciers, ces<br />
derniers, outre Aristote, étant surtout Kripke, Putnam, Dretske, Tooley, Armstrong, Bhaskar, Shoemaker, Fales et<br />
Cartwright pour ne mentionner que les plus connus. Il n’est pas clair du tout que ces derniers souscrivent tous aux<br />
implications de quelque « nouvel » essentialisme ainsi que l’a remarqué Stephen Mumford 4 . Avec le même critique,<br />
on reconnaîtra de plus volontiers la valeur négative de cette attaque contre le passivisme huméen, sans doute la plus<br />
vigoureuse qu’on puisse trouver dans la littérature, mais en admettre le versant positif posera davantage de<br />
problèmes.<br />
2. Construire une ontologie<br />
Pourquoi parler d’essentialisme ? Ellis désigne par « essence » un ensemble de caractéristiques qu’une entité<br />
présente dans la nature ne saurait perdre sans cesser d’exister. Ainsi, à ses yeux, les choses non seulement existent<br />
mais elles existent en tant que ceci ou cela. Nous venons de le dire, il rattache son effort à celui d’Aristote, pour qui<br />
les choses avaient une densité et une forme intrinsèque de puissance causale. Ellis ne cherchera pas cependant à<br />
reproduire la philosophie d’Aristote en entier, ou à simplement l’actualiser. Là en effet où le Stagirite est conduit à<br />
chercher des types naturels (natural kinds) et à attribuer une nature aux objets du monde pris dans leur hiérarchie<br />
jusqu’aux manifestations les plus hautes, le nouvel essentialisme refusera cette idée lorsqu’elle tente de gagner tout<br />
le terrain jusqu’à attribuer une telle nature aux plantes ou aux animaux. Les concepts biologiques seront présentés<br />
comme des concepts-grappe (cluster), au sens où leur seul intérêt pour la connaissance scientifique serait de<br />
chercher une essence typique sans s’interroger sur l’essence individuelle 5 .<br />
C’est dire que les types (kinds) biologiques sont ici présentés comme des types sans essences. Notre concept<br />
biologique d’espèce est un concept-grappe générique. Ces types génériques ne sont pas, selon Ellis,<br />
catégoriquement distincts les uns des autres comme le sont les types chimiques. Si nous prenons en exemple<br />
l’espèce « éléphant », nous verrons qu’elle a un nombre de sous-espèces qui sont des sous-grappes de la grappe<br />
éléphant, suffisamment distincts pour être distingués morphologiquement et assez différents génétiquement pour<br />
correspondre à divers types d’animaux. Si nous incluions tous les ancêtres de l’éléphant actuel, nous verrions que<br />
les grappes morphologiques et les grappes génétiques qui les expliquent se modifient en reculant dans le temps, et<br />
éventuellement empiètent (overlap) les unes sur les autres.<br />
Après avoir distingué entre les propriétés possédées par les objets naturels, à la différence des prédicats qui<br />
sont des attributions purement linguistiques, Ellis fait remarquer que les choses sont constituées, à un niveau<br />
suffisamment élémentaire, de telle façon qu’elles réagiront, entreront en interaction, et surtout que, une fois fixées<br />
62<br />
MARZO<br />
2012<br />
3 Montréal/Kingston, McGill/Queens University Press, 2002 (désormais abrévié PN).<br />
4 Cf. « Kinds, Essences, Powers », Ratio, 18, 4, déc. 2005, p. 421 et 423.<br />
5 La logique et la théorie de la science d’Aristote reposaient sur une « ontologie biologique » ainsi que la nomme J. LARGEAULT, La logique, 1 ère<br />
éd., Paris, P.U.F., 1993, chap. I, surtout p. 5-7; les classes et catégories n’y étaient pas de simples « objects of thought » mais, à travers le<br />
principe de portée existentielle des propositions universelles, des énoncés relatifs à l’organisation même des choses, reflétée et incluse sous un<br />
concept de manière monosémique et univoque, cf. sur ce point J.-L. LEONHARDT, Le rationalisme est-il rationnel ?, Lyon, Parangon, 2009,<br />
p. 119-122.